Saisi d'une demande d'insertion forcée d'un droit de réponse en ligne, le juge des référés relève que les dispositions applicables sont celles en vigueur au moment de son exercice, en l'espèce le nouvel article 1-1-III de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), introduit par la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (SREN). Cet article trouve à s'appliquer, alors même que le décret d'application s'y rapportant n'a pas été publié.
Le juge retient par ailleurs que l'application directe du nouvel article 1-1-III de la LCEN doit être réservée aux hypothèses de rectification factuelle, excluant ainsi sa mise en œuvre à l'égard d'une tribune d'opinion.
Quid du droit de réponse en ligne depuis la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (SREN) qui a déplacé les dispositions le concernant de l'ancien article 6-IV au nouvel article 1-1-III de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) ? Cette modification s'est opérée à droit constant, mais le goût du législateur pour compliquer les choses n'a d'égal que celui des parties et du juge, ...
Tribunal judiciaire, Paris, (ord. réf.), 19 novembre 2024, Association SOS Méditerranée c/ Marc F. et a.
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
30 janvier 2025 - Légipresse N°432
3433 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(1) Si la loi nouvelle, par ex., avait supprimé le droit de réponse en question, alors que le délai pour solliciter une insertion n'était pas encore expiré, on aurait sans doute dû considérer que la possibilité de formuler une demande subsistait malgré la disparition pour l'avenir des droits non acquis au moment de l'entrée en vigueur de cette loi.
(2) Une solution médiane aurait pu consister à distinguer entre l'existence du droit de réponse appréciée au moment de la mise en cause et les modalités du droit de réponse appréciées au moment de son exercice. Mais cette distinction n'a pas davantage été envisagée. Non sans raison d'ailleurs, car c'est bien l'existence et non l'exercice du droit de réponse qui posait problème ici.
(3) V. not., J.-B. Thierry, L'abrogation en matière pénale, in B. Py et F. Stasiak (dir.), Légalité, légitimité, licéité : regards contemporains. Mél. Seuvic, PUN, 2018, p. 232.
(4) Il est acquis que l'abrogation d'une disposition législative n'entraîne pas la caducité des dispositions réglementaires qui la complètent (Crim. 4 mai 1995, n° 94-83.077,RSC 1996. 111, obs. B. Bouloc). Elles subsistent jusqu'à leur abrogation.
(5) Elle juge de manière constante que « les arrêtés ou règlements légalement pris par l'autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois dont ils procèdent, tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou qu'ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles fixées par une législation nouvelle » (Crim. 20 déc. 1995, n° 95-81.428,RSC 1996. 643, obs. B. Bouloc ; Crim. 16 oct. 1996, n° 95-84.755, D. 1997. 24 ; RTD civ. 1997. 778, obs. R. Libchaber ; RTD com. 1997. 340, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1997, n° 47, p. 9, obs. M. Véron ; Crim. 9 juill. 2003, n° 03-82.119, D. 2003. 2285 ; AJ pénal 2003. 73, obs. A.P.). Bref, les décrets subsistent et complètent les dispositions recodifiées à droit constant.
(6) V. aussi, T. Piazzon, La sécurité juridique, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », t. 35, 2009, p. 271, n° 143.
(7) Crim. 3 août 1894, D. 1895. 1.80 ; v. aussi, qualifiant ce droit de « droit de légitime défense, fondé sur la nécessité de protéger les citoyens contre les abus possibles de la presse », Crim. 17 juin 1898, D. 1899. 1. 289, note J. Appleton. Le respect d'un tel droit s'impose d'autant plus que la presse française n'est pas une presse d'information mais une presse d'opinion. Il s'impose plus encore sur internet, où les mises en cause hâtives fleurissent même sur les sites des journaux…
(8) Crim. 28 avr. 1932, D. 1932. 1. 68, note M. Nast, jugeant « que la liberté de la presse périodique a pour corollaire le droit pour toute personne désignée de répondre à la publication qui la désigne et il ne peut y avoir d'empêchement ou de restriction à l'exercice de ce droit que dans la mesure où la liberté de la publication se trouve elle-même supprimée ou restreinte ; que le journal en effet libre de ses publications prend la responsabilité de ce qu'il publie : articles, documents, communiqués ou annonces sans qu'il y ait à distinguer entre ce qui émane de sa rédaction et ce qui y est étranger et ce n'est pas à la nature ou à l'objet de l'écrit publié que le droit de réponse est attaché mais à la publication de cet écrit ».
