Le droit positif français relatif à la protection des sources journalistiques, relativement lacunaire et déjà atténué par les mesures de perquisitions prévues à l'article 56-2 du code de procédure pénale, apparaît bien éloigné de la consécration supranationale et législative du principe, « pierre angulaire de la liberté de la presse». Ceci d'autant plus que la loi dite Perben 2 du 9 mars 2004 institue un nouveau mécanisme en trois temps qui est loin de garantir l'effectivité de la protection. Ainsi, le journaliste refusant de témoigner, en vertu de l'article 109, al. 2 du code de procédure pénale, pourra « être requis» de remettre des documents. S'il est encore en droit de refuser, une mesure de perquisition pourra alors être ordonnée afin de connaître l'identité de l'informateur ou recueillir les éléments de preuve souhaités.
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite Loi Perben 2) contient dans ses 224 articles, de nombreuses modifications qui intéressent le droit de la presse et de manière générale le droit de la communication (1). Parmi celles-ci, figurent au Titre II de la loi relatif à l'action publique, aux enquêtes, à l'instruction, au jugement et à l'application des peines les articles 80 et 116 qui modifient ...
Alexis GUEDJ
Avocat au Barreau de Paris, docteur en Droit, chargé d'enseignements ...
(1) *Je remercie vivement Laurence Levy, étudiante du DEA Droit de laCommunication (Université Paris II, Panthéon-Assas ; ss. la dir. de MM. lesProfesseurs J. Huet et D. Truchet), pour sa précieuse aide et ses idées quim'ont aidé à la rédaction de cet article.
(2) La loi du 9 mars intervient après la décision rendue par le Conseil constitutionnelle 2 mars 2004 (2004-492 DC). On en retiendra notamment l'originalitédu visa de contrôle où siège aux côtés de la Déclaration française de 1789,la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale du 15 nov.2000, entrée en vigueur en France le 8 septembre 2003. Sur les nombreusesmodifications apportées au droit de la presse et de manière générale au droitde la communication par la loi Perben 2, v. E. Derieux, « La loi Perben 2 etses incidences en droit de la communication », LPn° 210-IV, p. 23.
(3) La Déclaration de Munich adoptée en 1971 a été adoptée en 1972 par laFédération internationale des journalistes. Le 7e devoir doit être lu en liaison avecle premier droit qui énonce que « les journalistes revendiquent le libre accès àtoutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faitsqui conditionnent la vie publique». Le texte va plus loin en indiquant que « lesecret des affaires publiques ou privées ne peut en aucun cas être opposé aujournaliste que par exception et en vertu de motifs clairement exprimés».Sur la question centrale de l'investigation journalistique, v. A. Guedj, Liberté etresponsabilité du journaliste dans l'ordre juridique européen et international, éd.Bruylant, 2003, 459 p. spéc. pp. 104-133 ; aussi P. Auvret, « Le journalismed'investigation selon la Convention EDH » LPn° 140, II, pp. 33-39.
(4) G. Cohen-Jonathan, « De la Commission à la Cour européenne des droits del'homme Actualités 1994-1995 », RTDE, oct-nov 1995, pp. 37-38, spéc. p. 37.
(5) Pour une étude exhaustive de la jurisprudence de la Commission EDH et dela Cour EDH v. A. Guedj, Liberté et responsabilité du journaliste préc., spéc.pp. 140-185. V. également pour une étude de fond sur l'article 10 de la ConventionEDH, D. Voorhoof, Analyse critique de la portée et de l'appréciation de l'article 10de la Convention EDH,Conseil de l'Europe, Dossier Mass Media n° 10, 1995.
(6) Cf. Cour EDH, Handyside c/ RU, 1976, §. 49.
(7) Dont la substance a été encore rappelée dans son arrêt de Haes et Gisjelsc/ Belgique du 24 février 1997, Série A-460 ; également, Ernst and othersc/ Belgique, 25 juin 2002, req. n° 33400/96.
(8) Recommandation 2000-7 adoptée le 8 mars 2000 par le Comité des ministresdu Conseil de l'Europe, principe 6, v. LPn° 170-IV, p. 37, com. : E. Derieux.
(9) V. J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l'homme,Bruylant, 1990. Également, G. Cohen-Jonathan, La Convention européennedes droits de l'homme, Economica-PUAM, 1989.
