Une oeuvre de fiction implique l'existence d'une « distanciation » entre l'auteur lui-même et les actions de ses personnages, laquelle « est susceptible d'entraîner la disparition de toute atteinte à la vie privée, dès lors que la forme de l'oeuvre transforme le réel de façon à le rendre polysémique ». En l'espèce, le tribunal juge que les différences subsistant entre les personnages et les parties sont insuffisantes pour qualifier l'oeuvre de « fictionnelle ». Par conséquent les faits et actes prêtés à l'héroïne portent atteinte à la vie privée de la requérante, qu'ils soient réels ou supposés.
Voici une décision aussi médiatisée (1) qu'intéressante ! L'affaire s'inscrit dans un contentieux connu des lecteurs de cette revue, celui du traitement juridique des fictions réalités (2). Pourtant, l'affaire innove quelque peu par son originalité factuelle. Traditionnellement, les liens entre réalité et fiction s'expliquaient par le choix de l'écrivain d'utiliser un fait divers comme trame fictionnelle. On pense ainsi au roman de Patrice Besson L'enfant d'octobre à propos l'affaire ...
Tribunal de grande instance, Paris, 17e ch. civ., 7 septembre 2011, A. Borne c/ Patrick Poivre d'Arvor
(2) Pour ne citer que le journal du soir, trois articles ont été consacrés à cetteaffaire, voir Le Monde du 18 janvier 2011 signalant l'affaire, Le Monde du 10 juin2011 « Vaudeville au tribunal : une héroïne de Ppda se rebiffe » racontant lesplaidoiries et Le Monde du 9 septembre 2011 rapportant la condamnation.
(3) Sur cette question, voir dernièrement : « Pour une attention particulière dudroit à la création l'exemple des fictions littéraires », Dalloz, 2011.2487.
(4) CA de Paris, 18 décembre 2008, Légipresse, mai 2009, III, 83, note A. Tricoire.
(5) Tgi Paris, ordonnance de référé, 4 avril 2003.
(7) Tgi Paris, 17e ch., 16 novembre 2006, Légipresse, avril 2007, p. 72, note A. Tricoire.
(8) Tgi Paris, ordonnance de référé, 4 avril 2003.
(9) Sur cette notion de feintise partagée, on conseillera : A. Tricoire, Petit traité dela liberté de création, La découverte, 2011, p. 162 et T. Hochman, Fiction et libertéd'expression, in www.vox-poetica.org.
(10) CA de Paris, 18 décembre 2008, Légipresse, mai 2009, III, 83, note A. Tricoire.
(11) Cedh, 29 mars 2005, Alinak c. Turquie, n° 40287/98 « il convient néanmoinsde garder présent à l'esprit que le média utilisé par le requérant est le roman, formed'expression artistique qui s'adresse à un public relativement étroit comparé, parexemple, aux mass medias » et déjà dans le même sens en faveur d'un poèmeCedh, Karatas c. Turquie, 8 juillet 1999 (GC), no 23168/94.
(12) C. Bigot, « La procédure en matière de presse en proie aux contradictions »,D. 2011.1467 et aussi N. Bonnal, « Les règles processuelles de la loi de 1881sont-elles toujours applicables devant le juge civil ? », Légipresse 2010, n° 272,p. 19 et s
(13) Rapp. E. Dreyer, « Où va la Cour de cassation en matière de presse ? », Jcp G,2010, aperçu, 833.
(14) CA Paris, 6 juillet 1965, Gaz. Pal. 1966, I, p. 39.
(15) A. Lucas-Schloetter, precit. n° 19.
(16) En ce sens : Civ.1re, 20 nov. 1990, Jcp, 1992.II.210908, note J. Ravanas : « Lesfaits touchant à la vie privée de Mme Monanges avaient été livrés, en leur temps, àla connaissance du public par le compte rendu des débats judiciaires parus dans lapresse locale ; ainsi ils avaient été licitement révélés et partant échappaient à sa vieprivée, Mme Monanges ne pouvant se prévaloir d'un droit à l'oubli pour empêcherqu'il en soit fait à nouveau état » et plus généralement : R. Letteron, « Le droit àl'oubli », Rdp, 1996.385.
(17) Cour de cassation (1re civile), 7 février 2006, n° 04-10941; Jcp 2006.II.10041,note G. Loiseau.
(18) Sur cette recherche d'égalité : voir D. 2011.2487.
(19) CA de Paris, 5 novembre 2008, D. 2009.470, note C. Bigot