Justifie sa décision l'arrêt qui, pour relaxer la directrice de publication d'un site internet du chef de provocation publique à la discrimination d'une société en raison de son appartenance à la nation israélienne, énonce que les propos poursuivis, qui rendaient compte d'une action militante en faveur de la cause palestinienne, appelant au boycott des produits de cette société, s'ils incitaient toute personne concernée à opérer un traitement différencié au détriment de la société précitée, ne renfermaient pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, et ne visaient pas cette société en raison de son appartenance à la nation israélienne mais en raison de son soutien financier supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens.
L'appel au boycott constitue-t-il une provocation publique à la discrimination, au sens de l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 ? Le cas échéant, dépasse-t-il les limites admissibles de la liberté d'expression ? En réaction à des actions militantes ciblant Israël, d'assez nombreuses condamnations intervinrent ces vingt dernières années, soutenues par deux circulaires ministérielles(1) ; la chambre criminelle de la Cour de cassation elle-même adopta une vision ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 17 octobre 2023
Evan Raschel
Professeur à l'Université Clermont Auvergne - Directeur adjoint du Centre ...
11 janvier 2024 - Légipresse N°420
3183 mots
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(1) Circ. CRIM-AP n° 09-900-A4 du 12 févr. 2010 et n° 2012-0034-A4 du 15 mai 2012.
(2) En réalité, le fondement de la plainte était incertain, d'où la cassation partielle de l'arrêt d'appel (v. infra).
(3) Crim. 20 janv. 2015, n° 13-86.006 P, Légipresse 2015. 81 et les obs. ; Crim. 19 févr. 2019, n° 18-80.195 P, Légipresse 2020. 193, étude N. Verly ; D. 2020. 237, obs. E. Dreyer.
(4) Pour leur commentaire, v. E. Raschel, La Procédure pénale en droit de la presse, Gaz Pal., coll. « Guide pratique », 2019, nos 680 s., spéc. n° 683.
(5) Ce qui est fréquent s'agissant de l'art. 50. Pour la Cour de cassation, ce caractère d'ordre public est justifié par le fait que « l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 tend par ses dispositions à garantir les droits de la défense et touche à la liberté d'expression telle que la réglemente cette loi » (Crim. 2 déc. 1980, n° 79-91.506 P).
(6) L'arrêt commenté rappelle, soit-dit en passant, qu'une plainte incomplète ou irrégulière peut être régularisée par le réquisitoire introductif, à la double condition qu'il soit lui-même conforme aux prescriptions de l'art. 50 susvisé et qu'il soit intervenu dans le délai de la prescription que la plainte entachée de nullité n'a pas interrompu (§ 30). V., déjà en ce sens, Crim. 20 janv. 2004, n° 03-80.608, D. 2004. 539 ; Crim. 28 juin 2017, n° 16-80.193 P et n° 16-83.508 P, D. 2017. 1426 ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer.
(7) Le cas échéant, une contravention spécifique eût été applicable (C. pén., art. R. 625-7).
(8) Crim. 7 juin 2011, n° 10-85.179, inédit, Légipresse 2011. 402 et les obs. ; ibid. 550, comm. N. Verly ; D. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; RSC 2011. 904, obs. J.-F. Renucci.
(9) V. insistant sur le mobile, E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., LexisNexis, coll. « Manuel », 2022, nos 1122 s.
(10) C. pén., art. 225-1. Précisons que l'al. 8 renvoie aux « discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal », pas l'al. 7, qui devrait avoir une conception autonome et plus large (en ce sens, T. Besse, La pénalisation de l'expression publique, IFJD, coll. « Thèses », t. 187, 2019, n° 227). C'est en ce sens que, dès les années 1970, des juges du fond se prononcèrent (Paris, 17 juin 1974, D. 1975. 468, note J. Foulon-Piganiol) avant que la Cass., sans leur imposer d'indiquer quel acte de discrimination avait été provoqué, se mit à présumer qu'il y avait eu appel à commettre l'un de ces actes (Crim. 12 avr. 1976, n° 74-92.515 P).
(11) Certains arrêts antérieurs retenaient déjà cette restriction, Crim. 28 janv. 1992, n° 91-81.778, inédit ; Crim. 29 janv. 2008, n° 07-83.695 P, D. 2009. 1779, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis ; AJ pénal 2008. 141, obs. M.-E. C..