(10) V. A. Guedj, commentaire de l'arrêt ; « Chronique annuelle des arrêts renduspas la Cour EDH »; Journal du droit international(éd. Jurisclasseur, ss. la dir. DeMM. les Professeurs E. Decaux et P. Tavernier), 2004, n° 1. L'arrêt indique également,en se fondant sur l'article 8 de la Convention EDH, que les perquisitionsmenées au cabinet de l'avocat du journaliste « revenaient finalement à décelerla source du journaliste» et se répercutaient « sur les droits garantis[au journaliste]par l'article 10 de la Convention EDH». Une protection « par ricochet»salutaire ! V. D. Voorhoof, « The protection of journalistic sources : recent developmentsand actual challenges », Auteurs et Media, 2003/1, pp. 9-23 ; aussiInger Hoedt-Rasmussen et D. Voorhoof, « The confidentiality of the lawyer-clientrelationship under pressure ? » European Human Rights Law Review, Specialissue, Privacy, 2003, pp. 147-150 ; LPn° 203-III, p. 110, com. : E. Derieux.
(11) V. not. les communiqués diffusés par l'association Reporters sans Frontières(12 fév. 2004) et l'International Freedom of Expression Exchange (28 fév. 2004).Sur l'état du droit positif français avant l'adoption de la loi, v. not. E. Derieux,« Le secret professionnel des journalistes », LPn° 57, II, 82-88; du même auteur« Droit des journalistes au secret de leurs sources », LPn° 132, III, pp. 70-80 ;aussi, « Le droit au secret des sources d'information en droit français », LPn° 149, II, 17-23 ; A. Guedj, La protection des sources journalistiques, Bruylant,1998, 256 p., spéc. pp. 107-196.
(12) Bentham, Traité des preuves, I, n° 93.
(13) Circulaire générale C-109 du 1er mars 1993.
(14) V. Decocq, Montreuil, Buisson, Le droit de la police, LGDJ, 2e ed., n° 729.
(16) TGI Paris, 1re ch, 1re sect, 25 juin 1997, Brad Pitt c/ Voici. LPn° 146-III, noteCh. Bigot ; TGI Paris, 1re ch, 1re sect, 22 oct. 1997 ; Vincent Cassel c/ PrismaPresse, LP150-III, 58, note. E. Derieux V. également, E. Derieux, « Protectiondes sources d'information (droit au secret professionnel des journalistes) », JCP1998, II, 10131. Sur la mise en balance du droit à la protection des sources etle droit au respect de la vie privée et du droit à l'image, v. Cass. crim. 5 déc.2000, Angeli et al. c/ Cl. Chazal, LPn° 179, III, pp. 23-27, note M.-N. Louvet.
(17) Il fut demandé de condamner l'organe de presse éditeur des clichés litigieuxà remettre les bons de commande et les factures de ces photos.
(18) La question de la procédure de référés reste également ouverte : dans cecadre, le journaliste pourra-t-il se prévaloir d'une quelconque faculté de ne pastémoigner ? V. TGI Paris, réf., 28 oct. 1997, Rougeot et Verne c/ Flammarion(cf. Mise en cause de François Léotard dans l'affaire Yann Piat), Gaz. Pal.,7 nov. 1997, n° 311-312, JCPE p. 19.
(19) Cf. au mois de septembre 2000, le journaliste Jean-Pierre Rey fut placé prèsde quatre jours en garde à vue par la Division nationale antiterroriste. Depuis le1er janvier 2000, il était le 5e journaliste à faire l'objet d'une telle mesure. Le 16 janvier2001, Dominique Paganelli, journaliste à Canal + subira une même mesuredans le cadre d'une enquête portant sur la Corse. On retiendra encore la gardeà vue du journaliste de L'Est RépublicainLaïd Sammari, le 31 octobre 2002 enraison de l'enquête qu'il menait sur l'assassinat du préfet de Corse, ClaudeErignac. V. les rapports annuels de l'association Reporters sans frontières.
(20) V. le commentaire d'E. Derieux, JCP, 2003, II, 10043, également X. Tracol,commentaire sous l'arrêt, in LPn° 198, II, pp. 7-11.
(21) E. Derieux, « Secret des sources d'information des journalistes », LPn° 170, IV,pp. 37-41; A. Guedj, Liberté et responsabilité des journalistes ; préc. pp. 182-186.
