Les médias doivent prendre en compte des impératifs autres que des questions d'intérêt général avant de présenter au public un épisode comme un fait. Le droit à la présomption d'innocence et au respect de la réputation des tiers revêt tout autant d'importance, surtout lorsqu'on a aff aire à de graves accusations de délit en matière sexuelle. En l'espèce, des journalistes auteurs d'un article relatant le viol d'une étudiante par les membres d'une équipe de base-ball victorieuse du championnat fi nlandais avaient été condamnés pour diff amation par les juridictions nationales à des peines d'amende et à plus de 80 000 euros de dommages-intérêts. La Cour EDH juge que l'article litigieux, écrit avant l'enquête pénale sur le viol allégué, avait non seulement porté atteinte aux droits des joueurs à être présumés innocents tant que leur culpabilité n'aurait pas été établie, mais les avait aussi diff amés en exposant des éléments qui n'avaient pas encore été établis (non-violation de l'article 10 de la Conv. EDH).
Même si la Cour européenne des droits de l'homme continue, notamment en présence d'un débat d'intérêt général, de privilégier la liberté d'expression des « chiens de garde de la démocratie », elle n'hésite plus aujourd'hui à censurer l'exercice abusif de cette liberté conférant ainsi une certaine eff ectivité au respect des « devoirs et responsabilités » (1) journalistiques.Ainsi, par exemple, dans l'aff aire Stoll c/ Suisse du 10 décembre 2007 (2) relative à la ...
Cour européenne des droits de l'homme, 6 avril 2010, Ruokanen et a. c/ Finlande req. n° 45130/06
Lyn FRANÇOIS
Maître de conférence à l'Université de Limoges.
Vice-doyen de la faculté de ...
(2) L. François, « De l'eff ectivité des devoirs et responsabilités des journalistesd'investigation », D. 2008, p. 2770.
(3) CEDH, 10 décembre 2007, Stoll c/ Suisse, Req. n° 69698/01. Pour un commentairede cet arrêt, voir J.F. Flauss, « Actualité de la Convention européenne desdroits de l'Homme », AJDA 2008, p. 978, spéc. p. 989 ; L. François, « La déontologiejournalistique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits del'Homme », Légipresse octobre 2008, p. 148.
(4) V. CEDH, 29 juillet 2008, Flux c/ Moldavie, Req. n° 22824/04 ; CEDH, 2 oct. 2008,Leroy c/ France, Req. n° 36109/03. Pour un commentaire de ce dernier arrêt, voirL. François, « La liberté d'expression des caricaturistes de presse devant la Coureuropéenne des droits de l'Homme », RLDI 2009/45, n° 1484.
(5) La Cour précise que « seuls des motifs spécifi ques peuvent relever les médias del'obligation qui leur incombe de vérifi er des allégations diff amatoires pour des particuliers.À cet égard, entrent spécialement en jeu la nature et le degré de la diff amationen cause et la question de savoir à quel point le média peut raisonnablementconsidérer ses sources comme crédibles pour ce qui est des allégations ».
(7) CEDH, 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/ France,Req. n° 21279/02 et 36448/02 ; CEDH, 22 mai 2008, Alithia Publishing Company LTDet Constantinides c/ Chypre, Req. n° 17550/03 ; CEDH, 14 oct. 2008, Petrina c/ Roumanie,Req. n° 78060/01.
(8) Sur cette question, V. L. François, « Protection des sources journalistiques :regards critiques sur la nouvelle approche de la jurisprudence européenne »,CCE n° 2, février 2009, étude 3.
(9) V. en ce sens deux résolutions, l'une du Parlement européen du 18 janvier1994 sur la non-divulgation des sources et l'autre du Comité des ministresdes 7 et 8 décembre 1994 relative aux libertés journalistiques et aux droits del'Homme.
(10) V. Recommandation du Comité des ministres du 10 juillet 2003 relative audroit du public à recevoir des informations sur les procédures pénales.
(11) CEDH, 30 mars 2004, Radio France et autres c/ France, Req. n° 53984/00,D. 2004, Somm. P. 1060, obs. C. Birsan, et Somm. 2756, obs. B. de Lamy.
(12) CEDH, 17 déc. 2004, Cumpana et Mazare et autres c/ Roumanie,Req. n° 33348/96 ; CEDH, (GC) 17 déc. 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark,Req. n° 49017/99.
(13) CEDH, 22 mai 2008, Alithia Publishing Company LTD et Constantinides c/Chypre, Req. n° 17550/03.
(14) CEDH, 5 février 2009, Brunet Lecomte et autres c/ France, Req. n° 42117/04.
(15) V. CEDH, 14 octobre 2008, Petrina c/ Roumanie, Req. n° 78060/01. Pour uncommentaire, J.-P. Marguénaud, « L'apothéose du droit à la réputation », RTDciv.2008, p. 648.
(16) V. S. Lavric, « Liberté d'expression : la Cour européenne fait primer le droit àla présomption d'innocence », D. 2010, p. 895.
(17) CEDH, 3 octobre 2000, Du Roy et Malaurie c/ France, Req. n° 34000/96. V. égalementCEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, Req. n° 38432/97.
(18) V. L. François, « La protection de la réputation ou des droits d'autrui et laliberté d'expression. Etude de la jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l'Homme », Légipresse, n° 230, p. 41.
(19) CEDH, 7 juin 2007, Dupuis et autres c/ France, Req. n° 1914/02.
(20) V. par exemple, CEDH, 25 novembre 1999, Nilsen et Johnsen c/ Norvège, Req.n° 23118/93 ; CEDH, 7 juin 2007, Dupuis et autres c/ France, Req. n° 1914/02.
(21) À cet égard, la Juridiction européenne relève que « les requérants n'ont, àaucun moment, mentionné l'absence d'investigation concernant le crime allégué,échouant ainsi de démontrer que la publication litigieuse était d'intérêt public ».
(22) Pour une application récente de cette protection large de la présomptiond'innocence, CEDH, (GC) 17 déc. 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, Req.n° 49017/99.
(23) Dans son rapport sur la dépénalisation de la diff amation, le Parlementeuropéen préconise d'ériger en infractions pénales « l'incitation publique à laviolence, à la haine ou à la discrimination, les menaces à l'égard d'une personne oud'un ensemble de personnes, en raison de leur race, leur couleur, leur langue, leurreligion, leur nationalité ou leur origine nationale ou ethnique dès lors qu'il s'agit decomportements intentionnels ».