LA PUBLICATION, sans doute tout aussi anodine qu'inutilement blessante et dangereusement provocatrice, des caricatures de Mahomet (1) a récemment suscité émotion et polémiques. Dans leur vivacité, de telles réactions ont probablement été motivées au moins autant par des tentatives de récupération politique de l'événement et de manipulation des opinions, qu'au nom de la foi ou du fait de consciences, de croyances ou de convictions religieuses offensées. Dans un tel contexte, la ...
Cour européenne des droits de l'homme, 31 janvier 2006, P. Giniewski c/ France
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
(2) Pour quelques réflexions relatives à cette affaire, voir notamment « Les suites de l'affaire descaricatures du prophète Mahomet» (dossier spécial), La Croix, 17 février 2006, pp. I.-IV. Des proposde M. Hubert Védrine, qui résument bien des analyses, on retiendra plus particulièrement leséléments suivants : « Dans l'affaire des caricatures, le monde musulman réagit sur la base de sesvaleurs, pas des nôtres, même s'il est évident qu'il y a eu instrumentalisation délibérée par la Syrieet l'Iran ( ) Aujourd'hui, le monde musulman réagit devant la caricature de son prophète commele monde catholique réagissait autrefois devant un blasphème ( ) Il ne faut pas faire n'importequoi au nom de notre sacro-sainte liberté d'expression, en réalité bornée par des lois. Les caricaturesrécentes font partie de cette liberté ; il n'empêche qu'elles seront contre-productives. Ausein du monde musulman, les extrémistes y puiseront un prétexte pour refuser la liberté d'expression,assimilée à blasphème. Ce n'est pas malin, même si les manifestations, plusieurs mois après,ont été, bien sûr, télécommandées. Il faut être rigoureux et clair chez nous, mais dans un esprit dedialogue et de fraternité, ne pas pousser les musulmans à se replier sur eux-mêmes ". Présentantle dossier, M. Kubler exprime le souci de " faire valoir l'une et l'autre de ces deux libertés, d'expressionet de religion, si difficiles à conjuguer, mais fondamentales, entre lesquelles nul ne sauraitêtre sommé de choisir ( ) C'est une affaire de droit mais aussi de vivre ensemble».
(3) En ce sens, voir notamment : Derieux, E., « Justice pénale et droit des médias », Justices,n° 10, avril-juin 1998, pp. 133-149 ; Derieux, E., « La responsabilité des médias. Responsables,coupables, condamnables, punissables ? », JCP1993.I.153.
(4) Derieux, E., « La loi du 15 juin 2000 et le droit de la communication », LPA, 18 juillet 2000,pp. 16-19; Leclerc, H., "» Commentaire de la loi du 15 juin 2000 », Légipresse, septembre 2000,n° 174.IV.86-88.
(5) Bigot, Ch., « Le point sur l'application des articles 53 et 55 de la loi sur la presse du 29 juillet1881 devant la juridiction civile », Gaz. Pal. 1996.II. doctr.828 ; Bigot, Ch., «Diffamation etprocédure civile : un état des lieux toujours provisoire», Légipresse, juil.-août 1998, n° 153.II.77-83; Derieux, E., « Responsabilité civile des médias. Exclusion de l'application de l'article 1382 du Code civil aux faits constitutifs d'infraction à la loi du 29 juillet 1881 », CCE, février 2006, pp.15-21 ; Feydeau, M.-Th., « Le juge civil et l'application de la loi sur la presse », Liberté de lapresse et droits de la personne, Dalloz, pp. 55 s. ; Guerder, P., «L'évolution récente de la jurisprudencecivile en matière de presse», Rapport annuel de la Cour de cassation, 1999; Guerder, P.,«L'harmonisation des règles de procédure dans les procès de presse », Le droit de la pressede l'an 2000, Victoires Éditions, pp. 55-69 ; Lacabarats, A., «L'application par le juge civil desdispositions de la loi du 29 juillet 1881 », JCP1997.II.22938; Landry, B., «L'application des règlesde procédure de la loi de 1881 devant la juridiction civile : le point de vue d'un avocat », Libertéde la presse et droits de la personne, Dalloz, pp. 59 s. ; Louvet, M.N., « La loi de 1881 et la possibleincompétence de la juridiction civile », Légipresse, mai 1998, n° 151.II.57-58 ; Mallet-Poujol, N., « Abus de droit et liberté de la presse. Entre droit spécifique et droit commun, l'autonomiebrouillée de la loi de 1881 », Légipresse, juil.-août 1997, n° 143.II.81-88 ;Martin-Valente, S., « La place de l'article 1382 du Code civil en matière de presse depuis lesarrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000. Approche critique », Légipresse, juin 2003,n° 202.II.71-77 et juil.-août 2003, n° 203.II.89-94 ; Mayaud, Y., « Les abus de la presse ou la partrespective des responsabilités pénale et civile », Rev. sc. crim. 1996.120 ; Rojinsky, C.,«L'autonomie inachevée du droit de la presse », Légipresse, juil.-août 2002, n° 193.II.85-91
(6) Cass. Ass. plén., 12 juil. 2000, Consorts Erulin et Cass. Ass. plén., 12 juil. 2000, ConsortsCollard, LPA, n° 161, 14 août 2000, pp. 4-10, note E. Derieux ; Légipresse, oct. 2000,n° 175.III.153, concl. Avocat général L. Joinet ; JCP 2000.I.280, obs. G. Viney ; CCE 2000,comm. 108 et les obs.
