ILS N'EN CROIENT PAS leurs oreilles ceux qui, dans la torpeur estivale, impressionnés par le caractère symbolique des sanctions (peines d'emprisonnement avec sursis), se voient mal endosser le bandeau de pirate et qui pourtant ne sont peut-être pas loin d'en être, au moins à leurs heures perdues, si l'on en croit la décision rendue le 29 avril 2004 par le TGI de Vannes (1). Grâce à l'infiltration d'un site d'échanges, la gendarmerie a pu interpeller six internautes dont l'activité ...
Tribunal de grande instance, Vannes, Ch. correctionnelle, 29 avril 2004, Fédération nationale des distributeurs de films et autres c/ C. Le Caignec et autres
Agnès ROBIN
Maître de conférences à la Faculté de Droit de Montpellier, Équipe de ...
(2) TGI Vannes (ch. correct.), 29 avril 2004, Juris-data, n° 2004-239835; v. aussi Légicomn° 32« L'industrie musicale : questions juridiques d'actualité », Annexes 6, p. 91.
(3) Voir le rapport du CNC., « La piraterie de films : Motivations et pratiques des internautes.Analyse qualitative », Conférence internationale de l'Observatoire européen de l'audiovisuel,18 juin 2004, CNC Ed., Paris, mai 2004.
(4) P. Sirinelli, note sous TGI Vannes, 29 avril 2004, « Peer-to-peer : du mieux dans le pire », PI,juillet 2004, n° 12, chr., n° 2, p. 779; J.-B. Soufron, « Retour sur la décision du TGI de Vannes: téléchargern'a pas été le seul élément constitutif de la contrefaçon », www.juriscom.net, 1er juin 2004.
(5) Les catégories d'uvres sont en effet diverses (voir supra, Introduction) et n'appellent doncpas toutes l'application du même régime juridique. Ainsi en est-il des logiciels et des bases dedonnées dont la copie de sauvegarde est autorisée par l'art. L. 122-5, 2° CPI.
(6) T. com. Paris, réf., 3 mars 1997 : JCP, 1997, II, 22840, note Olivier et Barbry ; Ed. E, I, 657,n° 24, obs. Le Stanc et Vivant ; 1999, Ed. E, p. 318, obs. Grégoire ; Légipresse, juin 1997,n° 142, p. 85, note Caron ; Juris-Data, n° 057135.
(7) A. et H.-J. Lucas, Traité de droit de la propriété littéraire et artistique, Litec, Paris, 2002,n° 270, p. 230.
(8) TGI Paris, 14 août 1996, Sardou et Brel : D., 1996, p. 490, note Gautier ; JCP, 1996, II, 22727,obs. Olivier et Barbry ; Ed. E, n° 881, note Edelman ; 1997, Ed. E, I, p. 657, n° 24, obs. Le Stancet Vivant ; RIDA, janv. 1997, n° 131, p. 361, note Caron ; RTD com., 1997, p. 97, obs. Françon ;Dit, 4/1996, p. 31, note Edelman ; T. com. Paris, réf., 3 mars 1997, préc., même si la solutionn'avait été exprimée dans un premier temps que de manière implicite, voir par ex., TGI Paris, 5 mai1997, Queneau: JCP, 1997, II, 22906, note Olivier ; 1998, Ed. E, p. 850, obs. Vivant et Le Stanc ;ibid., p. 1252, obs. Laporte-Legeais ; RTD com., 1997, p. 458, obs. Françon ; Rida, oct. 1997,n° 134, p. 265; D., 1997, IR, p. 158; Expertises, juin-juill., 1997, p. 219. C'est en effet en premierlieu par référence au droit de reproduction que les internautes ont été condamnés, Y. Gendreau,« Le droit de reproduction et l'internet », RIDA, octobre 1998, n° 178, p. 25. Ce n'est que par lasuite qu'il a été explicitement fait référence au droit de représentation, voir T. com. Paris, réf.,3 mars 1997, préc. et T. com. Nanterre, 27 janvier 1998 : D., Aff., 1998, p. 584.
(9) P.-Y. Gautier, « Le droit de la propriété littéraire et artistique », PUF, Paris, 2001, n° 183,p. 314.
(10) C'est en tout cas la position adoptée par l'article 8 du Traité de l'OMPI sur le droit d'auteurqui précise que la communication au public inclut la « mise à disposition du public» des uvresde manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit de manièreindividualisée. Selon MM. Lucas, la mise à disposition est ainsi couverte par le droit généralde communication au public, op. cit., n° 270, p. 230.
(11) Ce que la décision du TGI de Vannes dénomme « diffusion».
(12) P. Sirinelli, note sous TGI Vannes, 29 avril 2004, préc., p. 781, qui rappelle opportunémentque l'opération de téléchargement n'est pas illicite en soi mais seulement si elle est effectuéesans autorisation des auteurs concernés par les uvres échangées.
