LE LECTEUR CONNAÎT la position claire et ferme de la Cour de cassation en matière de citation d'oeuvres graphiques ou plastiques: la reproduction (1) ou la représentation (2) d'une oeuvre d'art ne peut bénéficier de l'exception au droit d'auteur en faveur des courtes citations (3). Si cette position n'a pas toujours été celle de la Haute juridiction (4), elle paraît aujourd'hui bien assise, suffisamment pour avoir résisté aux assauts de la liberté d'expression (5).Pourtant, l'arrêt ...
Cour d'appel, Paris, 14e ch. sect. B, 12 octobre 2007, SCPE c/SA 1633
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris Varet Près société d'avocats
(2) « La reproduction intégrale d'une oeuvre d'art, quel que soit son format, ne peut en aucuncas s'analyser en une courte citation », Civ. 1re, 22 janv. 1991, Fabris c/Loudmer, JCP 1991,II, 21680, note L. Bochurberg; RTD Com. 1991, 222, note A. Françon, RIDA 148, avr. 1991,119.
(3) « La représentation intégrale d'une oeuvre, quelles que soient sa forme et sa durée ne peuts'analyser comme une courte citation »; Civ. 1re, 4 juill. 1995, Antenne 2 c/SPADEM, JCP1995, II, 22486, note J.-C. Galloux, rejet du pourvoi contre Paris, 1re ch. A, 7 juill. 1992,D. 1993, som. com 91, obs. C. Colombet, infirmant TGI Paris, 3e Ch. 15 mai 1991, JCP 1992,II, 21868 note A. Tricoire.
(4) Article L.122-5, 3° Code de la propriété intellectuelle.
(5) Crim. 19 mars 1926, DP 1926, I, p. 25, note M. Nast.
(6) Civ. 1re 13 nov. 2003, Fabris c/France 2, Légipresse n° 209, mars 2004, III, p. 23, avecnotre note; Dalloz A., J. 200, note N. Bouche.
(7) Civ. 1re, 7 novembre 2006, Légipresse, n° 240, avril 2007, III, 80, note A. Bouvel; RIDA janvier2007, 313; Propriétés Intellectuelles, janvier 2007, n° 22, p. 91, n° 3, obs. J.-M. Bruguière;Comm. Com. Elect., janvier 2007, n° 7, obs. C. Caron.
(8) Ainsi, la cour ne décide pas que l'exception de citation bénéficie à la défenderesse, maisque, celle-ci étant « susceptible de se voir reconnaître le bénéfice » de cette exception, l'existencede la contrefaçon était « sérieusement contestable », laissant ainsi la porte ouverte àl'appréciation des juges du fond. Cela conduit d'emblée, bien sûr, à relativiser la portée de ladécision.
(9) En réalité, à lire les décisions, il semble que la photographie reproduite dans Entrevuen'était pas identique à celle parue dans Newlook, mais une photographie si semblable qu'elleavait manifestement été prise de manière quasi-simultanée, en sorte qu'elle ne pouvait querésulter du même reportage. La 14e chambre A de la cour d'appel estima que 1633 était titulairedes droits y afférents et cette différence minime entre les photographies en cause ne futplus évoquée dans la suite du litige. Paris, 14e ch. Sect. A, 2 février 2005, Légipresse n° 223,juillet-août 2005, III, 131, note A. Bouvel; Comm. Com. Elect., mai 2005, p. 35, n° 79, obs.C. Caron.
(10) Paris, 14e ch. Sect. A, 2 février 2005, réf. citées note précédente.
(12) La cour écarte d'autres moyens de défense et en particulier l'absence de preuve, par lasociété 1633, de la titularité des droits d'auteur invoqués, au motif lapidaire que « le tierspoursuivi en contrefaçon n'est pas recevable à contester la titularité des droits de celui quiagit à son encontre ». On aura reconnu un avatar de la présomption de titularité des droitsposée par la Cour de cassation en faveur de l'exploitant paisible de l'oeuvre, pour lutter contrece moyen de défense trop facile des contrefacteurs.
(13) En ce sens, voir notamment M. Vivant, « Pour une compréhension nouvelle de la notionde courte citation en droit d'auteur », JCP 1989, I, 3372; A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriétélittéraire et artistique, Litec 3e éd. 2006, n° 396; J.-C. Galloux, note sous Civ. 1re, JCP1995, II, 22486; D. Jean-Pierre, « La courte citation d'oeuvres d'art en droit d'auteur »,D. 1995, chron. 39; C. Geiger, « Droit d'auteur et droit du public à l'information », Litec-IRPI2004, n° 408 et suivants ; J.-M. Brugière, obs. sous Civ. 1re, 7 novembre 2006, PI n° 22, janvier2007, p. 91 n° 3. Voir également notre commentaire de Civ. 1re, 13 novembre 2003,Légipresse n° 209 mars 2004, III, 23.
