La jurisprudence se montre hostile à l'exploitation publicitaire non autorisée de la parodie d'une uvre ou de la caricature d'une personne. Cependant les fondements juridiques invoqués ne sont pas très satisfaisants et la qualité juridique de la parodie est le plus souvent ignorée. Une appréciation de l'exception de caricature sur le terrain de la notion d'uvre de l'esprit peut-elle légitimer cette démarche marchande ?
L'EXCEPTION DE CARICATURE a récemment connu une extension légitimement contrariée en droit des marques (1) qui traduit néanmoins une revendication de certains plaideurs au droit naturel ? à l'humour (2).Sans s'attarder ici sur le bien fondé d'une telle revendication qui se traduit çà et là par une tolérance inhabituelle (3) de juridictions sensibles aux traits d'esprits, le droit n'est pas si sévère qu'il dénie à l'humour toute incidence juridique.En conférant à la ...
(1) * La présente étude a fait l'objet d'une parution dans RLDI 2005/3, n° 54.
(2) Notamment, TGI Paris, 9 juillet 2004, JCP E., 18 novembre 2004, n° 47,Jurisprudence n° 1688, note Isabelle Leroux. Dans ce jugement, le tribunal,sans référence à la notion de caricature, écarte la contrefaçon mais retient ledénigrement du fait de l'association de la marque Areva à l'image de la mort La parodie de marque n'est pas ici étudiée tant en raison de ce que recouvreen réalité l'expression que des règles spécifiques portant sur l'utilisation publicitairede la marque d'autrui.
(3) B. Ader, « Le droit à l'humour », Légicom, 1994, n° 3, p. 63.
(4) Notamment, CA Versailles, 26 juin 1997, Gaz. Pal., 21 novembre 1997,somm., p. 23, qui admet qu'une société puisse dans sa publicité faire référence« de manière amusante» au slogan d'un concurrent ; TC Paris, 18 novembre1996, Gaz. Pal., 1er et 3 juin 1997, Jurisprudence, p. 22.
(5) L'article L. 122-5, 4°, dispose que « lorsque l'uvre a été divulguée, l'auteurne peut interdire ( ) la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu deslois du genre».
(6) S'agissant des droits voisins, l'article L. 211-3, 4° dispose que « les bénéficiairesdes droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire ( ) la parodie,le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre».
(7) La parodie est définie comme « une imitation burlesque (d'une uvresérieuse) ou une contrefaçon ridicule» ( Le Petit Robert). Le pastiche est une« uvre littéraire ou artistique dans laquelle l'auteur a imité la manière, lestyle d'un maître, par exercice de style ou dans une intention parodique» ( LePetit Robert). La caricature est un « dessin ou peinture qui, par le trait, lechoix des détails, accentue ou révèle certains aspects (ridicules, déplaisants)». Sur le fait que la distinction n'a pas d'incidence juridique, voir notammentA. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique,Litec, 2e éd., p. 288, n° 342. On a retenu ici, comme la doctrine nous y incite,le terme parodie pour désigner collectivement les genres visés par le Codede la propriété intellectuelle.
(8) CA Paris, 18 octobre 2000, Juris-Datan° 129098.
(9) Cass. civ. 1, 13 janvier 1998, Légifrancen° 95-13694.
(10) L'image humoristique et la propriété intellectuelle, Image et Droit, sous ladirection de Pascale Bloch, Institut de Recherches en Droit des Affaires,Université Paris 13, Éd. L'Harmattan, 2002, p. 128, note 60.
(11) TGI Nancy, 15 octobre 1976, JCP1977, II, 18526, note R. Lindon.
(12) TGI Paris, 2 octobre 1996, Légipresse1997, n° 138, I, p. 4.