(12) Crim. 7 juin 2017, n° 16-80.322 P (nous soulignons), Légipresse 2017. 368 et les obs. ; D. 2017. 1814, note C. Bigot ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 398, obs. J.-B. Thierry. V. depuis, confirmant cette restriction, Crim. 14 nov. 2017, n° 16-84.945, inédit, Légipresse 2017. 592 et les obs. ; Crim. 3 oct. 2023, n° 22-87.193, inédit, Légipresse 2023. 527 et les obs.
(13) V. réc., Crim. 20 juin 2023, n° 22-85.922, inédit, § 11 (pour le message « Vivement la remigration ! »), Légipresse 2023. 392 et les obs.
(14) V. par ex., Crim. 21 mai 1996, n° 94-83.365 P, RSC 1997. 650, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Crim. 14 mai 2002, n° 01-85.482, inédit.
(15) V., estimant que la situation n'a pas véritablement évolué, E. Dreyer, Droit de la communication, op. cit., n° 1129.
(16) Crim. 28 sept. 2004, n° 03-87.450, inédit.
(17) CEDH, 5e sect., 16 juill. 2009, n° 10883/05, Willem c/ France, AJDA 2009. 1936, chron. J.-F. Flauss.
(18) Crim. 20 oct. 2015, n° 14-80.020 P et n° 14-80.021, inédit, Légipresse 2015. 587 et les obs. ; ibid. 661, comm. E. Derieux ; D. 2016. 287, note J.-C. Duhamel et G. Poissonnier ; ibid. 277, obs. E. Dreyer. Mais la France fut condamnée dans cette aff., pour violation de l'art. 10 : v. l'arrêt Baldassi cité et analysé infra.
(19) Crim. 23 mai 2018, n° 17-82.896, inédit, JA 2018, n° 583, p. 10, obs. X. Delpech.
(20) Crim. 22 mai 2012, n° 10-88.315 P, D. 2012. 1405 ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2012. 592, note G. Poissonnier et F. Dubuisson ; RSC 2012. 610, obs. J. Francillon. Adde, dans le même sens, les arrêts préc. du 20 oct. 2015.
(21) V. par ex., Crim. 16 mars 2021, n° 20-83.325, inédit, Légipresse 2021. 201 et les obs. ; ibid. 2022. 188, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier ; ibid. 253, obs. N. Mallet-Poujol ; RSC 2022. 74, obs. E. Dreyer.
(22) TGI Paris, 17e ch., 1er juin 2017, Juris-Data no 2017-018572.
(23) L'al. 8 vise, lui, le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité de genre ou un handicap.
(24) Crim. 14 nov. 2017, n° 17-80.474, inédit, Légipresse 2017. 592 et les obs. ; RSC 2018. 106, obs. E. Dreyer.
(25) Crim. 16 mars 2021, n° 20-83.325, inédit, Légipresse 2021. 201 et les obs. ; ibid. 2022. 188, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier ; ibid. 253, obs. N. Mallet-Poujol ; RSC 2022. 74, obs. E. Dreyer.
(26) V. en ce sens, les 4e et 8e branches du 1er moyen du pourvoi.
(27) CEDH 16 juill. 2009, préc.
(28) T. Besse, préc., n° 228.
(29) CEDH, 5e sect., 11 juin 2020, n° 15271/16, Baldassi et a. c/ France, Légipresse 2020. 340 et les obs. ; ibid. 485, étude G. Lécuyer ; ibid. 490, étude Anne-Élisabeth Crédeville ; AJDA 2020. 1844, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2020. 1657, et les obs., note J.-C. Duhamel et G. Poissonnier ; AJ pénal 2020. 412, obs. G. Poissonnier ; RSC 2020. 753, obs. D. Roets ; ibid. 909, obs. X. Pin.
(30) Paris, pôle 2 - 7e ch., 24 mai 2012, Juris-Data no 2012-012150.
(31) Crim. 7 juin 2011, n° 10-85.179, inédit, Légipresse 2011. 402 et les obs. ; ibid. 550, comm. N. Verly ; D. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; RSC 2011. 904, obs. J.-F. Renucci.
(32) Crim. 7 juin 2017, n° 16-80.322 P, Légipresse 2017. 368 et les obs. ; D. 2017. 1814, note C. Bigot ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 398, obs. J.-B. Thierry.