(13) TGI Paris (réf.), 5 mai 1997, préc.
(14) En ce sens, voir la décision du TGI Paris, 30 avril 2004, LPn° 214-III, p. 148, note G. Verckenet M. Vivant, qui tient compte de cet état de fait : « les dates auxquelles ces dispositions ontété adoptées (1957 et 1985) excluent que le législateur ait pu prendre en considération ladémultiplication récente des supports sur lesquels une uvre peut être reproduite et les procédéstechniques susceptibles de faire obstacle à leur reproduction».
(15) A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 303, p. 261.
(16) Par ex., « photocopie pour le camarade et lui seul, envoi d'e-mail à un cercle très limitéd'internautes, etc.», P.-Y. Gautier, op. cit., n° 194, pp. 333-334.
(17) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 194-1, p. 336 ; « Pour ou contre le droit de copier des fichiersprotégés sur l'Internet ? », D., 2000, Point de vue, p. III.
(18) A. et H.-J. Lucas, passim. Voir également, Desbois, Le droit d'auteur en France, Paris,Dalloz, 1978, n° 243 ; A. Françon, note sous TGI Paris, 28 janvier 1974 : JCP, 1975, II, 18163.
(19) L'imprécision de la motivation ne permet cependant pas de l'affirmer.
(20) La sanction est a fortioriattendue lorsque la reproduction d'uvres musicales est effectuéesur des cédéroms remis contre finances, TGI Montpellier, 24 septembre 1999 : CCE, fév.2000, comm., n° 19, p. 17, obs. Caron. Sur l'incidence de la finalité de la copie dans l'appréciationde l'élément moral de l'infraction, voir infra, II.
(21) Civ. 1re, 7 mars 1984: RIDA, juillet 1984, n° 121, p. 151; JCP, 1985, II, 20351, note Plaisant ;RTD com., 1984, p. 677, obs. Françon.
(22) E. Dreyer, Juris-Cl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1611, 8, 2000. Il faut évidemmentexclure les cas des salariés qui agissent en vertu du lien de subordination qui les unit àl'employeur.
(24) En ce sens, voir Y. Gaubiac et J. Ginsburg, « L'avenir de la copie privée numérique enEurope », CCE, janv. 2000, chr., n° 1, p. 9, n° 3. D'ailleurs, la chambre criminelle de la Cour decassation a jugé, au sujet de plusieurs centaines de reproductions de films effectuées au moyende vidéocassettes par un amateur qui les avait ensuite distribuées gratuitement à sa famille etses amis, que « pour écarter le moyen tiré par le prévenu des dispositions de l'article 41 de laloi du 11 mars 1957, les juges retiennent que, s'étant volontairement dessaisi, au profit detiers, des copies de films réalisées par lui, en a perdu le contrôle, abandonnant ainsi à d'autrespersonnes la maîtrise de leur reproduction et ce en violation des droits des auteurs, quellesqu'aient été ses intentions», Juris-Data, n° 003606.
(25) Selon les termes utilisés par Y. Gaubiac et J. Ginsburg, art. préc., p. 9, qui se prononcenten faveur d'une telle conception, sachant au demeurant que la copie privée n'a plus de raisond'exister dès lors que des moyens techniques existent empêchant ainsi l'acte matériel de reproduction.Partant du fait qu'il n'existe pas de droit acquis à la copie privée, les auteurs avancentainsi l'idée selon laquelle des mesures techniques opérationnelles, fiables et efficacesseraient à même de remplacer le système de rémunération équitable instauré dans le but decompenser le manque à gagner des auteurs résultant d'une impossibilité de contrôler la copieprivée. Sur le fait que la mesure technique ne constitue par une violation de l'article L. 122-5du CPI, voir TGI Paris, 30 avril 2004, LPn° 214-III, p. 148, note G. Vercken et M. Vivant.
(26) Dans cette hypothèse, le copiste légitime peut également être l'ami, le proche, le frère,la sur, etc. à qui l'original a été prêté.
(27) Voir Gaubiac et Ginsburg, art. préc., p. 9.
(28) L'article 121-3, al. 1er du code pénal dispose : « il n'y a point de crime ou de délit sansintention de le commettre». Pour une analyse en regard des dispositions du nouveau codepénal, voir S. Durrande, « L'élément intentionnel de la contrefaçon et le nouveau code pénal »,D., 1999, chr., pp. 319-322.