(13) En ce sens, Nicolas Boespflug, sous CA Paris, 9 septembre 1998, Gaz.Pal. 25/26 novembre 1998, somm. p. 29 Dans cette affaire, la cour avait pourtantjugé que la reproduction d'une caricature de M. Propre sur des t-shirts commercialisésrelevait de l'exception visée à l'article L. 122-5, 4° du Code de lapropriété intellectuelle. En revanche, il s'agissait pour la cour d'une exploitationinjustifiée d'une marque renommée. Voir également, Marion Depadt-Bels, encommentaire d'un jugement du TGI de Paris du 13 février 2001, Gaz. Pal.14/16 octobre 2001, somm., p. 53.
(14) Le droit à l'image et la caricature à l'épreuve du marché, JCPG., 1998, II, 10082
(15) Anne-Emmanuelle Kahn, JCLPropriété littéraire et artistique, Droits voisins dudroit d'auteur, Fasc. 1436, n° 16 et s.; André Lucas, Droits des auteurs, Exceptionsau droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248,2004, n° 19, 23 et 74; Pour une critique de l'absolutisme des droits de propriétéintellectuelle, voir Christophe Geiger, « Les droits fondamentaux, garanties de lacohérence du droit de la propriété intellectuelle », JCPG., 2004, I, 150.
(16) André Lucas, «Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif », JCLCivilannexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n° 13.
(17) André Lucas, «Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif », JCLCivilannexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n° 76.
(18) A. Francon, « Questions de droit d'auteur relatives aux parodies et productionssimilaires », Droit d'auteur1988, p. 302.
(19) La formule est désormais classique. Pour une application récente, voirCass. civ. 2, 30 juin 2004, Légifrancen° 02-19599.
(20) CA Paris, 9 septembre 1998, Gaz. Pal., 25 et 25 novembre 1998, somm.,p. 29. La cour juge que la commercialisation de t-shirts reproduisant le personnagede M. Propre n'est pas illicite au regard du droit d'auteur dès lors quece personnage a été caricaturé. Cet arrêt a été rendu sur appel d'un jugementdu TGI de Paris du 5 juin 1996 ( Gaz. Pal. 1996, p. 524) qui avait pour sa partécarté l'exception de parodie au motif que « l'examen comparatif des dessinsinvoqués et querellés avère le caractère servile et non pas caricatural de lareproduction de l'élément figuratif représentant le personnage de M. Propre».
(21) Arrêt du 22 mai 1990, Autronic AG, n° 178 : « Selon la Cour, ni le statutjuridique de société anonyme, ni le caractère commercial de ses activités ni lanature même de la liberté d'expression ne sauraient priver Autronic AG du bénéficede l'article 10 (art. 10). Ce dernier (art. 10) vaut pour toute personne,physique ou morale. La Cour en a d'ailleurs déjà constaté par trois fois l'applicabilitéà des personnes morales poursuivant des buts lucratifs (arrêts SundayTimes du 26 avril 1979, série A n° 30, Markt Intern Verlag GmbH et KlausBeermann du 20 novembre 1989, série A n° 165, et Groppera Radio AG etautres du 28 mars 1990, série A n° 173)».
(22) Cass. crim., 3 novembre 2004, Légifrancen° 04-81123.
(23) Cass. com., 1er décembre 1998, Légifrancen° 96-22465. Dans cette affaire,il était reproché à l'annonceur et à l'agence d'avoir porté préjudice aux métiersde la fourrure en diffusant une campagne dont le slogan principal était « personnene porte mieux la fourrure que les animaux» alors même que l'annonceurcommercialisait des produits de substitution.
(24) CA Paris, 13 avril 1995, Gaz. Pal. 1996, somm. p. 536.
(25) CA Versailles, 17 mars 1994, RIDA 2/ 1995, p. 350.
(26) CA Riom, 15 septembre 1994, JCPG., IV, 2598.
(27) P. Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., n° 202, p. 396.
(28) CA Paris, 27 novembre 1990, D.1991, IR, p. 35 selon lequel la loi du genreest la recherche de l'effet comique.
(29) CA Paris, 22 septembre 1988, D. 1988, IR, p. 258.
(30) CA de Paris, 7 juin 1990, Juris-Datan° 023045.
(31) Cass. civ. 1, 27 mars 1990, Légifrancen° 88-16223.
