La Cour de cassation retient que comparer les cadres dirigeants d’un hôpital imposant au personnel de se faire vacciner contre le Covid aux médecins et fonctionnaires du régime nazi est injurieux. Si l’obligation vaccinale des soignants constitue un débat d’intérêt général, le prévenu a dépassé les limites de la liberté d’expression (1re espèce).
Dans une autre espèce, la Cour juge que les propos qualifiant un élu de « raciste » et de « patron voyou harceleur » sont certes outrageants, mais expriment l’opinion critique d’un opposant politique, dans le contexte d’une campagne électorale, sur un sujet d’intérêt général relatif au comportement du maire vis-à-vis des agents de la municipalité, de sorte qu’ils n’ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (2e espèce).
Le 10 septembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu deux arrêts en matière d'injure à l'encontre d'un agent public. Il s'agit d'arrêts de rejet qui rendent ainsi définitives deux décisions prononcées en sens opposé sur le caractère punissable de propos outrageants. Ces arrêts n'auront pas l'honneur d'une publication au Bulletin. Ils interpellent néanmoins quant au périmètre du délit en question.
En l'occurrence, le premier arrêt a été rendu dans une ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 10 septembre 2024, n° 23-84.135 et n° 23-83.666
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
5 décembre 2024 - Légipresse N°430
3715 mots
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(1) Crim. 7 mars 1895, D. 1899. 1. 580, précisant que l'indivisibilité des propos suppose « que l'existence des uns ne puisse pas se comprendre sans l'existence des autres ».
(2) V. par ex., Crim. 7 nov. 1989, n° 86-90.811.
(3) V. d'une manière générale, E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., LexisNexis, 2022, p. 624, n° 1096 ; E. Raschel, La procédure pénale en droit de la presse, Gaz. Pal. 2019, p. 184, n° 420 ; C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 3e éd., Dalloz, 2020, p. 241, n° 322-15.
(4) La distinction des éléments intrinsèques et extrinsèques sert de ligne de partage aux pouvoirs d'appréciation respectifs des juges du fond et de la Cour de cassation en matière de presse : cette dernière étend son contrôle aux éléments intrinsèques (c'est-à-dire aux propos poursuivis) mais pas aux éléments extrinsèques (c'est-à-dire aux circonstances dans lesquelles ces propos ont été tenus, qui servent à en préciser le sens) ; P. Guerder, Le contrôle de la Cour de cassation en matière de presse, Gaz. Pal. 1995. Doctr. 593.
(5) Crim. 9 déc. 2014, n° 13-85.401, Légipresse 2015. 9 et les obs. ; AJDA 2015. 428 ; D. 2015. 12 ; ibid. 342, obs. E. Dreyer ; AJCT 2015. 166, obs. S. Lavric ; Dr. pénal 2015. Comm. 48, obs. M. Véron.
(6) E. Dreyer, op. cit., p. 623, n° 1093 ; C. Bigot, op. cit., p. 239, n° 322-12.
(7) Crim. 14 mai 2024, n° 23-80.902, Légipresse 2024. 410 et les obs. ; Crim. 5 déc. 2023, n° 22-87.506, Légipresse 2024. 13 et les obs. ; ibid. 125, obs. N. Verly ; ibid. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier ; Crim. 5 déc. 2023, n° 22-87.563, Dr. pénal 2024. Comm. 27, obs. P. Conte ; CCE 2024. Comm. 17, obs. A. Lepage.
(8) CEDH 20 nov. 2008, n° 13327/04, Brunet-Lecomte et Lyon Mag c/ France, § 35.
(9) V. encore, Crim. 7 janv. 2020, n° 19-80.374, Légipresse 2020. 84 et les obs. ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; D. 2021. 197, obs. E. Dreyer ; Crim. 7 mai 2019, n° 18-82.437, Légipresse 2019. 262 et les obs. ; D. 2019. 1431, note A. Dejean de la Bâtie ; ibid. 2020. 237, obs. E. Dreyer ; Crim. 8 janv. 2019, n° 17-81.396, Légipresse 2019. 9 et les obs. ; ibid. 213, obs. B. Domange ; ibid. 2020. 322, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2019. 512, note E. Raschel ; ibid. 2266, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2020. 237, obs. E. Dreyer ; JA 2019, n° 595, p. 11, obs. X. Delpech.
(10) E. Dreyer, Droit de la communication, op. cit., p. 1329, n° 763 et les réf. citées.
(11) Jusqu'à présent, le dépassement des limites de la liberté d'expression lors d'un débat d'intérêt général était essentiellement le fait de propos discriminatoires. V. par ex., Crim. 28 nov. 2017, n° 16-85.637, Légipresse 2017. 589 et les obs. ; D. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; Dr. pénal 2018. Comm. 45, obs. P. Conte.
(12) Se contenter de rappeler la tolérance imposée par la juridiction de Strasbourg aux élus à l'égard des critiques dont ils peuvent faire l'objet ne suffit pas ici car la même tolérance s'impose aux agents publics, a fortiori lorsqu'ils disposent d'un pouvoir de direction (CEDH, gr. ch., 17 déc. 2004, n° 9017/99, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, § 80). Quant à la polémique syndicale doublant la polémique politique, elle n'était pas loin non plus dans la 1re espèce où le pharmacien dénonçait la suspension des soignants non vaccinés sans rémunération.