L'ARRÊT RENDU PAR LA PREMIÈRE chambre civile de la Cour de cassation le 14 novembre 2006 (1) vient clore une affaire ayant donné lieu à des décisions remarquées (2).Le litige renvoie, en effet, à la question essentielle, et d'une actualité parfois brûlante, de la confrontation entre la liberté d'expression et le respect des croyances religieuses.Une association avait sollicité du juge des référés l'interdiction, sous astreinte, d'une publicité pour une ligne de vêtements ...
Cour de cassation, 1re ch. civile, 14 novembre 2006, Société GIP c/ Association croyances et libertés et a.
Bertrand de Lamy
Professeur à l’Université Toulouse I Capitole
IRDEIC- Centre d’excellence ...
(2) 1re Civ, 14 nov. 2006 : GP 17-18 nov. 2006, p 8, avis de l'Avocat Général J.-D. Sarcelet ;GP 10-12 déc. 2006, p 9, note G. Gonzalez.
(3) TGI Paris, or. réf. 10 mars 2005 : D. 2005, p 1326, note P. Rolland ; JCP G 2005, II, 10109,note Ph. Malaurie CA Paris, 8 avril 2005 : D. 2005, p 1326, note P. Rolland ; JCP G 2005, II,10109, note Ph. Malaurie ; GP 21 avril 2005, n° 111, p 8, obs. de Mme le Substitut généralGizardin ; GP 10 nov. 2005, n° 314, p 17, note Henry Vray ; Légipresse 2005, III, p 143, noteH. Leclerc.
(4) Art. 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
(5) Sur ce droit : Th Massis, Respect des croyances, dignité et loi du 29 juillet 1881, Légipresse2002, II, p 172. Également, l'étude de J.-F. Flauss, « La diffamation religieuse en droit international», LPA 2002, n° 146, p 5.
(6) Pourtant, dans un arrêt précédent relatif au film La dernière tentation du Christ, la Haute juridiction avait indiqué : « Mais attendu que le principe de la liberté d'expression, notammenten matière de création artistique, d'une part, comme, d'autre part, celui du respect dû auxcroyances et le droit de pratiquer sa religion étant d'égale valeur, il appartenait aux juges dufait de décider des mesures appropriées à faire respecter ce nécessaire équilibre » (1re civ.,29 oct. 1990, bull n° 226).
(7) Cour EDH, 20 septembre 1994, Otto Preminger Institut/Autriche, § 47.
(8) Arrêt Otto Preminger institut, op. cit., § 55.Certains auteurs critiquent la Cour pour ce recours à l'article 9 de la Convention afin de justifierla délimitation de la liberté d'expression et considèrent que la Cour avoue, par là même,que les dispositions du § 2 de l'art 10 étaient insuffisantes (par exemple M. Candelasorianoet A. Defossez, « La liberté d'expression face à la morale et à la religion : analyse de la jurisprudencede la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH 2006, p 817). Ce point devue n'est pas convaincant en ce qu'il ne distingue pas les limites propres à une liberté et sanécessaire conciliation avec d'autres droits fondamentaux qui justifie avec plus de force lesbornes posées et l'ampleur de la marge d'appréciation confiées aux autorités nationales mieuxà même de procéder à cette conciliation au vu du contexte national de chaque affaire.
(9) L Josserand, De l'esprit des droits et de leur relativité, réédition Dalloz 2006, n° 156 et s ;spéc. n° 158 et 165.
(10) Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 2006/2007,n° 6864 : « La conception doctrinale la plus convaincante de l'abus de droit reste celle deJosserand (inspirée de Durkheim). L'abus est l'acte contraire au but de l'institution, à son esprit,à sa fonction sociale, à sa finalité. L'abus de droit ne se caractérise pas par l'intention de nuire,mais simplement en détournant un droit de son objet »
(11) Arrêt Otto Préminger Institut, op. cit., § 49 ; également 4 décembre 2003, Gunduz/Turquie,§ 37.
(12) Arrêt Gunduz, op. cit., § 44.
(13) Cour EDH, 31 janvier 2006, Giniewski/France, Légipresse 2006, n° 230, III, p 43, noteE. Derieux ; et à propos de cet arrêt : P.F. Docquir, « La Cour européenne des droits de l'hommesacrifie-t-elle la liberté d'expression pour protéger les sensibilités religieuses ? » RTDH 2006,p. 839.
(14) Idem, § 45
(15) Idem, § 50.
(16) Idem, § 51.
(17) Cour EDH, 2 mai 2006, Aydin Tatlav/Turquie, § 28.
