LE 12 JUILLET DERNIER, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt fondamental (1) sur une notion controversée de droit de la concurrence et sur laquelle les juges du droit n'avaient encore jamais eu l'occasion de se prononcer : il s'agit de la théorie dite des infrastructures essentielles (ou essential facilities en anglais) (2). Cette théorie permet, lorsque ses conditions sont réunies, de forcer le détenteur d'une infrastructure qualifiée d'essentielle à en ...
Cour de cassation, Ch. com., 12 juillet 2005, Sté NMPP c/ Sté MLP et ministre de l'Économie des Finances et de l'Industrie
(3) Sur cette notion, voir notamment Thill-Tayara et Couadou, Contrats Conc. Consom, Chron. 6.
(4) Décision n° 03-MC-04 du Conseil de la concurrence du 23 décembre 2003.
(5) Le logiciel "Presse 2000", propriété des NMPP.
(6) S. Lemarchand, aff. NMPP : « s'oriente-t-on vers une nouvelle limite au droit d'auteur du logicielau nom de la libre concurrence ? » : Propr. intell. 2004, n° 11, p. 626.
(7) Dans ces conditions, il semble que TID ne puisse pas à proprement parler être considérécomme un logiciel totalement équivalent à Presse 2000 : s'il permet aux MLP d'assurer lesmêmes opérations (que les NMPP grâce à Presse 2000) « en amont du dépositaire», tel n'estpas le cas « en aval du dépositaire».
(8) La Cour aurait pu ajouter à cet égard, qu'en tout état de cause, l'accès direct demandé parles MLP ne vise en définitive qu'à mettre en place une interface entre Presse 2000 et TID. Or,la directive CE de 1991 sur les logiciels dispose expressément que les interfaces sont endehors du champ de la protection des logiciels par le droit d'auteur. Le Conseil de la concurrencelui-même, dans sa décision relative à l'exécution de l'injonction faite aux NMPP, a considéréque les droits de propriété intellectuelle dont se prévalent ces dernières n'étaient pasétablis (décision n° 04-D-34 ; § 52).
(9) Décision de la Commission du 3 juillet 2001, Affaire Comp D3/38.044, NDC Health/IMSHealth.
(10) Doris Marcellesi, « Logiciels : les limites des droits d'auteur », Les Échosdu 23 septembre2005.
(11) Alain Ronzano, « Rappel à l'ordre de la Cour d'appel de Paris, dans l'affaire des NMPP »,creda-concurrence@cru.fr.Alain Ronzano remarque : « Qu'il nous soit néanmoins permis demarquer un certain étonnement devant le caractère quelque peu péremptoire de l'affirmationde la Chambre commerciale de la Cour de cassation selon laquelle les MLP avaient admis qu'ellesétaient en mesure, matériellement et financièrement, de concevoir un logiciel équivalent àcelui des NMPP. La lecture de la décision du Conseil semble à cet égard montrer que les chosesn'étaient pas aussi évidentes que pourrait le laisser penser le présent arrêt.»
(12) Verizon Communications INC v/ Law Offices of Curtis v/ Trinko LLP (2004 WL 51011 ).Pour exprimer son scepticisme sur la théorie des infrastructures essentielles, la Cour Suprêmese réfère expressément à un article très critique du Professeur Areeda sur cette théorie quiinsiste sur la nécessité de fixer des limites très claires à son application (« Areeda, essentialfacilities : an epithet in need of limiting principles », 58 AntitrustL. J. 841 (1989)).
(13) « La Cour de cassation a, en revanche, fait le choix d'une application apparemment rigoureusedes " critères Bronner ", même si elle n'a cité aucune jurisprudence de la CJCE dans sonraisonnement concis», « Facilités Essentielles : une doctrine en mal de limites, Memorandumd'Alerte », Latham & Watkins, http://www.lw.com/resource/Publications/ClientAlerts/clientAlert.asp?pid=1334
(14) La jurisprudence Bronner est un cadre d'analyse d'autant plus inadapté à l'affaire NMPPqu'il est impossible aux MLP de développer une infrastructure alternative « en collaborationavec d'autres» comme y invite l'arrêt Bronner. Comme le note le Conseil, les dépositaires ontmanifesté leur hostilité à l'établissement d'un système informatique parallèle au système desNMPP. Quant aux éditeurs, les seuls susceptibles de rejoindre les MLP pour s'associer à leureffort afin de constituer un système alternatif doivent être « conquis» auprès des NMPP. Deplus, ces éditeurs, loin de vouloir contribuer à l'effort informatique des MLP, posent souventcomme condition préalable à leur transfert vers les MLP la constitution par ces dernières d'unsystème informatique complet et aussi performant que les NMPP.
(15) Cf. supranote n° 8.
(16) Cf. supranote n° 8 (§ 92 de la décision).
(17) C'est-à-dire, d'une part, en insistant davantage, conformément à la récente jurisprudenceIMS de la Cour de justice, sur le rôle joué par les dépositaires dans le développement de Presse2000 et, d'autre part, en soulignant que TID n'est pas équivalent à Presse 2000, puisque danssa configuration actuelle, conforme à la volonté des dépositaires et de leur syndicat, TID nepermet pas de communiquer avec les diffuseurs (c'est-à-dire le Niveau 3 du réseau de distributionde la presse nationale).
(18) Décision de la Commission du 24 mars 2004, Affaire Comp /C-3/37.792 Microsoft.Au paragraphe 586 de cette décision qui a obligé Microsoft à permettre la mise en oeuvre d'uneréelle interopérabilité entre son système d'exploitation dominant sur le marché et les applicationsdes concurrents, la Commission, sans faire la moindre référence à la notion d'infrastructureessentielle, insiste clairement sur l'importance de l'interopérabilité pour les concurrentsde Microsoft : « le comportement de Microsoft s'agissant de la révélation des informationsd'interface [information permettant l'interopérabilité] doit être analysé au regard des deux élémentsclés soulignés ci-dessus. Premièrement, Microsoft bénéficie d'une position de forceextraordinaire sur le marché des systèmes d'exploitation pour les ordinateurs PC clients.Deuxièmement, l'interopérabilité avec le système d'exploitation du PC client revêt une importanceconcurrentielle significative sur le marché des systèmes d'exploitation des serveurs d'administration».
(19) Décision de la Commission du 2 juin 2004, Affaire Comp /38.096 PO / Clearstream.Dans cette affaire, la Commission ne se réfère pas non plus à la notion d'infrastructure essentielleet a pourtant obligé Clearstream à octroyer aux concurrents un " accès direct " à son systèmede compensation considéré comme un partenaire obligé.