(9) V., rappelant le même principe, Civ. 1re, 27 juin 2018, n° 17-21.823,D. 2019. 216, obs. E. Dreyer.
(10) Hormis, peut-être, l'opinion de cet auteur : C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 3e éd., Dalloz, 2020, p. 66, n° 211.31.
(11) V. étendant ce principe à la communication électronique dès lors que l'art. 6-IV LCEN, faisait référence (comme l'actuel art. 1-1-III) à l'art. 13 de la loi de 1881, Paris, 12 juill. 2006, n° 06/10056, CCE 2007. Comm. 43, obs. A. Lepage.
(12) De façon restrictive, il est jugé que « le droit de réponse est un droit personnel destiné à assurer la protection de la personnalité » (TJ Paris, réf., 26 mars 2021n n° 21/50675, Légipresse 2022. 13 et les obs.), ce qui revient à exiger une mise en cause diffamatoire au mépris de ce qui fait la spécificité de ce droit par rapport à celui qui s'exerce en matière audiovisuelle (E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., LexisNexis, 2022, p. 539, n° 941).
(13) V. déjà, sous prétexte de protéger la « ligne éditoriale » de l'organe de presse, TJ Paris, réf., 11 juin 2024, n° 24/52762,Légipresse 2024. 339 et les obs..
(14) V. le rappelant en matière de communication en ligne, TJ Paris, réf., 7 juin 2023, n° 23/53266, Légipresse 2023. 324 et les obs. ; ibid. 2024. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol.
(15) TGI Paris, réf., 20 oct. 2008, n° 08/58191, LPA 2008, n° 231, p. 3, note E. Derieux.
(16) « Le droit de réponse, en tant qu'élément important de la liberté d'expression, entre dans le champ d'application de l'article 10 de la Convention. Cela découle de la nécessité non seulement de permettre la contestation d'informations fausses, mais aussi d'assurer une pluralité d'opinions, en particulier dans des domaines d'intérêt général tels que le débat littéraire et politique » (CEDH, gr. ch., 5 avr. 2022, n° 28470/12, NIT Slr c/ Moldavie, § 200, Légipresse 2022. 400 et les obs. ; AJDA 2022. 1892, chron. L. Burgorgue-Larsen ; et déjà CEDH 5 juill. 2005, n° 28743/03, Melnitchouk c/ Ukraine, § 2).
(17) La Cour de cassation le dit aussi depuis longtemps ; v. jugeant « que le droit de réponse conféré par l'article 13 à toute personne nommée ou désignée dans un journal entraîne nécessairement le droit de répliquer aux observations qui peuvent accompagner une réponse régulièrement insérée ; que s'il en était autrement, cette disposition de la loi serait illusoire et l'intérêt de la défense auquel elle a eu pour but de pourvoir insuffisamment protégé », Crim. 21 févr. 1889, D. 1890. 1. 189.
(18) Exigence jurisprudentielle formulée notamment par Crim. 16 janv. 1996, n° 94-85.575, D. 1996. 462, note C. Bigot ; ibid. 1997. 75, obs. C. Bigot ; Civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-17.347, D. 1998. 202 ; Crim. 3 nov. 1999, n° 96-83.146, D. 2000. 29.
(19) V. encore, précisant que « le droit de réponse constitue une garantie du pluralisme dans l'information dont le respect doit être assuré », CEDH 24 oct. 2017, n° 24016/05, Eker c/ Turquie, § 48.
(20) D'autant plus que, en ligne, l'insertion n'est pas obligatoire « lorsque les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu'appelle de leur part un message qui les met en cause » (Décr. n° 2007-1527 du 24 oct. 2007, art. 1, al. 2). Cette restriction-là est de nature à limiter les abus. Il aurait suffi d'admettre que le décret s'applique pour vérifier si elle ne pouvait être mise en œuvre en l'espèce et écarter en conséquence la demande d'insertion forcée.