La Cour de cassation énonce que la détention provisoire d'une personne mise en examen du chef d'apologie publique d'actes de terrorisme constitue une contrainte réelle et effective et, de ce fait, une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression. La détention provisoire entre, dès lors, dans le champ de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et doit respecter les conditions posées par le second paragraphe de ce texte. La limitation du droit à la liberté d'expression est prévue par la loi et répond à l'objectif de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales. Il appartient donc à la juridiction devant laquelle une telle atteinte est invoquée de vérifier le caractère proportionné de la détention provisoire au regard du but légitime poursuivi.
Un individu est mis en examen du chef d'apologie d'actes de terrorisme et placé en détention provisoire. Cette mesure, d'une durée de six mois, est prolongée deux fois par ordonnances du juge des libertés et de la détention, confirmées par la chambre de l'instruction. Le pourvoi formé contre le second arrêt est néanmoins accueilli par la Cour de cassation. Dans la décision commentée, du 26 juillet 2023, notre Haute juridiction statue au visa des articles 10 de la Convention ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 26 juillet 2023
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
6 novembre 2023 - Légipresse N°418
3655 mots
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(1) V., en dernier lieu, Crim. 29 mars 2023, n° 22-83.458 P, Légipresse 2023. 200 et les obs. ; D. 2023. 1546, chron. L. Ascensi, M. Fouquet, B. Joly, L. Guerrini et P. Mallard ; RSC 2023. 415, obs. D. Zerouki et E. Rubi-Cavagna ; RTD com. 2023. 463, obs. L. Saenko ; JCP 2023. 704, note J.-C. Saint-Pau ; Dr. pénal 2023. Comm. 102, obs. P. Conte ; CCE 2023. Comm. 34, obs. A. Lepage ; Crim. 18 mai 2022, n° 21-86.685 P, Légipresse 2022. 340 et les obs. ; ibid. 487, étude R. Le Gunehec et A. Pastor ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; D. 2022. 1186, note S. Pellé ; AJ pénal 2022. 374, obs. J.-B. Thierry ; AJCT 2022. 593, obs. S. Lavric ; RSC 2022. 817, obs. X. Pin ; ibid. 2023. 415, obs. D. Zerouki et E. Rubi-Cavagna ; Dr. pénal 2022. Comm. 122, obs. P. Conte ; Gaz. Pal. 7 juin 2022, p. 18, note E. Dreyer ; CCE 2022. Comm. 51, obs. A. Lepage.
(2) V., sur cette délicate question, E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., LexisNexis, 2022, p. 67, n° 85.
(3) Crim. 25 oct. 2011, n° 11-80.017 P, Légipresse 2011. 659 et les obs. ; D. 2011. 2730, obs. S. Lavric ; ibid. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; Gaz. Pal. 1er-2 févr. 2012, p. 18, obs. P. Piot ; Com. 6 avr. 1993, n° 91-12.774, Bull. civ. IV, n° 144.
(4) Cons. const. 29 janv. 2021, n° 2020-878/879 QPC, M. Ion Andronie R. et a., § 12, AJDA 2021. 244 ; ibid. 810, note M. Verpeaux ; AJ pénal 2021. 210, obs. J.-B. Perrier ; RFDA 2021. 570, chron. A. Roblot-Troizier.
(5) Rappelons que l'art. 138 c. pr. pén. permet au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention d'imposer, au titre du contrôle judiciaire, à la personne mise en examen, de « ne pas participer à des manifestations sur la voie publique dans des lieux déterminés » (3° bis), ce qui n'est pas jugé contraire à la liberté d'expression (Cons. const. 4 avr. 2019, n° 2019-780, loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, § 40, JA 2019, n° 598, p. 7, obs. T. Giraud). Le même texte permet d'imposer également à la personne mise en examen de « s'abstenir de recevoir ou de rencontrer certaines personnes » (9°), not. des journalistes (Crim. 16 nov. 2020, n° 20-84.638, Légipresse 2020. 592 et les obs.), et d'exercer « certaines activités de nature professionnelle ou sociale, à l'exclusion de l'exercice des mandats électifs et des responsabilités syndicales, lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ces activités et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise » (12°). Peu importe, là aussi, qu'une telle activité s'inscrive dans le périmètre de la liberté d'expression (Crim. 21 fév. 2023, n° 22-86.760, P, Légipresse 2023. 144 et les obs. ; AJ pénal 2023. 243, obs. T. Besse ; RSC 2023. 422, obs. D. Zerouki et E. Rubi-Cavagna ; Gaz. Pal. 25 avr. 2023, p. 16, note F. Dequatre ; CCE 2023. Comm. 35, obs. A. Lepage).