(22) V. A. Guedj, ibid., pp. 151-186.
(23) V. du même auteur, La protection des sources journalistiques, préc., pp.92-102 et 236-250.
(24) V. par ex. Cass. crim., 5 déc. 2000, CCE, juill-août 2001, p. 33; également.D. 2002, SC, 2769, note J.-Y. Dupeux.
(25) V. E. Derieux, « La loi Perben 2 et ses incidences en droit de la communication», réf. préc.
(26) H. Leclerc, propos tenus le 20 juin 1997 à l'occasion du colloque « Libertéde la presse et droits de la personne » (IFC Paris) ; les actes publiés aux éditionsDalloz n'ont pas reproduit cette observation.
(27) À ce titre, v. F. Lhomme, « Polémique après une perquisition chez les avocatsde Jean-Christophe Mitterrand », Le Monde, 01.04.2004.
(28) En 2002, les locaux des Dossiers du Canard Enchaînésont cambriolés. Deuxcoffres sont fouillés et l'ordinateur portable d'une journaliste spécialiste des questionsmilitaires volé. Un mois plus tôt, un individu est surpris photographiant lebureau de la journaliste. La plaque d'immatriculation du véhicule de cet individuappartient à la préfecture de police de Paris Rapport annuel RSF2002. On sesouviendra également de la perquisition menée dans les locaux du Canard Enchaînédans le cadre de l'affaire Yann Piat en 1996, v. E. Plenel, « Perquisition dansles locaux du Canard Enchaîné. Abus de pouvoir », Le Monde, 3 août 1996.
(29) Monsieur Thierry Mariani proposa par voie d'amendement qu'un délai de15 jours maximum soit retenu pour répondre aux réquisitions. Ce délai fut jugétrop long par Monsieur Alain Marsaud lequel objectait que « ce délai relativementlong, risquait d'inciter les intéressés à différer leur réponse».
(30) La loi Perben 2 est selon nous une loi de circonstances (exceptionnelles).Elle intervient après le drame du 11 septembre 2001, et l'adoption par les États-Unis du Patriot Act et de l'Anti-terrorism Act dès les mois d'octobre etnovembre 2001. Dans le climat odieux qui est celui que font régner les terroristes(WTC, Madrid, ) la question ne se pose-t-elle pas alors d'une invocationde l'article 15 de la Convention EDH (dérogation en cas d'état d'urgence) ?Plutôt que d'assumer l'impopularité d'une loi Perben 2 dont beaucoup desdispositions sont susceptibles d'entrer frontalement en contradiction avec lescanons européens (not. art. 5, 6, 8, 9, 10,11 ) ne serait-il pas plus juste dereconnaître que le contexte actuel justifie en Europe au nom de la protectiondes individus, de la sécurité nationale, de l'intégrité territoriale, de la sûretépublique, de la défense de l'ordre et de la prévention du crime la mise enuvre limitée (dans le temps et l'espace) de l'article 15 de la Convention européenne?Rappelons que cet article avait été notamment invoqué dans le contextetendu en Irlande du Nord, alors que le terrorisme dont il s'agissait visait les symbolesdu pouvoir et non pas des centaines de civils se rendant aux heures depointes sur leur lieu de travail en empruntant les transports en commun ! Cettehypothèse qui peut être critiquable (parce que dangereuse eu égard à ses conséquences),devrait au moins ouvrir le champ d'une libre discussion.
(31) Cela dit, rien n'empêcherait un journaliste de se voir concomitamment invitéà témoigner et à répondre aux réquisitions qui lui seraient faites.
(32) V. A. Guedj, La protection des sources journalistiques, préc. spéc. pp. 125-
(131) La cour d'appel a indiqué qu'en matière de perquisition, doit faire l'objetd'une protection particulière le siège social d'une entreprise de presse au lieuduquel est également établi le domicile de la personne mise en examen. Celocal devrait être considéré comme une entreprise de presse. CA Aix, ch. acc.16 janvier 1997, Jurisdatan° 045023.
(33) Cass. crim. 29 nov. 1995, BCn° 9, n° 363, p. 1063. Jean Pradel indiqueque « cette interprétation est inattaquable[ ] puisqu'une perquisition supposel'intrusion dans un local[ ] » v. note ss l'arrêt, Dalloz, SC, 1996, pp. 257-258.
