PAR DEUX ARRÊTS DU 8 AVRIL 2008, la Cour de cassation a mis fin au marathon judiciaire qui opposait les associations Greenpeace à la société Esso d'une part, et à la Société des participations du Commissariat à l'énergie atomique (SPCEA) d'autre part, depuis maintenant plusieurs années (1).Malgré les nombreux rebondissements auxquels avaient donné lieu ces affaires, les décisions rendues par la Cour de cassation étaient finalement assez prévisibles. Elles méritent pourtant ...
Cour de cassation, 1re ch. civ., 8 avril 2008, Greenpeace France et a. c/SPCEA
(2) Cass. civ. 1re, 8 avr. 2008, n° 07-11.251, Greenpeace France et autres c/SPCEA ; JCP éd.G 2008, II, n° 10106, note C. Hugon; Com. com. électr. 2008/6, Comm. 77, C. Caron; Cass.com., 8 avr. 2008, n° 06-10.961, Esso SA c/Greenpeace France ; Com. com. électr. 2008/6,Comm. 77, C. Caron. La procédure avait débuté par une action en interdiction provisoire fondéesur l'ancien article L. 716-6 du CPI (TGI Paris, ord. réf., 8 juil. 2002, Esso c/Greenpeaceet TGI Paris, ord. réf., 2 août 2002, SPCEA c/Greenpeace ; Légipresse 2002, n° 197, III, p. 215,E. Baud et S. Colombet; décisions elles-mêmes frappées d'appel: CA Paris, réf., 26 févr.2003, 2 espèces, SPCEA c/Greenpeace et Greenpeace c/Esso ; Légipresse 2003, n° 200, III,p. 41, E. Baud et S. Colombet). Elle s'était poursuivie au fond devant le TGI de Paris (TGI Paris,30 janv. 2004, Esso c/Greenpeace ; D. 2004, p. 879; TGI Paris, 9 juil. 2004, SPCEAc/Greenpeace ; Légipresse 2004, n° 217, III, p. 229, M.-E. Haas et A. Cousin) puis la courd'appel de Paris (CA Paris, 4e ch., sect. A, 16 nov. 2005, Esso c/Greenpeace France ;Légipresse 2006, n° 231, III, p. 86, E. Baud et S. Colombet; CA Paris, 4e ch., sect. B, 17 nov.2006, Greenpeace France & Greenpeace New Zealand c/SPCEA ; Propr. ind. 2007/1, Comm.6, P. Tréfigny). Les rebondissements de cette procédure auront été jusqu'au bout puisque lesdeux arrêts étudiés sont eux-mêmes des arrêts de cassation (toutefois prononcée sans renvoidans l'affaire AREVA).
(3) Parmi les très nombreux travaux consacrés à cette question, v. « L'usage de la marqued'autrui, parodie, critique, boycott », in Les clairs-obscurs de la propriété intellectuelle,Colloque CUERPI, Grenoble, 6 déc. 2001, Transactive 2004, p. 71 à 107; E. Baud etS. Colombet, « La parodie de marque: vers une érosion du caractère absolu des signes distinctifs?», D. 1998, chron. p. 227; J. Canlorbe, L'usage de la marque d'autrui, préf.G. Bonet, Litec - IRPI, 2008, n° 287 à 340; B. Edelman, « L'exception de parodie appliquée audroit des marques », Legicom 2001/2, n° 25, p. 97; P.-Y. Gautier, « Critique et propriétésincorporelles », in La liberté de critique, Colloque Rennes, 9 juin 2006, Litec, 2007, p. 79.
(4) Dans ce slogan, les lettres « A », figuraient sur le dessin du corps d'un poisson malade,imitant elles-mêmes le A du logo de la SPCEA.
(5) Seulement provisoire pour ce qui concerne l'affaire Esso puisque la chambre commercialerenvoie à la cour d'appel de Paris le soin de trancher une difficulté relative à l'utilisation de ladénomination Esso dans le Code source du site de l'association Greenpeace France: sur cepoint : C. Caron, obs. précit, n° 4.
(6) Les deux fondements étaient en l'espèce invoqués par la SPCEA et la société Esso.
(7) La Cour européenne des droits de l'homme ayant explicitement reconnu que la protectiond'une marque est attachée à l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Conventioneuropéenne des droits de l'homme: CEDH, gr. ch., 11 janv. 2007, déc. n° 73049/01,Anheuser-Busch c/Portugal ; JCP éd. E 2007, 1409, A. Zollinger.
(8) CA Paris, 4e ch., sect. A, 16 nov. 2005, Esso c/Greenpeace France. La formulationretenue dans l'affaire AREVA par une autre section de la même chambre de la cour d'appel estsensiblement identique: CA Paris, 4e ch., sect. B, 17 nov. 2006, Greenpeace France &Greenpeace New Zealand c/SPCEA.
(9) V. déjà: F. Pollaud-Dulian, sous Cass. civ. 2e, 19 oct. 2006, CNMRT ; JCP éd. G 2006, II,10195.
(10) L'article L. 713-2 du CPI dispose que « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a)La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque ( ), pour des produits ou servicesidentiques à ceux désignés dans l'enregistrement ». L'article L. 713-3 dispose que « Sontinterdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dansl'esprit du public : ( ) b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour desproduits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ».
(11) G. Bonet, « La protection des marques notoires dans le Code de la propriété intellectuelle», in Ecrits en hommage à Jean Foyer, PUF, 1997, p. 189; J. Passa, Traité de droit dela propriété industrielle, t. 1, LGDJ, 2006, n° 388.