(14) Et plus précisément de la note de M. Adrien Bouvel sous l'arrêt de cassation, réf. citéesnote 6, supra.
(15) CJCE, Marleasing, 13 novembre 1990, R. I-4135; Teodoro Wagner Miret, 16 décembre1993, R. I-6911. Voir D. Simon, Le système juridique communautaire, PUF, 3e éd. 2001,n° 343; M.-F. Labouz, Droit communautaire européen général, Bruylant, 2003, p. 295, et,en droit d'auteur, notamment P.-Y. Gautier, op. cit., n° 24 et 25; et, sur l'ensemble de laquestion, C. Zolinsky, Méthode de transposition des directives communautaires. Étude àpartir de l'exemple du droit d'auteur et des droits voisins, D. 2007.
(16) A. Bouvel, commentaire cité supra, note 6.
(17) Ce qui mérite d'être souligné, dans la mesure où, si le raisonnement proposé perdure, ilest de nature à remettre en cause également la position de la Cour de cassation en matièrede représentations d'oeuvres graphiques et plastiques.
(18) Sur laquelle, voir infra B.
(19) Voir notamment, P.-Y. Gautier, « L'élargissement des exceptions aux droits exclusifs,contrebalancé par le test des trois étapes », in « La loi du 1er août 2006 relative au droitd'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information », dossier collectif, introductionde C. Caron, CCE novembre 2006, étude n° 26; A. Lucas, chronique « Droit d'auteur et droitsvoisins », Propriétés Intellectuelles, n° 20, juillet 2006, n° 297 sq; M. Vivant, « Les exceptionsnouvelles au lendemain de la loi du 1er août 2006 », in « Le nouveau droit d'auteur aulendemain de la loi du 1er août 2006 », Dossier collectif, introduction de P. Sirinelli, D. 14 sept.2006, pp. 2159 sq. Et notre chronique, « Droit d'auteur, la nouvelle exception à fin d'information», Légipresse n° 237, décembre 2006, II, 145.
(20) Et non, au demeurant, par l'article 5, 3, d) de la directive, qui exige seulement la mentionde la source, le respect des bons usages et une proportionnalité au but poursuivi.
(21) Réf. citées, note 1.
(22) En ce sens, A. Bouvel, commentaire de Paris, 2 février 2005, précitée, note 8. Comp.J.-M. Bruguière, obs. sous Civ. 1re, 7 novembre 2006, réf. citées supra note 6, qui, tout enétait favorable à un assouplissement de l'exception, relève que la notion de citation, au senslittéral, paraît impliquer une reproduction partielle.
(23) On peut néanmoins se demander si ces conditions étaient toutes réunies: d'une part, onl'a vu, on ignore si le nom de l'auteur était cité. D'autre part, l'article L.122-5, 9° pose d'autresconditions à l'exception à fin d'information. voir infra, note 25.
(24) Soulignons que la Cour prend soin, avant de conclure, de relever également que les deuxconditions de ce qu'il conviendrait désormais d'appeler le test des deux étapes sont réunies,témoignant ainsi de l'importance que prend désormais ce test dans l'interprétation des exceptions,même si son rôle est ici transparent. Sur ce sujet, v. notamment V.-L. Benabou, « Lesdangers de l'application judiciaire du triple test à la copie privée », note sous Civ. 1re, 28 janvier2006, Légipresse n° 231 mai 2006, III, 71 ; P.-Y. Gautier, « L'élargissement des exceptionsaux droits exclusifs, contrebalancé par le test des trois étapes », CCE nov. 2006,étude n° 26, p. 10; C. Geiger, « La transposition du test des trois étapes en droit français »,D. 2006, Cah. Dt des Aff. 2164.
(25) En ce sens, P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF 6e édition, 2007, n° 23;A. Bouvel, commentaire précité, note 6. Ce raisonnement est fondé sur la jurisprudence dela CEDH, qui condamne l'application de la loi nouvelle aux instances en cours sur le fondementde l'article 6 de la Convention EDH, si elle n'est pas justifiée par d'impérieux besoins d'intérêtgénéral. Si cette solution est reprise par la Cour de cassation (Ass. Plén. 23 janv. 2004,RTD Civ. 2004, 598, obs. P. Deumier) elle implique néanmoins une application au cas par casdu critère proposé.