(29) Crim., 11 avril 1889 et 13 mars 1890: Bull. crim., n° 150; Ann. propr. ind., 1892, pp. 189 et190; 1er février 1912: Gaz. Pal., 1912, 1, p. 437. Cette jurisprudence n'a pas été remise en causedepuis lors. Voir, par ex., Crim., 30 avril 1934 : Gaz. Pal., 1934, 1, p. 971; 28 février 1956 : JCP,1956, II, 9520; 24 février 1961: JCP, 1961, IV, p. 35; 12 février 1969 : D., 1969, p. 296 ; 13 décembre1995 : RIDA, juill. 1996, n° 169, p. 279. Sur la question, voir P. Bouzat, « La présomption de mauvaisefoi en matière de contrefaçon littéraire et artistique », RIDA, juill. 1972, p. 171.
(30) L'auteur d'une infraction matérielle ne peut être exonéré qu'à condition d'apporter la preuved'un cas de force majeure, S. Durrande, art. préc., p. 320.
(31) Crim., 5 mai 1981 : RIDA, janv. 1982, p. 179 ; D., IR, p. 48, obs. Colombet.
(32) L'erreur doit s'entendre ici de la seule erreur de fait excusable ou de celle provoquée pardes manuvres frauduleuses, mais non de l'erreur de droit. Voir S. Durrande, art. préc., pp.320 et 321. Sur la distinction entre erreur de fait et erreur de droit, voir N. Quoy, « La responsabilitéen matière de contrefaçon par reproduction », RIDA, juill. 1999, n° 181, p. 3.
(33) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 431, p. 722 ; « L'indifférence de la bonne foi dans le procès civilpour contrefaçon », PI, avril 2002, n° 3, p. 28 et sp. p. 31. Les professionnels concernés sontceux qui ont pour fonction de débiter, distribuer, bref commercialiser l'uvre, ce qui permetd'exclure les fournisseurs d'accès et d'hébergement dans la mesure où ils ne constituent quede simples transporteurs d'information.
(34) S. Durrande, art. préc., p. 321.
(35) Voir par ex., Paris, 9 mars 1964 : Gaz. Pal., 1964, 1, p. 375; RTD com., 1965, p. 106, obs.Desbois ; 17 mai 1975 : Gaz. Pal., 1977, 1, p. 15 ; RTD com., 1977, p. 503, obs. Desbois.
(36) Paris, 9 novembre 1972 : Gaz. Pal., 1973, 1, p. 109.
(37) Paris, 28 mai 1979 : RIDA, avril 1979, n° 100, p. 145 ; Crim., 8 février 1991 : Bull. crim.,n° 103 ; RTD com., 1992, p. 264, obs. Bouzat.
(38) C'est-à-dire de la conscience qu'il avait de commettre un acte illicite, P.-Y. Gautier, op. cit.,n° 428, p. 713 et n° 431, p. 721.
(39) « Les prévenus ne contestent pas à l'audience qu'ils savaient leur activité illégale [ ] ».
(40) Pour un alourdissement des peines en présence du caractère commercial de l'opération,voir T. corr. Paris, 28 janvier 2004, SPPF c/ Bruno D. (inédit). Le prévenu, au demeurant récidiviste,a été condamné à six mois de prison ferme. Il était démontré qu'il commercialisait lesCD qu'il avait téléchargés et gravés.
(41) Voire même, au plan civil, indépendant de toute existence d'une faute, A. et H.-J. Lucas,op. cit., n° 802, p. 609 ; P. Sirinelli, note sous 29 mai 2001 : PI, octobre 2001, n° 1, p. 71.
(42) M. Vivant, « La protection des droits de propriété intellectuelle : une protection à géométrievariable », in L'entreprise face à la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle, ColloqueIRPI, Litec, 2002.
(43) Permettant aux sociétés de gestion collective de constituer des fichiers de données deconnexion (adresses IP, date et heures de connexion) des utilisateurs des réseaux d'échangeP2P qui contrefont les uvres protégées par le droit d'auteur et de droit voisins, voir loi n° 1004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitementsde données à caractère personnel, JO, 7 août 2004, p. 14063.
(44) Voir par ex., L. Thoumyre, le pirate n'est pas celui qu'on croit : « celui qui enregistre le filmdans la salle de ciné et le met sur l'internet ou celui qui met des liens vers des sites internetillégaux. Eux sont des vrais pirates qui méritent de lourdes sanctions.», www.Juriscom.net.
(45) Communiqué de presse de la Commission IP/03/1Voir la Proposition de directive du30 janvier 2003 relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits depropriété intellectuelle, COM(2003) 46 final-2003-0024 (COD), qui dispose que les dispositionsadoptées par les États membres pour se conformer à la directive s'appliquent « lorsqu'unetelle atteinte est commise à des fins commerciales ou lorsque l'atteinte cause un préjudicesubstantiel au titulaire du droit». ; C.-H. Massa et A. Strowel, « La proposition de directive surle respect des droits de propriété intellectuelle : déchirée entre le désir d'harmoniser les sanctionset le besoin de combattre la piraterie », CCE, fév. 2004, chr., n° 4, p. 9.