(6) Le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ne peut prescrire, par ordonnance motivée, que la personne placée en détention soit soumise à l'isolement aux fins d'être séparée des autres détenus, que si « cette mesure est indispensable aux nécessités de l'information » (C. Pr. pén., art. 145-4-1). C'est donc une exception dont il n'est pas établi qu'elle ait été mise en œuvre ici. De même, un détenu peut, en principe, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention ou téléphoner à un tiers. Il n'en va autrement que si le juge d'instruction prescrit à son encontre l'interdiction de communiquer pour une période de dix jours (renouvelable une fois ; C. pr. pén., art. 145-4).
(7) C. pénit., art. L. 345-1 et s. Certes, « [L]orsque la personne mise en examen est placée en détention provisoire, le juge d'instruction peut décider de prescrire à son encontre l'interdiction de correspondre par écrit avec une ou plusieurs personnes qu'il désigne, au regard des nécessités de l'instruction, du maintien du bon ordre et de la sécurité ou de la prévention des infractions. Il peut pour les mêmes motifs décider de retenir un courrier écrit par la personne détenue ou qui lui est adressé » (C. pr. pén., art. 145-4-2). Mais, là encore, il s'agit d'une exception dont il n'est pas établi qu'elle ait été mise en œuvre ici.
(8) L'art. L. 370-1 c. pénit. pose en principe que : « Les personnes détenues ont accès aux publications écrites et audiovisuelles. » Mais aucun texte ne consacre un droit d'accès des détenus provisoires à l'internet.
(9) V., pour un journaliste, CEDH 10 nov. 2020, n° 23199/17, Sabuncu et a. c/ Turquie, § 230, AJDA 2021. 200, chron. L. Burgorgue-Larsen ; et pour un homme politique : CEDH 19 janv. 2021, n° 72/17, Tau015f c/ Turquie, § 187, Légipresse 2021. 135 et les obs.
(10) Prudence toute relative au regard de ce qu'admet désormais la juridiction de Strasbourg (CEDH 23 juin 2022, n° 28000/19, Rouillan c/ France, § 74, Légipresse 2022. 404 et les obs. ; ibid. 510, chron. C. Bigot ; ibid. 686, obs. H. Leclerc ;D. 2022. 1652, note E. Dreyer ; AJ pénal 2022. 431, obs. M. Lacaze ; RSC 2022. 689, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 817, obs. X. Pin).
(11) V., rappelant à cet égard une jurisprudence constante, CEDH 7 juin 2022, n° 42713/15, de Abreu c/ Portugal, § 47, Légipresse 2022. 407 et les obs. ; ibid. 510, chron. C. Bigot ; ibid. 553, étude B. Nicaud ; CEDH 7 sept. 2017, n° 41519/12, Lacroix c/ France, § 50, AJDA 2017. 1693 ; D. 2017. 1763, obs. E. Autier ; AJCT 2018. 42, obs. Y. Mayaud.
(12) Il en irait différemment s'il pouvait justifier d'une activité antérieure et légitime de publication. Spécialement, s'agissant de journalistes, ce contrôle devrait conduire le juge des libertés et de la détention à vérifier que la détention provisoire n'est pas utilisée comme un moyen de lui faire avouer ses sources (dont le secret doit être respecté : loi du 29 juill. 1881, art. 2).
(13) D'autant qu'à ce titre le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention peut supplémentairement ajouter l'obligation faite au mis en examen de « respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d'un établissement d'accueil adapté dans lequel la personne est tenue de résider » (C. pr. pén., art. 138, 18°). Un programme de déradicalisation peut alors être proposé.
(14) L'art. 5 de la Conv. EDH définit un droit auquel il ne peut être dérogé qu'en cas d'état d'urgence (art. 15) alors que les art. 8, 9, 10 et 11 consacrent des droits relatifs, susceptibles de restrictions en toute hypothèse.