A justifié sa décision la cour d'appel qui a déclaré les prévenus coupables du chef d'injure publique envers un particulier à raison de sa race, dès lors qu'elle a pu constater que les propos humiliants et l'image dégradante de la femme politique, du fait de ses origines africaines, ne pouvaient être justifiés ni par la satire ni par le caractère fictionnel de l'article. De plus, les faits reprochés ne pouvaient trouver, au regard du droit à la liberté d'expression conventionnellement garanti, une légitimité dans les débats actuels sur la « racialisation » ou dans les prises de position de l'intéressée. Enfin, pour la Cour, le caractère « clivant » d'une personnalité politique ne peut être de nature à justifier des injures à caractère raciste qui seraient proférées à son encontre.
L'anonymisation de la présente décision, y compris s'agissant du titre de la publication périodique en cause, s'ajoutant à la concision (qui ne peut cependant pas être reprochée en l'espèce) des arrêts de la Cour de cassation, prive le lecteur – s'il n'a pas eu, à l'époque, une connaissance directe des faits, et s'il n'en a pas gardé un souvenir très précis – de la possibilité d'une pleine appréciation de l'affaire, sauf à commencer par se reporter, pour cela, au texte ...
Cour de cassation, (ch. soc.), 16 janvier 2024, Erik M. et a.
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
9 avril 2024 - Légipresse N°423
2394 mots
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(2) B. Ader, Se moquer des personnalités politiques. Approche contentieuse, in D. Guignard, S. Regourd et S. Saunier (dir.), Rire, droit et société, Institut Universitaire Varenne, 2018, p. 45 ; M.-H. Gozzi, Droit d'en rire, les frontières pénales de l'humour, ibid., p. 31 ; F. Gras, Rire et dessin de presse, ibid., p. 223 ; D. Lochak, Rire et discrimination, ibid., p. 95 ; V. Tesnière, Injure et liberté d'expression : entre droit à l'humour, polémique politique et respect de la dignité (Crim. 20 sept. 2016, n° 15-82.942 et 15-82.944), Légipresse 2016. 667.
(3) Paris, 2e-7e ch., 17 nov. 2022, n° 21/06928, Légipresse 2022. 660 et les obs. ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; confirmant TJ Paris, 17e ch., 29 sept. 2021, n° 2024400315.
(4) E. Derieux, Messages haineux et discriminatoires (diffamation, injure, provocation à la discrimination et à la haine), in Droit des médias. Droit français, européen et international, 9e éd., LGDJ, 2023, p. 495, et les réf.
(5) Les faits (historiques) relatés ne concernaient pas la parlementaire visée ou des actes ou comportements qui lui seraient ainsi imputés, dans des conditions telles qu'il ne pouvait pas être question, à son encontre, d'une « diffamation ». Les difficultés, parfois rencontrées, à distinguer, par référence ou absence de référence à « un fait », ces deux catégories d'infractions pourraient être résolues en considérant ensemble les atteintes à l'honneur et à la considération. Cela permettrait d'échapper ainsi à l'une des particularités de procédure des art. 50 et 53 de la loi de 1881 exigeant, « à peine de nullité », une exacte qualification des faits et l'indication du texte de la loi applicable.
(6) En ce sens, il a été posé, par la CEDH, qu'« elle ne se trouve pas devant un choix entre deux principes antinomiques, mais devant un principe – la liberté d'expression – assorti d'exceptions qui appellent une interprétation étroite » (CEDH 4 nov. 1976, n° 5493/72, Handyside c/ Royaume-Uni et CEDH 26 avr. 1979, n° 6538/74, Sunday Times c/ Royaume-Uni), ou que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou les idées avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent » (CEDH 26 avr. 1979, préc. ; CEDH 26 nov. 1991, n° 13585/88, Observer et Guardian, AJDA 1992. 15, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1992. 510, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1992. 370, obs. L.-E. Pettiti ; CEDH 31 janv. 2006, n° 64016/00, Giniewski c/ France, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; D. 2006. 1717, obs. J.-F. Renucci ; CEDH 13 oct. 2022, n° 22636/19, Bouton c/ France, Légipresse 2022. 595 et les obs. ; ibid. 2023. 502, chron. C. Bigot ; AJDA 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2022. 1856, et les obs. ; ibid. 2118, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2023. 855, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2022. 514, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJ pénal 2022. 581, obs. L. Saenko ; RSC 2022. 817, obs. X. Pin ; ibid. 831, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2023. 185, obs. D. Roets). Pour le professeur J. Morange, « s'il est tout à fait compréhensible de vouloir protéger la liberté d'expression, et de se montrer encore plus vigilant lorsqu'un intérêt public est en cause, ceci doit-il se faire au détriment d'autres intérêts publics ou privés, eux aussi légitimes ? […] La liberté d'expression devient la seule liberté quasiment illimitée, susceptible de prévaloir sur tout autre droit fondamental » (Le statut du discours politique. Le droit français à l'épreuve du droit européen, in C.-A. Garbar [dir.], Les mutations contemporaines du droit public. Mélanges B. Jeanneau, Dalloz, 2002, p. 422) ; ou encore : « Aucun des arguments développés par la Cour à l'appui de son interprétation de l'article 10 n'emporte la conviction. Il n'y a aucune raison valable de méconnaître la portée de la disposition de l'alinéa 2 destiné à assurer la protection des droits d'autrui […] la Cour se livre à une interprétation erronée de la Convention qui aboutit à situer la presse hors du droit » (La protection de la réputation ou des droits d'autrui et la liberté d'expression, in P. Amselek [dir.], Libertés, justice, tolérance. Mélanges G. Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, p. 1247). V. égal., G. Loiseau, La disgrâce du droit au respect de la vie privée, Légipresse 2014. 479 : « Le choix de politique juridique de la CEDH est d'assurer, coûte que coûte, la sauvegarde de la liberté d'information. […] Il n'y a pas plus d'équilibre que de sens du juste dans la jurisprudence récente de la Cour européenne […] C'est la liberté d'information qui donne le cap. » Le même auteur estime encore que « la CEDH donne cette impression d'une balance des intérêts faussée […] qui manifeste un parti pris dans la défense de la liberté d'information », et qui avantage « outrageusement la liberté d'expression » (La protection de la vie privée se renforce, JCP 2021, n° 18, p. 866).