(7) Bigot, Ch., « Les règles de poursuite relatives aux infractions prévues par la loi sur la presse »,Connaître la loi de 1881 sur la presse, Victoires Éditions, 2004, pp. 149-168 ; Bigot, Ch., «Unan de droit processuel de la presse », CCE, février 2006, pp. 8-13 ; Derieux, E., « Poursuite desinfractions », Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, pp. 400-410 ; Dreyer, E.,« L'engagement des poursuites », Droit de l'information. Responsabilité pénale des médias,Litec, 2002, pp. 191-256 ; Granchet, A., « Le droit de la presse : une spécialité légitime oudépassée ? Compte rendu du Forum Légipresse», Légipresse, nov. 2005, n° 226.II.121-127 ;Véron, M., « Le parcours procédural en matière d'injures et de diffamations envers les particuliers», Ass. fr. droit pénal, Liberté de la presse et droit pénal, PUAM, 1994, pp. 67-78.
(8) Sur ce thème, voir notamment : Derieux, E., «Diffamations, injures et convictions religieusesen procès. L'état de la jurisprudence nationale », Droit et religions, vol. I, 2005, PUAM, pp.105-126 ; Massis, Th., « La liberté de conscience, le sentiment religieux et le droit pénal» ,Dalloz, 1993.chron.109 ; Massis, Th., «Convictions, respect des croyances et liberté d'expressionà travers la presse et les médias », Légipresse, mai 1996, n° 131.II.41-47 ; Massis, Th.,« Respect des croyances, dignité et la loi du 29 juillet 1881 », Légipresse, décembre 2002,n° 197.II.172-174 ; Rolland, P., « La critique, l'outrage et le blasphème », note sous TGI Paris,réf., 10 mars 2005 et Paris, 8 avril 2005, D2005.J.1326.
(9) Derieux, E., « Faut-il abroger la loi de 1881?», Légipresse, septembre 1998, n° 154.II.93-100.
(10) Selon une formule reprise dans différents arrêts, la CEDH pose que « la liberté d'expressionvaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considéréescomme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pasde société démocratique» (CEDH, 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c/ Autriche;CEDH, 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni c/ France ).
(11) Dans le contexte de la publication des "caricatures" de Mahomet, on notera cependantque, dans l'arrêt Otto-Preminger-Institut c/ Autriche(pays dont l'auteur de l'article litigieux dansla présente espèce a la nationalité), du 20 septembre 1994, la CEDH a approuvé les juridictionsautrichiennes d'avoir considéré qu'un film « où texte et images présentent Dieu le Père commeun idiot sénile et impotent, le Christ comme un crétin et Marie, mère de Dieu, comme unedévergondée au langage correspondant, et où l'Eucharistie est tournée en ridicule, répond àla définition du délit de dénigrement de doctrines religieuses», au sens du Code pénal autrichien,et, en conséquence, a estimé que l'interdiction et la confiscation dudit film n'ont pasviolé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.
(12) Pour une analyse de la jurisprudence de la CEDH en la matière, voir : Rolland, P., « Existe-t-ilun droit au respect des convictions religieuses dans les médias? Sur une jurisprudence récentede la Cour européenne des droits de l'homme», Droit et Religions, PUAM, Vol. I, 2005, pp. 75-90.