À rebours des déclarations du législateur qui annonçait souhaiter lutter contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne, l'affaire jugée par le président du Tribunal judiciaire de Paris le 24 avril 2024 offre une illustration notable de l'immunité dont bénéficient les titulaires de comptes publiant anonymement des contenus diffamatoires sur les réseaux sociaux. La décision commentée renvoie à une situation très fréquente dans la pratique mais qui ne connaît, en l'état du droit positif, aucune solution judiciaire efficace. Face à cette impasse procédurale, des clarifications de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel sont attendues.
En réaction à la une du quotidien Ouest-France du 8 octobre 2023 (« Gaza sous les bombes »), le titulaire d'un compte anonyme inscrit sur le réseau social X publia, le 10 octobre 2023, le message suivant : « Le rédacteur en chef d'Ouest-France, [C]-[S] [W], assume son islamo-gauchisme et son antisémitisme le plus abject. “Gaza sous les bombes” ?! Honte de ces traîtres à la solde de l'Étranger ! À Ouest-France, pas de grève chez les journaleux. » Le message était ...
Tribunal judiciaire, Paris, 24 avril 2024, Monsieur L. c/ Sté Twitter International Unlimited Company
Eva Lee
Avocate au Barreau de Paris
Benoît Huet
Avocat au Barreau de Paris
26 juillet 2024 - Légipresse N°427
3086 mots
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(1) Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, art. 39.
(2) La « procédure accélérée au fond » (anciennement « en la forme des référés ») a été introduite par l'ord. n° 2019-738 du 17 juill. 2019 et le décr. n° 2019-1419 du 20 déc. 2019, et a été codifiée aux art. 839 et 481-1 c. pr. civ.
(3) Loi SREN n° 2024-449 du 21 mai 2024, art. 50.
(4) C. Bigot, La procédure accélérée au fond prévue par l'article 6-I-8 de la LCEN : un risque de déstabilisation profonde des fragiles équilibres du droit de la presse, Légipresse 2023. 601.
(5) Ibid.
(6) Par ex., Paris, 31 mai 2023, n° 22/09327 ; TJ Paris, pr. accélérée au fond, 8 juill. 2022, n° 22/53972, M. K. c/ Sté Meta Platforms Ireland Ltd et a. (à propos d'un compte Instagram « violeurparis »), Légipresse 2022. 401 et les obs. ; ibid. 481, étude E. Dreyer ; ibid. 2023. 241, étude N. Mallet-Poujol.
(7) V. sur ce point, E. Dreyer, art. ss TJ Paris, 8 juill. 2022, Légipresse 2022. 481.
(8) TJ Paris, 8 juill. 2022, n° 22/53972, préc.
(9) Délit prévu par l'art. 223-1-1 c. pén., qui réprime « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer ».
(10) Délit prévu par l'art. 29, al. 1er, de la loi du 29 juill. 1881 et réprimé par l'art. 32, al. 1er, de la même loi.
(11) V. not., Crim. 12 nov. 2014, n° 13-84.144, Légipresse 2015. 139 et les obs.
(12) À noter qu'il conviendrait probablement de dissocier le cas spécifique de la diffamation à caractère discriminatoire (diffamation raciale, antisémite, sexiste ou homophobe).
(13) Loi du 29 juill. 1881, art. 65.
(14) La Cour d'appel de Paris est venue préciser que l'ouverture d'une information judiciaire contre personne non dénommée n'était pas de nature à priver le juge des référés des pouvoirs que lui confère l'art. 145 c. pr. civ. dès lors qu'aucun juge du fond n'est saisi. Autrement dit, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile contre X ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés pour obtenir une mesure d'instruction en vue d'obtenir la preuve de l'identité du titulaire d'un compte sur un réseau social (Paris, 27 oct. 2023, n° 23/04254, Rexel Développement c/ Twitter International Unlimited Company).
(15) Paris, 19 oct. 2023, n° 23/03086 ; v. aussi ou pour un exemple de procédure sur requête concernant des propos injurieux, Paris, 5 janv. 2023, n° 22/00545.
(16) Paris, 19 oct. 2023, n° 23/03086, préc. : la procédure accélérée au fond de la LCEN « n'exclut nullement celle du juge des référés pour ordonner en application de l'article 145 du code de procédure civile, les mesures d'instruction légalement admissibles – dont la communication de données d'identification –, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ».
(17) Loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, art. 12.
(18) N. Verly et N. Bénoit, L'identification des auteurs de diffamations et injures à l'aune du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale : chronique d'une mort annoncée ?, Légipresse 2022. 538.
(19) Statuant en se référant aux 1° et 2° du II bis de l'art. L. 34-1 CPCE.
(20) L'art. 6-II de la LCEN prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l'art. L. 34-1 CPCE, les hébergeurs et les fournisseurs d'accès détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont ils sont prestataires (données dites « non techniques » ou administratives).
(21) DDH, art. 16.
(22) Crim. 30 avr. 2024, n° 23-85.683, Légipresse 2024. 285 et les obs. ; Crim. 14 mars 2023, n° 22-90.018, Légipresse 2023. 137 et les obs. ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol.