LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE d'un statut du journaliste se trouve-t-elle renforcée par l'arrêt Dupuis et autres c/France rendu le 7 juin 2007, par la Cour européenne des droits de l'homme (1)? La question se pose alors que la Cour européenne eut à apprécier la conventionalité de la condamnation de Messieurs Pontaut et Dupuy sur le fondement du délit de recel de violation du secret de l'instruction et de secret professionnel à la suite de la publication de leur ouvrage intitulé Les ...
Cour européenne des droits de l'homme, 3e sect., 7 juin 2007, Dupuis et Pontaut c/France
Alexis GUEDJ
Avocat au Barreau de Paris, docteur en Droit, chargé d'enseignements ...
(2) Cour EDH., 7 juin 2007, 3e section, requête n° 1914/02.
(3) On se souviendra que la « cellule » avait écouté « 120 à 150 personnes, même si une listede 1300 noms ( ) a été découverte dans les archives du préfet Prouteau. L'Élysée, à partirde notes anonymes des renseignements généraux, écoutait tout le monde et n'importe qui ( )dans l'espoir de tomber sur une information qui ferait oublier la pénible affaire des Irlandais deVincennes ( ) et protéger le secret de naissance de la fille naturelle du président de laRépublique, Mazarine Pingeot ». F. Johannes, « Deux mois de procès des écoutes ont mis enévidence l'ampleur des dérives de la cellule de l'Élysée », Le Monde, 7 févr. 2005; également,notre ouvrage, La protection des sources journalistiques, Bruylant, 1998, 256 p., spéc. pp.144-146.
(4) Cour EDH, Dammann c/Suisse, 25 juillet 2007, requête n° 77551/01; l'arrêt est définitif.
(5) De manière intéressante la Cour souligne que la condamnation du journaliste était constitutived'une « ( ) espèce de censure tendant à l'inciter à ne pas se livrer à des activités derecherches, inhérentes à son métier ( ) pareille condamnation (risquant) de dissuader les journalistesde contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité.Par là même, elle est de nature à entraver la presse dans l'accomplissement de sa tâched'information et de contrôle ». § 57.
(6) V. par ex. Cour EDH., Observer et Guardian c/Royaume Uni, 26 novembre 1991, § 69 ouencore Éditions Plon c/France, 18 mai 2004, § 53, et notre commentaire « le grand secret deFrançois Mitterrand devant la Cour européenne des droits de l'homme », Dalloz, 1er juillet 2004,n° 26, J, p. 1838.
(7) Cour EDH., Stoll c/Suisse, n° 69698/01, 25 avril 2006, rendu par quatre voix contre trois,l'arrêt a été soumis à l'appréciation de la Grande chambre de la Cour européenne en vertu del'article 43 de la Convention européenne.
(8) Mutatis mutandis, Cour EDH, Goodwin c/Royaume Uni, 27 mars 1996, § 39 et notre ouvrage,Liberté et responsabilité du journaliste dans l'ordre juridique européen et international, Bruylant,2003, 459 p., spéc. pp. 206-249, « le respect du principe de vérité de l'information ».
(9) Cour EDH, Fressoz et Roire c/France, req. n° 29183/95, 21 janvier 1999. V. G. Cohen-Jonathan et E. Dreyer, « Recel de violation de secret professionnel et garantie de la libertéd'information », LP n° 160, Chronique, pp. 33-40.
(10) Inscrit dans la Déclaration de Munich de 1971 comme dans la Charte des devoirs des journalistesfrançais de 1918. V. notre note, « La protection des sources journalistiques : une lecturedu droit positif à l'aune de la loi Perben II », LP n° 211, II, pp. 53-59
(11) Mutatis mutandis, Cour EDH, Goodwin c/RU, précité, cristallisant dans les motifs de sonarrêt la soft law européenne (4e Conférence ministérielle de Prague sur les médias des 7-8déc. 1994 et Résolution du Parlement européen du 28 janv. 1994 consacrant le principe dusecret des sources des journalistes).
(12) L'ouvrage dont s'agit reproduisait six fac-similés d'écoutes téléphoniques ainsi que la listedes personnes écoutées, documents provenant du dossier d'instruction (§ 8).
(13) « Recherche des causes des dysfonctionnements de la justice et formulation de propositionspour éviter leur renouvellement » (v. le site de l'Assemblée Nationale). V. J. Dematteiset N. Poujol-Gibot Leclerc, « Peut-on supprimer l'article 11 du Code de Procédure Pénale relatifau secret de l'instruction? », JCP, G, I, 170, n° 41, 2002.
(17) Rappelons que selon la Cour européenne, « une grande prudence s'impose » lorsque « lesmesures prises ou les sanctions infligées par l'autorité nationale sont de nature à dissuader lapresse de participer à la discussion de problèmes d'un intérêt général légitime » (Cour EDH,Bladet Tromso c/Norvège, § 64; Jersild c/Danemark, § 35). Aussi, que « la nature et la lourdeurdes sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agitde mesurer la proportionnalité de l'ingérence » (Cour EDH, Sürek c/Turquie n° 1, § 78; Chauvyet autres c/France, § 78).
(18) E. Dreyer, « Recel de violation de l'instruction et droits de la défense », JCP, G, II, 10061,avril 2003, note sous Crim. 11 juin 2002 ; v. également Crim. 11 avril 2003, BC n° 29.
(19) Crim., 19 juin 2001, BC n° 149; Crim. 25 octobre 2005, n° 05-81-457; jurisprudencesrendues dans la « lignée » de l'arrêt rendu par la Chambre criminelle le 3 avril 1995 (BC n° 142)et qui fit l'objet d'un arrêt de condamnation rendu par la Cour EDH dans l'affaire Fressoz etRoire précitée.
(20) B. Ader, note sous le jugement, 17e chambre correctionnelle, Paris, 14 novembre 2006,Ministère public c/Levy, Ardid et a ; LP n° 238, III, pp. 16-20.
(21) Crim. 12 juin 2007, Pourvoi n° 06-87361.
(22) En référence à l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.
(23) Comment apprécier le respect des règles « éthiques » et/ou « déontologiques »? Auregard de quels standarts. Également, à partir de quel seuil peut-on estimer qu'une informationa fait l'objet d'une « large diffusion » ou d'une « médiatisation » la rendant accessible?
(24) Tant sur le fondement de l'article 10 que de l'article 6 § 2 de la Convention européenne.En tout état de cause, et concernant la « qualité de la loi », il n'est pas inutile de rappeler lamotivation de la Cour européenne dans l'arrêt Sunday Times du 26 avril 1979 : « Aux yeux dela Cour, les deux conditions suivantes comptent parmi celles qui se dégagent des mots "prévuespar la loi". Il faut d'abord que la "loi" soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoirdisposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normesjuridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une "loi"qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite;en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnabledans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un actedéterminé » (§.49).
(25) Toute publication d'un « acte d'accusation » n'étant pas nécessairement constitutive d'uneatteinte à la présomption d'innocence visée à l'article 11 du Code de procédure pénale. Sur ladévolution du droit d'agir sur le fondement de l'article 38 de la loi de 1881 au Ministère public :TGI Paris, 5 février 1996, D. 1996, 230, note B. Beignier ; Crim. 9 juillet 1926, DH 1926, 534.
(26) Nous paraphrasons l'opinion dissidente des juges Widhaber, Borrego Borrego et Sikuta,jointe à l'arrêt Stoll c/Suisse (préc.), rendu par 4 voix contre 3 (cf. l'arrêt n'est pas définitif).