(32) Dorothée Guerin-Seysen, L'image humoristique et la propriété intellectuelle,Image et Droit, sous la direction de Pascale Bloch, Institut de Recherchesen Droit des Affaires, Université Paris 13, Éd. L'Harmattan, 2002, p. 127 et s.
(33) A l'exception naturellement de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du7 février 1995 cassé par la Cour de cassation au terme de sa décision du 13 janvier1998.
(34) Le principe peut être tempéré s'agissant des personnes connues quimonnayent auprès des journaux people des bribes de leur vie privée.
(35) Voir notamment les décisions citées par André Lucas, «Droits des auteurs,Exceptions au droit exclusif », JCLCivil annexes, Propriété littéraire et artistique,Fasc. 1248, 2004, n° 75.
(36) Voir A. Lucas et H. J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique,Litec, 2e éd., p. 33, n° 26, qui évoquent simultanément, à propos des idées, laliberté d'expression et le fonds commun de la création.
(37) Cass. civ. 1, 12 janvier 1988, Légifrancen° 85-18787 : dans cette affaire relativeà la caricature par Thierry Le Luron et Bernard Mabille de la chanson DouceFrance, la Cour de cassation a notamment jugé « qu'il ne saurait dès lors êtreinterdit au chansonnier-imitateur qui prend la voix de l'auteur-interprète d'une chansonet se livre en même temps à une parodie et à une caricature, de reproduirela musique originale de sorte que l'uvre parodiée est immédiatement identifiéetandis que le travestissement des seules paroles suffit à réaliser celui de cetteuvre prise dans son ensemble et à empêcher toute confusion, ni de se moquerle cas échéant avec insolence des travers de celui qui est imité».
(38) p. 117.
(39) Voir Didier Sénécal, « Faut-il célébrer le pastiche ? », Lire, février 1998 quirappelle que la plupart des auteurs se sont livrés à ce type d'exercice et quiécrit « le pur créateur n'existe pas, et le pasticheur mérite mieux qu'un sourirecondescendant».
(40) André Lucas, «Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif », JCLCivilannexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n° 76.
(41) « Le droit à l'image et la caricature à l'épreuve du marché », JCPG., 1998,II, 10082.
(42) En ce sens, Grégoire Loiseau, «Le droit à l'image et la caricature à l'épreuvedu marché », JCPG., 1998, II, 10082.
(43) Il n'y a plus d'intention humoristique lorsque la caricature tourne à la diffamationou à l'injure. Voir notamment, Cass. civ. 2, 28 janvier 1999, Légifrancen° 96-16992 à propos d'un magazine ayant publié un dessin « représentant lechanteur Mickael Jackson se livrant à un acte de pédophilie sur l'enfant Jésuset celui représentant l'enfant Jésus sous les traits d'Hitler». Les dispositionsde la loi du 29 juillet 1881 excluent l'application de l'article 1382 du Code civil ;Cass. crim., 7 décembre 1993, Légifrancen° 92-81091.
(44) A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec,2e éd., p. 345, n° 424.
(45) André Lucas, «Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif », JCLCivilannexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n° 30.
(46) JCL Propriété littéraire et artistique, Droits voisins du droit d'auteur, Fasc.1436, n° 49.
(47) Voir note ci-dessus, n° 36.
(48) CA Paris, 8 septembre 2004, aff. Publicis SFR/Gaumont Besson,n° 04/09673.
(49) Voir notamment, Cass. crim., 21 mai 1984, Légifrance, n° 83-92070, danslequel il est jugé que : « Attendu qu'en l'état de ces motifs, et en interprétantl'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 comme n'interdisant pas la publicitéhyperbolique qui se traduit par la parodie ou l'emphase, dès lors qu'il estétabli, par référence à l'optique du consommateur moyen et en tenant compte"du degré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs,que l'outrance ou l'exagération de l'image publicitaire ne peut finalementtromper personne, les juges ont justifié leur décision». Pour une présentationsynthétique de la question, voir Jean-Marie Léger, Le Guide juridiquedu créatif, Éd. d'Organisation, p. 245.