(35) On se souviendra de l'emblématique affaire des micros posés au quotidiendu Canard Enchaîné ou l'affaire des plombiers en 1973. V. aussi, « Gilles Ménageadmet que l'Élysée a écouté des journalistes et un avocat : des professions ditessensibles », Le Monde, 14 avril 1997. Aussi, le 30 janvier 2002, le journal LeMonderévèle le placement sur écoutes téléphoniques de six journalistes travaillantdans le cadre de dossiers portant sur le terrorisme ; v. Rapport annuel RSF 2003.
(36) V. nos obs., Journal du droit international, 2004, I, réf. préc ; N. Fricero,« Perquisitions au domicile et sur le lieu de travail d'un journaliste, ainsi qu'aucabinet d'un avocat », Dalloz, SC, 2003, pp. 2271 et s; E. Derieux, « Perquisitionsconstitutives d'une violation de l'article 10 de la CEDH pour atteinte au secretdes sources professionnelles », LPn° 203, III, pp. 110-116 ; C. Pettiti, note sousl'arrêt Roemen et Schmit, Gaz. Pal.30 mars-1er avril 2003, pp. 14-20.
(37) V. E. Dreyer, Droit à l'information Responsabilité pénale des médias, éd.Litec, 2002, 454 p., spéc. n° 821 et s.
(38) Cass. crim. 13 mai 1991, BCn° 200.
(39) V. par ex. J. Francillon, « Infraction relevant du droit de l'information et dela communication », RSC, juill-sept. 1995, p. 600 ; surtout, C. Grellier, note ssl'arrêt, LPn° 121, III, p. 62.
(40) V. not. G. Cohen-Jonathan et E. Dreyer, « Recel de violation de secret professionnelet garantie de la liberté d'information », LPn° 160, II, pp. 33-40 ;P. Lambert, Gaz. Pal.25-27 juill. 1999, Numéro spécial, pp. 18 à 23 ; E. Derieux,JCP, G, 1999, II, 10120 ; F. Massias, RSC, juill-sept 1999, pp. 630-640 ; C. Bigot,Rev. trim. dr. h.1999, pp. 682-694.
(41) V. A. Guedj, Liberté et responsabilité des journalistes , ouvr. préc., spéc.pp. 397-434.
(42) V. A. Guedj, note ss. Cour EDH, Fressoz et Roire, 21 janvier 1999, Journaldu droit international, 2000, I., pp. 91-93 ; aussi Liberté et responsabilité desjournalistes , ouvr. préc. spéc. pp. 418-434.
(43) Cass. crim., 19 juin 2001, Jurisdatan° 010499. V. A. Lepage, « Secret dessources d'information et recel de violation du secret de l'instruction ou du secretprofessionnel », JCP G, II, 10 064 ; Y. Monnet, Gaz. Pal. 24-26 fév. 2003, J, pp.24-28 ; B. Beignier, « Recel de violation de secret de l'instruction et liberté d'expression», Dalloz2001, J, pp. 2538 et s ; E. Derieux, « Secret des sourcesd'information. Propos en marge des affaires l'AGEFI et Le Figaro », LPn° 140,II, pp. 33-39 ; Y. Baudelot, LPn° 185. III, p. 61. Cet arrêt est pendant devant laCour européenne des droits de l'homme.
(44) V. Cass. crim., 13 nov. 2001 et B. Ader, « Recel de violation du secret professionnelet du secret de l'instruction », LPn° 188, III, pp. 5-6.
(45) Cass. crim., 11 juin 2002, Jurisdata n° 017852 ; E. Dreyer, « Recel de violationdu secret de l'instruction et droits de la défense », JCP G, II, 10061. Cass.crim., 11 fév. 2003 et B. Ader, « Le journaliste peut produire des pièces couvertespar le secret de l'instruction pour établir sa bonne foi », LPn° 201, III,pp. 71-73 ; du même auteur, « Le respect de la présomption d'innocence 10ans après », LPn° 203, II, pp. 95-100.
(46) V. Nos obs. ss. Cour EDH Bergens Titende c/ Norvège, 2 mai 2000, Journaldu droit international2001, I ; aussi Liberté et responsabilité des journalistes ,préc., spéc. pp. 206-254 ; « L'homme public et la presse : étude de la jurisprudencede la Cour européenne des droits de l'homme », in Mélanges en l'honneurdu Doyen Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004 (à paraître).