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Chroniques et opinions
01/01/2002
Conflit entre différentes conceptions de la liberté d'expression sur l'internet : vers l'imposition d'une lex americana en matière de lutte contre le discours raciste et négationniste ?
La Cour fédérale du district de Californie du Nord vient de nier toute autorité à l'ordonnance de référé du 22 mai 2000 qui demandait à la société Yahoo ! de rendre impossible toute consultation, depuis la France, d'un site qu'elle hébergeait, celui-ci constituant une apologie du nazisme. Le réseau internet, de part son caractère éminemment transnational, soulève en effet des problèmes de compétence territoriale et d'autorité des décisions nationales en matière de délits commis sur le web. Une analyse de la conception américaine de la liberté d'expression contenue dans le Premier amendement à la Constitution et des moyens de filtrage existant sur le réseau permet d'éclairer les motivations du juge américain.
L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 garantit la libre communication des pensées et des opinions et « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Si la liberté d'expression ne peut évidemment jamais se prévaloir d'un caractère absolu, chaque système juridique peut diversement apprécier les limites nécessaires de cette liberté. Toutefois, ...
Laurent PECH
Lecturer Faculty of Law National University of Ireland, Galway
(2) TGI Paris (ord. réf.), 22 mai 2000, UEJF c. Yahoo ! Inc. et Yahoo France, Légipresse, n° 174-III, p. 142, note Rojinsky. 2. Yahoo ! Inc. v. La Ligue contre le Racisme et l'Antisémitisme et al., n°C-00-21275 JF, District Court For the Northern District of California, San Jose Division,décision disponible sur http://www.juriscom.net/en/txt/jurisus/ic/dccalifornia20011107.htm.
(4) E. Nunès, « Objets nazis : la justice américaine se range à l'avis de Yahoo! »,Le Mondedu 8 novembre 2001.
(5) La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme l'admet également,cf. dernièrement l'arrêt Lehideux et Isorni c. France du 23 septembre1998, § 53 ; v. Légipresse157-III, p. 161, comm. P. Mahonnet.
(6) Cf. J.-P. Hugot, « La compétence universelle des juridictions françaises enmatière délictuelle : vers des « enfers numériques »? », Légipresse, n° 185-II-119.
(7) Sur la question de la loi applicable en matière de litiges de presse ou liés àl'internet, cf. V. Sédallian, « Commentaire sur l'affaire Yahoo », Cahiers Lamy Droit de l'informatique et des réseaux, n° 130, novembre 2000, p. 7 ;« Commentaire sur l'affaire Yahoo (2) », Cahiers Lamy Droit de l'informatiqueet des réseaux, n° 131, décembre 2000, p. 1. 7. Ashcroft v. ACLU, 31 F. Supp. 2d 473 (E. D. Pa. 1999), n° 99-1324 (3rd Cir.2000). La totalité des arrêts de la Cour suprême américaine ainsi que les arrêtsdes Cours d'appel fédérales (depuis 1990 généralement) sont disponibles surle site www.findlaw.com.
(9) Le tribunal de grande instance de Paris avait confié une expertise à un collèged'experts internationaux afin de décrire les procédures de filtrage pouvant êtremises en uvre par la société Yahoo! Inc. pour interdire l'accès aux internautesopérant à partir du territoire français à des rubriques qui pourraient être jugées illicitespar les autorités judiciaires françaises. En dépit de la possibilité qu'ont 100 %des internautes qui souhaiteraient contourner toute mesure de filtrage d'être enmesure de le faire, l'ordonnance de référé du 22 novembre 2000 enjoint pourtantYahoo de mettre en place les mesures de filtrage suggérées par les experts.
(10) Le site appelant au boycott a été désactivé par les prestataires de service internetsous la pression de « gros clients» selon l'expression des dirigeants citéspar le journal Libérationle 24 avril 2001. L'art. 431-1 du code pénal punit pourtant« le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice dela liberté d'expression».
(11) Cf. « L'affaire Compuserve » relatée par J.-F. McGuire, « Note : WhenSpeech is heard around the world : Internet content regulation in the UnitedStates and Germany », 74 N. Y. U. L. Rev. 750 (1999), pp. 768-769.
(12) On veut faire référence ici à la décision controversée Otto-Preminger-Institutc. Autriche de la Cour européenne des droits de l'homme rendue le 20 septembre
(1995) 12. Yahoo ! Inc. v. LICRA et al., 145 F. Supp.2d 1168 (N.D.Cal. 2001), disponiblesur la base de données LEXIS (U.S. Dist. LEXIS 7565).
(14) Cf. la décision Calder v. Jones, 465 U.S. 783 (1984).
(15) De manière générale et pour une comparaison avec la situation en Europe,cf. notre étude, La liberté d'expression et sa limitation Étude de droit comparé,Thèse droit, Aix-Marseille III, 2001, n° 710 et s., et plus spécifiquementsur le discours raciste, K. Bird, « L'impossible réglementation des propos àcaractère raciste aux États-Unis », Rev. fr. dr. const., 46, 2001, p. 265.
(16) American Booksellers Association, Inc. v. Hudnut, 771 F.2d 323 (7th Cir.1985), affirmed 475 U.S. 1001 (1986).
(17) R.A.V. v. ST Paul, 505 U.S.377 (1992), p. 392.
(18) McCalden v. California Library Ass'n, 955 F2d 1214 (9th Cir. 1990). 18. C'est le cas lorsqu'un concours est organisé par un institut pour qui prouveraque les chambres à gaz nazis ont exterminé des juifs pendant la secondeguerre mondiale. Les organisateurs ont été alors condamnés au titre du délitde « préjudice émotionnel intentionnellement infligé» causé à un plaignant dereligion juive, pour avoir organisé un tel concours sans avoir donné suite auxpreuves apportées par ce dernier. Le tribunal a d'ailleurs estimé que « le faitque des juifs furent gazés à Auschwitz est incontestable», Mermelstein v. Institutefor Historical Review, No. C 356542 (Cal. Super. Ct. July 22, 1985). On peutnoter que l'un des trois juges devant examiner les preuves apportées à cet effet,était le Français R. Faurisson. Quant à la licéité du refus des journaux étudiantsdans les universités d'accepter des tracts sur l'Holocauste, cf. K. Lasson,« Holocaust Denial and the First Amendment : The Quest for Truth in a FreeSociety », 6 Geo. Mason L. Rev.35 (1997), pp. 58-60.
(20) Osborne v. Ohio, 495 U.S. 103 (1990), p. 115.
(21) Reno v. ACLU, 521 U.S. 844 (1997), p. 880.
(22) À cet égard, on peut s'interroger sur l'autorité de l'ordonnance de référérendue dans l'affaire j'accuse le 30 octobre 2001. Dans cette affaire, l'associationJ'accuse, collectif d'organisations luttant contre le développementd'idées racistes et antisémites sur l'internet, avait assigné en référé les 16 plusgrands fournisseurs d'accès à Internet afin de les obliger à empêcher l'accèsdes internautes français à un portail intitulé Front 14, hébergeant des centainesde sites émanant de groupes racistes et néo-nazis de divers pays. L'ordonnancea conclu au caractère illicite du site portail Front 14. Or, ce site est hébergé parune société américaine. On examinera donc avec intérêt la réponse que cellecidonnera à l'injonction du juge français tendant à lui faire préciser les mesuresqu'elle compte prendre pour mettre un terme au trouble illicite résultant de l'existencemême du portail Front 14.
(23) Cf. C. Stern, « Foreign judgments and the Freedom of Speech : Look who'stalking », 60 Brooklyn L. Rev.999 (1994).
(24) TGI Paris (ord. réf.), 12 juin 1996, Union des étudiants juifs de France, LesPetites Affichesdu 10 juillet 1996, n° 83, p. 23, note Maisl.
(25) Cf. F. Bloch, « Le projet de loi régulant Internet : une ligne Maginot virtuelle? », Les Petites Affichesdu 24 juillet 1996, n° 89, pp. 15-16.
(26) B. Ader, « La responsabilité des acteurs de l'internet après la loi du 1er août2000 », Légipresse, n° 176-II, p. 118. 26. Selon l'expression utilisée par S. Rozenfeld, « Commentaire de l'ordonnance de référé du TGI de Paris du 20 novembre 2000 », Legalis.net, Actualités de nov. 2000