La Cour de cassation retient que l'article 226-10 du code pénal, qui incrimine les faits de dénonciation calomnieuse, constitue une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression, justifiée par la nécessité d'assurer la protection de la réputation d'autrui. Cette ingérence peut être justifiée par le droit d'informer le public défini par l'article 10, paragraphe 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Lorsque le prévenu de ce chef invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge de s'assurer du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, et de vérifier le caractère proportionné de la déclaration de culpabilité, puis de la peine.
Un individu est poursuivi pour avoir adressé différents courriers au président du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ) afin de signaler les agissements de deux experts judiciaires, présentés comme « manifestement parjures et corrompus », qui auraient agi de « façon occulte » et « sous influence », et dont les rapports « intentionnellement frelatés » tendraient à « couvrir les auteurs de malversations commises au préjudice de sa tante ». ...
Cour de cassation, (ch. crim), 8 janvier 2025, n° 23-84.535
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
7 mars 2025 - Légipresse N°433
4570 mots
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(1) L. François, Exhibition sexuelle des Femen : mode d’expression politique, Légipresse 2020. 233.
(2) R. Le Gunehec, Affaire des « décrocheurs » : désobéissance civile et liberté d'expression… La Cour de cassation précise la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité en matière pénale, Légipresse 2022. 487 ; T. Besse, L'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales « hors les murs » : bilan de l'application transversale de la justification tirée de la liberté d'expression au-delà du droit de la presse, Légipresse HS 70-2023. 53.
(3) E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., LexisNexis, 2022, p. 67, n° 85.
(4) V. sur cette question, A. Cappello, La construction du fait justificatif relatif à la liberté d'expression, Gaz. Pal. 15 nov. 2022, p. 9.
(5) Dans l'arrêt CEDH 26 mars 2020, n° 59636/16, Tête c/ France, dont la Cour de cassation prend ici acte, la juridiction de Strasbourg a relevé que « la condamnation du requérant pour dénonciation calomnieuse à raison de la lettre ouverte qu'il a adressée au président de l'AMF constitue une ingérence dans l'exercice de cette liberté dès lors que cette condamnation repose sur la substance des propos contenus dans cette lettre » (§ 49), Légipresse 2020. 276 et les obs. ; ibid. 438, étude T. Besse ; ibid. 515, étude C. Bigot ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; AJCT 2020. 481, obs. S. Lavric ; RSC 2020. 748, obs. D. Roets.
(6) S. Detraz, La liberté d'expression qui se veut faire aussi grosse que la liberté d'action, Gaz. Pal. 6 sept. 2022, p. 61.
(7) CEDH 22 avr. 2010, n° 34050/05, Haguenauer c/ France, § 49, Légipresse 2010. 9 et les obs. ; CEDH 7 nov. 2006, n° 12697/03, Mamère c/ France, § 20, D. 2007. 1704, note J.-P. Marguénaud ; RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets.
(8) CEDH 13 oct. 2022, n° 22636/19, § 67 (s'agissant d'une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis !), Légipresse 2022. 595 et les obs. ; ibid. 2023. 502, chron. C. Bigot ; RSC 2022. 817, obs. X. Pin ; ibid. 831, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2023. 185, obs. D. Roets ; AJDA 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2022. 1856, et les obs. ; ibid. 2118, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2023. 855, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2022. 514, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJ pénal 2022. 581, obs. L. Saenko.
(9) CEDH 14 mars 2013, n° 26118/10, § 61 (s'agissant d'une amende de 30 € avec sursis, déclarée excessive, !), Légipresse 2013. 204 et les obs. ; ibid. 287, Étude E. Dreyer ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; ibid. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 968, obs. S. Lavric, note O. Beaud ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 477, obs. C. Porteron ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; ibid. 594, chron. N. Droin ; Constitutions 2013. 257, obs. D. de Bellescize ; RSC 2013. 670, obs. D. Roets.
(10) V. aussi, CEDH 23 juin 2022, n° 28000/19, Rouillan c/ France, § 74, rappelant que « les instances nationales doivent faire preuve de retenue dans l'usage de la voie pénale, tout spécialement s'agissant du prononcé d'une peine d'emprisonnement qui revêt un effet particulièrement dissuasif quant à l'exercice de la liberté d'expression », Légipresse 2022. 404 et les obs. ; ibid. 510, chron. C. Bigot ; ibid. 686, obs. H. Leclerc ; D. 2022. 1652, note E. Dreyer ; AJ pénal 2022. 431, obs. M. Lacaze ; RSC 2022. 689, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 817, obs. X. Pin.
(11) D'autant que, ici, les dommages-intérêts et frais n'ont pas été pris en compte. Les charges financières dans l'affaire Tête c/ France, préc., étaient moins importantes et elles sont pourtant apparues excessives à la juridiction de Strasbourg (§ 68).