(7) À l'égard de cette liberté, comme des autres, il est très classiquement fait application, après en avoir rappelé le principe, de la méthode d'appréciation, en trois temps ou sorte de triple test, selon laquelle « l'ingérence » des autorités publiques nationales doit : être prévue par la loi ; répondre à un but légitime ; et être nécessaire (ou proportionnée) dans une sté démocratique. V., C. Bigot, La liberté d'expression en Europe. Regards sur douze ans de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (2006-2017), Victoires éd., coll. Légipresse, 2018 ; E. Derieux, Droit européen de la responsabilité des médias. Applications jurisprudentielles, in Droit européen des médias, Bruylant, 2017, p. 448 ; Droit européen et droit international de la responsabilité des médias. Jurisprudence européenne, in Droit des médias. Droit français, européen et international, op. cit., p. 980.
(8) À la différence de ce qui est posé, par l'art. 35 de la loi du 29 juill. 1881, s'agissant de l'apport de la preuve de la vérité du fait diffamatoire (exclu cependant, faute d'admission d'un quelconque débat, en matière de diffamation raciale, TGI Paris, 17e ch., 4 juill. 1994, Légipresse 1994. I. 96 ; confirmation par Paris, 11e ch., sect. B, 28 sept. 1995, Légipresse 1996. III. 19), face aux exigences de laquelle la jurisprudence se contente d'ailleurs souvent, en pratique, de la seule démonstration de ladite « bonne foi » (impliquant légitimité du but poursuivi, absence d'animosité, prudence dans l'expression, sérieux et vérification des sources, ou se satisfaisant, sous l'influence de la jurisprudence de la CEDH, de la contribution à un débat « d'intérêt général »).
(9) En faveur d'une plus grande liberté dans la mise en cause des responsables politiques, v. Crim. 20 sept. 2016, n° 15-82.941 et 15-82.944, Légipresse 2016. 515 et les obs. ; ibid. 667, comm. V. Tesnière ; Versailles, réf., 24 avr. 2013 ; Paris, 20 janv. 2021 ; TGI Montpellier, 13 déc. 2021 ; CEDH 8 juill. 1986, n° 9815/82, Lingens c/ Autriche ; CEDH 25 janv. 2007, n° 68354/01, Vereinigung Bildender Künsler c/ Autriche, AJDA 2007. 902, chron. J.-F. Flauss ; CEDH 20 oct. 2009, n° 41665/07, Alves da Silva c/ Portugal ; CEDH 2 févr. 2021, n° 25200/11, Dickinson c/ Turquie, Légipresse 2021. 77 et les obs. ; ibid. 157, étude B. Nicaud.
(10) Infraction, prévue à l'al. 7 de l'art. 24 de la loi du 29 juill. 1881, pour laquelle, de manière dérogatoire à un régime procédural lui-même largement dérogatoire, l'art. 54-1 de la même loi autorise la requalification.
(11) S'agissant de la jurisprudence de la CEDH en matière de sanction de propos racistes, v. not. les arrêts (apparemment plus ou moins tolérants, en fonction de la nature des affaires), CEDH 23 sept. 1994, n° 15890/89, Jersild c/ Danemark, AJDA 1995. 212, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1995. 1172, chron. H. Labayle et F. Sudre ; CEDH 16 juill. 2009, n° 1561/07, Féret c/ Belgique ; CEDH 22 déc. 2022, n° 63539/19, Zemmour c/ France, Légipresse 2023. 15 et les obs. ; ibid. 502, chron. C. Bigot ; AJDA 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RSC 2023. 190, obs. J.-P. Marguénaud.