(26) En effet, tout d'abord, l'article L.122-5, 9° du CPI exige, outre les conditions relevées par lacour d'appel, que l'oeuvre graphique ou plastique reproduite soit en « relation directe » avec l'informationimmédiate qu'elle a vocation d'illustrer. Cette condition est cumulative avec celle du« but exclusif d'actualité immédiate ». Or, la cour d'appel n'explique pas en quoi cette conditionest remplie, même si l'on peut supposer que la photographie en cause était bien en relationdirecte avec les supercheries médiatiques qu'elle illustrait. Ensuite, on pouvait peut-être contester,eu égard à la nature de la photographie et de la publication et sans porter de jugement devaleur sur l'une et l'autre, que la parution litigieuse avait bien un but « exclusif » d'actualité immédiate.Enfin, l'article L.122-5, 9° exclut de son champ d'application les oeuvres, notamment photographiques,visant elles-mêmes à rendre compte de l'information; on eût aimé que la courd'appel, à se prononcer sur les critères d'application de ce texte, indique également pourquoicelui-ci était, selon elle, rempli. Nous pensons pour notre part que c'était le cas, dans la mesureoù ce n'était pas ici le sujet de l'image en lui-même qui illustrait l'information (dans ce cas, laphotographie aurait visé à rendre compte de l'information), mais les conditions initiales de publicationde cette photographie qui illustraient la manipulation de sa propre image par la personnephotographiée. Une sorte de mise en abyme, en somme. Il reste que ce critère sera, dans certainscas, très délicat à manier et qu'il eût été intéressant (et logique) de disposer de la positionde la cour sur ce point. Sur l'ensemble de ces conditions, voir notre article, cité supra, note 18.
(27) A. Bouvel avait suggéré, dans son commentaire (réf. citées supra, note 6) de l'arrêt dela Cour de cassation, les deux moyens utilisés par la cour d'appel dans l'arrêt rapporté, maisde manière indépendante et non combinée, soulignant en outre que la nouvelle exception nedevrait pas s'appliquer au litige objet de la décision (sur ce dernier point, voir infra, II. A).
(28) Article L.431-6 du Code de l'organisation judiciaire. Sur cette question, voir J. et L. Boré,La cassation en matière civile, Dalloz, 3e édition 2003, 4e édition 2007-2008, à paraître.
(29) Nous ne prétendrons pas, ici, analyser techniquement les moyens de cassation à l'encontrede l'arrêt rapporté, et nous contenterons d'apprécier la portée de la décision auregard du droit positif.
(30) Cf. supra, I, A.
(31) En ce sens, A. Bouvel, com. de Civ. 1re, 7 novembre 2006, réf. citées supra, note 6.
(32) C'est bien, en l'état, sur ce dernier argument que la Cour de cassation refuse d'admettre la citation d'oeuvres graphiques ou plastiques (voir supra, note 1), en sorte que sa positionserait radicalement remise en cause par ce raisonnement.
(33) Aff. C-408/01.
(34) En l'occurrence l'article 5.2 de la Directive du 21 décembre 1988 rapprochant les législationssur les marques, qui proposait une protection des marques renommées.
(35) « L'option de l'État membre porte ainsi sur le principe même de l'octroi d'une protectionrenforcée au profit des marques renommées, mais non sur les situations couvertes parcette protection lorsqu'il l'accorde. » Point 20 de l'arrêt Adidas.
(36) C'est que semble suggérer d'ailleurs le Considérant (32), qui parle d'application« cohérente ».
(37) En ce compris les exceptions créées en application de cette directive. Ainsi, pour en resterà l'exception à fin d'information, on peut contester que certaines des conditions poséespar la loi française soient conformes à la Directive, prise à la lettre. Il en est de même, parexemple, de l'exception à fin d'enseignement et de recherche (exclusion de certaines oeuvresdu bénéfice de l'exception, que ne prévoit pas l'article 5.3, a) de la Directive).
(38) V. notamment A. Lucas et P. Sirinelli, « Droit d'auteur et droits voisins », Chronique, PIn° 20, juillet 2006, n° 297 sq; « Le nouveau droit d'auteur au lendemain de la loi du 1er août2006 », Dossier collectif, introduction de P. Sirinelli, in Dalloz, Cahier droit des affaires,14 septembre 2006, n° 31, p. 2154 sq; « La loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur etaux droits voisins dans la société de l'information », Dossier collectif, introduction deC. Caron, in CCE novembre 2006, n° 11, p. 10 sq; T. Desurmont, « Transposition de laDirective 2001/29/CE en France », RIDA n° 210 octobre 2006, p. 111 sq.
(39) Et cela même si une telle solution n'est pas nécessairement propice à la sécuritéjuridique. En ce sens, C. Caron, obs. sous le premier arrêt d'appel, réf. cit. note 8.