(18) Par exemple: P Waschmann, «La religion contre la liberté d'expression : sur un arrêt regrettablede la Cour européenne des droits de l'homme », RUDH 1994, p 463.
(19) Cour EDH, 10 juillet 2003, Murphy contre Irlande, § 65 ; également Cour EDH, 13 décembre2005, I. A. /Turquie, § 24.
(20) Arrêt Murphy, op. cit., § 67.
(21) Arrêt I. A. /Turquie, op. cit., § 24.
(22) Cour EDH, 25 novembre 1996, Wingrove/Royaume-Uni, § 63
(23) Voir par exemple : Arrêt Aydin Tatlav/Turquie, op. cit., § 28.
(24) Op. cit.. § 56.
(25) Op. cit.. § 67.
(26) Par exemple, arrêt Murphy, op. cit., § 67.
(27) Ass. Plén. 12 juillet 2000, deux arrêts, Bull 2000 AP n° 8; BICC 2000 n° 523, concl. Joinet etrapp. Durieux; Comm commerce électronique 2000, comm. n° 108, A.Lepage; JCP G 2000 I 280n° 1. G.Viney ; RTD Civ 2000, p 845, P. Jourdain ; D. 2000 somm. p 463, P. Jourdain.Voir également TGI Paris, réf. 21 fév. 2002, JCP G 2003, II, 10064, Ph. Malaurie. Dans cetteaffaire, qui concernait l'affiche du film Amen, il est affirmé que « le principe de légalité exigeque toute restriction apportée à la liberté d'expression soit inscrite dans le droit positif ; queseule l'existence d'une diffamation au sens de la loi sur la presse serait susceptible de caractériserle trouble allégué ».
(28) Art. 33 al. 3, loi du 29 juillet 1881.Assemblée Nationale, proposition de loi n° 2895, visant à interdire les propos et les actes injurieuxcontre toutes les religions, présentée par J.-M. Roubaud, enregistrée à la Présidence del'Assemblée Nationale le 28 fév. 2006. Ce texte entend insérer un nouvel alinéa à l'article 29de la loi du 29 juillet 1881, selon lequel « Tout discours, cri, menace, écrit, imprimé, dessin ouaffiche outrageant, portant atteinte volontairement aux fondements des religions, est uneinjure ».
(29) CA Paris, 8 avril 2005, op. cit. : répond à l'argument selon lequel une injure ne saurait êtreconstituée d'une image sans texte, alors que l'article 29 al. 2 de la loi de 1881 « définit l'injurecomme étant toute expression outrageante qui ne renferme l'imputation d'aucun fait et que,dès lors, la représentation d'une scène sacrée travestie à seule fin d'une publicité commercialepeut, comme en l'espèce, faire outrage aux convictions religieuses d'autrui fondées surun récit près de deux fois millénaires et célébré quotidiennement dans la liturgie catholique ».
(30) Crim. 14 fév. 2006, bull n° 42; Droit pénal 2006, comm. 67, M. Veron ; Légipresse 232-III,p. 116, com. : A. Tricoire.
(31) En ce sens TGI Paris, 10 mars 2005 et CA Paris, 8 avril 2005, op. cit. Les juges d'appelexpliquent : « que cet événement fondateur du christianisme, lors duquel Jésus-Christ instituale sacrement de l'eucharistie, fait incontestablement partie des éléments essentiels de la foicatholique ».
(32) Voir TGI Paris, 10 mars 2005 et CA Paris, 8 avril 2005, op. cit. Sur la question de la diffusiondu message, voir, notamment, les obs. de M. J.-M. Léger, « La pub nous fera-t-elle perdrefoi en la justice ? », Légipresse, 2005, II, p 55.
(33) TGI Paris, 10 mars 2005 et CA Paris, 8 avril 2005, op. cit.
(34) Cour EDH, 25 mars 1985, Barthold/RFA.
(35) Cour EDG, 20 novembre 1989, affaire Markt Intern Verlag GMBH et KlaussBeermann/Allemagne.
(36) Cour EDH, 24 février 1994, Casado Coca/Espagne.
(37) Cour EDH, 11 décembre 2003, Krone Verlag GmbH et Co. KG/Autriche, § 31.
(38) TGI Paris, 10 mars 2005, op. cit.
(39) Sur la liberté à accorder à la publicité, voir les réflexions de B. Edelman, note sous CAParis, 28 mai 1996, D. 1996, JP, p 617.
(40) Voir l'article de Ch. Choucroy, « Le juge des référés et la religion », in Mélanges P. Drai,Dalloz, 2000, p 523.