La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge que la condamnation d'un journal à révéler les données d'utilisateurs ayant tenu des propos insultants contre des hommes politiques sur l'espace de commentaires de son site internet, a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle énonce que la Convention ne garantit pas un droit absolu à l'anonymat pour les auteurs de commentaires sur internet. Cependant, celui-ci permet la libre circulation des opinions et des informations. Une obligation de divulguer les données d'utilisateurs serait de nature à avoir un effet dissuasif sur la participation au débat.
Depuis l'émergence des réseaux sociaux, blogs, forums, espaces de commentaires sur les sites d'information, nous avons découvert qu'il y avait deux races de chiens de garde : les journalistes, fidèles « chiens de garde de la démocratie », mais aussi une race nouvelle, l'internaute inconnu, « chien de garde social »(1). Les premiers sont rarement anonymes – du moins quand ils le sont, leurs articles sont assumés par une rédaction et un directeur de publication. Le second l'est ...
Cour européenne des droits de l'homme, 7 décembre 2021, Der Standard c/ Autriche
Renaud Le Gunehec
Avocat au Barreau de Paris - Normand et associés
Judith Bocquet
Elève-avocate
3 juin 2022 - Légipresse N°403
4037 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(1) Déclaration du Comité des min. du Conseil de l'Europe, 7 déc. 2011, citée in Le point sur la diffamation et l'injure pour les blogueurs, la responsabilité des éditeurs de sites en cas de contributions extérieures, Légicom 2016. 35, comm. N. Verly.
(2) L. no 2021-998 du 30 juill. 2021, relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.
(3) CJUE 6 oct. 2020, aff. C-511/18, C-512/18, C-520/18, AJDA 2020. 1880 ; D. 2021. 406, note M. Lassalle ; ibid. 2020. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJ pénal 2020. 531 ; Dalloz IP/IT 2021. 46, obs. E. Daoud, I. Bello et O. Pecriaux ; Légipresse 2020. 671, étude W. Maxwell ; ibid. 2021. 240, étude N. Mallet-Poujol ; RTD eur. 2021. 175, obs. B. Bertrand ; ibid. 181, obs. B. Bertrand ; ibid. 973, obs. F. Benoît-Rohmer ; CE, ass., 21 av. 2021, no 393099, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2021. 828 ; ibid. 1194, chron. C. Malverti et C. Beaufils ; D. 2021. 1268, note T. Douville et H. Gaudin ; ibid. 1247, point de vue J. Roux ; AJ pénal 2021. 309, chron. A. Archambault ; Dalloz IP/IT 2021. 408, obs. B. Bertrand et J. Sirinelli ; Légipresse 2021. 253 et les obs. ; RFDA 2021. 421, concl. A. Lallet ; ibid. 570, chron. A. Roblot-Troizier ; RTD eur. 2021. 349, étude L. Azoulai et D. Ritleng.
(4) M. Bendavid, P. Sardi-Antasan et A. Bruguier, La preuve pénale tirée des données de connexion remise en cause par le droit de l'Union, Légipresse 2022. 86.
(5) CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, no 64569/09, Delfi AS c/ Estonie (§ 114), RTD eur. 2016. 341, obs. F. Benoît-Rohmer ; v. Légipresse 2015. 501, obs. C. Bigot.
(6) On notera que dans l'aff. Delfi c/ Estonie, la situation était assez différente : les processus de modération semblaient moins efficients, et pour poster des commentaires l'inscription ne nécessitait pas de communiquer son identité à l'éditeur du site. Autrement dit, c'était l'impunité assurée pour les auteurs des commentaires, ce qui a certainement joué en faveur de la responsabilité de l'éditeur.
(7) Déclaration sur la liberté de communication sur internet adoptée par le Comité des min. du Cons. UE, 28 mai 2003 ; – Recomm. CM/Rec(2011)7 du Comité des min. aux États membres sur la nouvelle notion de média ; – Rapp. du rapporteur spécial du Cons. des droits de l'homme de l'ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, 22 mai 2015 (A/HRC/29/32) ; – Les parties pertinentes de la Dir. 2000/31/CE du Parl. UE et du Cons. UE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ; – Recomm. CM/Rec(2014)6 du Comité des min. aux États membres sur un Guide des droits de l'homme pour les utilisateurs d'internet, 16 avr. 2014 ; – Résol. du Parl. UE, 21 mai 2013, sur la Charte de l'Union européenne : paramètres standard pour la liberté des médias dans l'UE (2011/2246/INI) ; – Ann. du Cons. UE à la recomm. CM/Rec(2018)2 du Comité des min. aux États membres sur les rôles et responsabilités des intermédiaires de l'internet, 7 mars 2018 ; – Déclaration du rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression dans son rapp. du 22 mai 2015 au Conseil des droits de l'homme (A/HRC/29/32) ; – Déclaration du rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression dans son rapp. du 11 mai 2016 au Conseil des droits de l'homme (A/HRC/32/38) ; – Déclaration du rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression dans son rapport du 30 mars 2017 au Conseil des droits de l'homme (A/HRC/35/22).
(8) § 78 de l'arrêt.
(9) § 13 s. de l'avis partiellement dissident du juge Eicke.
(10) § 73 de l'arrêt.
(11) L'arrêt Delfi c/ Estonie préconisait déjà cette approche « mixte » : « Dans la récente recommandation du Comité des ministres aux États membres du Conseil de l'Europe sur une nouvelle conception des médias, cette distinction est formulée en termes d'“approche différenciée et graduelle [dans le cadre de laquelle] chaque acteur dont les services sont considérés comme un média ou une activité intermédiaire ou auxiliaire bénéficie à la fois de la forme (différenciée) et du niveau (graduel) appropriés de protection, et les responsabilités sont également délimitées conformément à l'[art. 10 CEDH] et à d'autres normes pertinentes élaborées par le Conseil de l'Europe” (§ 7 [ann. à la recomm.] CM/Rec(2011)7, repris au [§] 46 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère qu'en raison de la nature particulière de l'internet, les “devoirs et responsabilités” que doit assumer un portail d'actualités sur internet aux fins de l'[art.] 10 peuvent dans une certaine mesure différer de ceux d'un éditeur traditionnel en ce qui concerne le contenu fourni par des tiers » (§ 113 de l'arrêt).
(12) § 1 de l'avis partiellement dissident du juge Eicke dans la décis. commentée.
(13) Ibid., § 65, 71.
(14) Pour rappel, la CEDH utilise, dans de nombreux arrêts ayant trait à la protection des sources journalistique, la formule suivante : « La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de “chien de garde”, et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie » (CEDH 28 juin 2012, no 15054/07 et 15066/07, Ressiot et a. c/ France (§ 99), AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 2282, note E. Dreyer ; Légipresse 2012. 417 et les obs. ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RSC 2012. 603, obs. J. Francillon.
(15) §74 de la décis. commentée.
(16) CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, no 64569/09, Delfi AS c/ Estonie, préc. (§ 110).
(17) CEDH 7 févr. 2012, no 40660/08 et 60641/08, Von Hannover c/ Allemagne, AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 1040, note J.-F. Renucci ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2012. 142 et les obs. ; ibid. 243, comm. G. Loiseau ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud.
(18) Expression utilisée dans l'arrêt Delfi préc.
(19) CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, no 64569/09, Delfi AS c/ Estonie, préc. (§ 110).