(12) Directive CE n° 89/104, 21 déc. 1988.
(13) La cour d'appel de Paris s'y était explicitement référée dans son arrêt rendu dans l'affaireAREVA.
(14) C. Geiger, « Droit des marques et liberté d'expression (de la proportionnalité de la librecritique) », D. 2007, p. 884; G. Lécuyer, Liberté d'expression et responsabilité. Etude de droitprivé, préf. L. Cadiet, Dalloz, 2006, n° 45.
(15) Comme le rappelle constamment la Cour de justice des communautés européennes.V. par exemple CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal Football club ; Propr. intell. 2003,n° 7, p. 200, obs. G. Bonet, point 54; CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Adam Opel ; Propr.intell. 2007, n° 23, p. 239, obs. G. Bonet, points 23 à 25.
(16) J. Canlorbe, op. cit., n° 325 et s. ; J. Passa, Les conditions générales d'une atteinte audroit sur une marque, Propr. ind. 2005/2, Chron. 2, spéc. n° 10; M. Vivant, « Touche pas àmon filtre ! Droit de marque et liberté de création : de l'absolu et du relatif dans les droits depropriété intellectuelle », JCP éd. E 1993, I, 251.
(17) C. Caron, obs. précit.
(18) Cass. ass. plén., 12 juil. 2000 ; JCP éd. G 2000, I, 280, n° 2, G. Viney.
(19) Cass. civ. 2e, 16 juin 2005; D. 2005, p. 2916, E. Agostini ; Légipresse 2006, n° 228, III,p. 12, B. Ader; Cass. civ. 2e, 5 juil. 2000, Bull. civ. II, n° 109.
(20) G. Lécuyer, op. cit., n° 68.
(21) Il est de jurisprudence constante qu'une personne morale, par l'atteinte portée à sa réputation,peut être victime d'une diffamation : Cass. crim., 10 juil. 1937 ; Bull. crim. n° 147.
(22) Un auteur a souligné cette particularité en évoquant « l'indivisibilité de la marque et duproduit »: B. Edelman, « L'exception de parodie appliquée au droit des marques », Légicomprécit., p. 98: « la marque en soi ne signifie rien, elle ne vaut qu'au regard de ce qu'elle désigne.Il apparaît ainsi que le fait de dissocier la marque des produits ou services est une opérationcontre-nature ».
(23) B. Ader, obs. précit.
(24) V. ainsi Cass. crim., 22 mars 1966, Elizabeth Arden ; D. 1966, p. 438; Cass. civ. 1re, 27sept. 2005, Cegipharma ; D. 2006, p. 637, S. Vigand; Légipresse 2006, n° 229, III, p. 38,C. Rojinsky et I. Boubekeur.
(25) Cass. 1re civ., 30 mai 2006, American Airlines ; Com. com. électr. 2006/10, Comm. 147,A. Lepage (représentation des signes de la société American Airlines sur l'empennage d'unavion s'encastrant dans la tour Eiffel, dans le cadre d'un article dénonçant le manque de transparencedes dirigeants civils et militaires quant aux risques d'attentats suicides par voieaérienne).
(26) CJCE, 11 nov. 1997, aff. C-349/95, Loendersloot c/Ballantine ; RTD eur. 1998, p. 600,G. Bonet, point 33.
(27) C. Hugon, obs. précit. ; M.-E. Haas et A. Cousin, note précit., p. 233.
(28) Indétermination d'autant plus regrettable pour le titulaire d'une marque que l'action en diffamationest enfermée dans des conditions très strictes, et qu'il ne peut y trouver un substitutdans l'action en responsabilité civile. Dans ces circonstances, le choix du fondement del'action est évidemment crucial pour lui.
(29) Cass. civ. 2e, 19 oct. 2006, CNMRT ; JCP éd. G 2006, II, 10195, F. Pollaud-Dulian ;Légipresse 2007, n° 239, III, p. 27, E. Baud et S. Colombet.
(30) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, PUF, 2005, n° 246 et s.
(31) Ce que la SPCEA et Esso avaient fait valoir en appel, pour démontrer que la conditiond'usage « dans la vie des affaires » du droit des marques était remplie. Mais dans l'une etl'autre de ces affaires, cette argumentation avait été rejetée. Dans l'affaire AREVA, la courd'appel de Paris avait considéré qu'il n'était pas démontré que les associations Greenpeace« auraient des intérêts personnels qui pourraient les rendre acteurs dans la vie des affaires ».Dans l'affaire Esso, une offre à la vente de t-shirts revêtus des marques litigieuses était reprochéeà Greenpeace. La cour d'appel avait rejeté cet argument, estimant que cette offren'était pas imputable à Greenpeace France personnellement.
(32) On sait que l'abus de droit fait partie des éléments relevant du contrôle de la Cour decassation, particulièrement l'abus de la liberté d'expression (J-Cl Procédure civile, fasc. 792,n° 119). Ici, la cassation est prononcée sans renvoi, conformément à l'article 627, alinéa 2 duCode de procédure civile.
(33) V. CEDH, 22 oct. 2007, déc. n° 21279/02 et 36448/02, July c/France ; JCP éd. G 2007,II, 10193, E. Derieux, point 45: la CEDH se reconnaît compétente pour apprécier si une restrictionse concilie avec la liberté d'expression. En ce qui concerne plus particulièrement la positionde la CEDH sur la critique d'entreprise, v. par exemple: CEDH, 15 févr. 2005, déc.n° 68416/01, Steel & Morris : JCP éd. E 2006, 1308, n° 49, G. Trébulle.