La loi Gayssot a introduit à l'article 24 de la loi de 1881 la possibilité de rendre inéligibles pour cinq ans au plus les personnes qui ont été condamnées pour provocation à la haine raciale. Or cette possibilité n'est presque jamais utilisée. En dehors de suppositions relatives à la psychologie des juges, cette inapplication paraît pouvoir s’expliquer par une erreur de rédaction du Parlement en 1990, et par une décision prise avec légèreté par le Conseil constitutionnel en 2017.
Dans ses rapports annuels sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) appelle régulièrement à « faire usage de l'éventail des peines prévues par le code pénal, afin d'adapter au mieux la sanction aux faits et à la personnalité de leur auteur »(1). Or il existe parmi ces peines une mesure oubliée, qui n'est par exemple nulle part mentionnée dans les données du ministère de la Justice, ...
Thomas Hochmann
Professeur de droit public - Université Paris Nanterre (CTAD) - Institut ...
20 décembre 2021 - Légipresse N°398
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(1) En dernier lieu, v. Rapport pour l'année 2020, Doc. fr., 2021, p. 350.
(2) La loi nu1d52 90-615 du 13 juill. 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot.
(3) V. par ex., L'Assemblée nationale renforce les sanctions contre le racisme, Le Monde, 4 mai 1990.
(4) Assemblée nationale, 1re séance du 28 juin 1990, JO 29 juin, p. 3104.
(5) Rapport fait au nom de la Commission des lois du Sénat, 31 mai 1990, p. 27.
(6) Pour de rares exemples, v. Crim. 1er févr. 2017, no 15-84.511, Légipresse 2017. 69 et les obs. ; ibid. 260, Étude N. Verly ; AJDA 2017. 256 ; D. 2017. 961, note C. Saas ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric ; Un élu FN condamné pour avoir proposé de « récupérer les dents en or » des Roms, Le Monde, 28 nov. 2017 ; Catherine Mégret défend, en appel, la « prime de naissance » réservée aux Français, Le Monde, 11 avr. 2001. Pour des cas où la peine a été requise, mais pas prononcée par le juge, v., M. Le Pen condamné pour provocation à la discrimination raciale, Le Monde, 2 avr. 2004 ; et tout récemment, Cassandre Frisot, la manifestante à la pancarte antisémite « Mais qui ? », condamnée à six mois de prison avec sursis, Le Monde, 20 oct. 2021.
(7) Loi no 2017-1339 du 15 sept. 2017 pour la confiance dans la vie politique.
(8) V. par ex., Cons. const. 16 oct. 2015, no 2015-493 QPC (peine complémentaire obligatoire de fermeture d'un débit de boissons), D. 2015. 2080 ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJCT 2016. 171, obs. O. Didriche ; Constitutions 2015. 593, chron. X. Bioy ; ibid. 642, Décision. Pour une analyse critique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point, v. C. Aynès, La privation des droits civiques et politiques. L'apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté, thèse Institut universitaire européen, 2020, p. 423 et s. L'auteur observe que la CEDH adopte une démarche toute différente, et ne rattache pas systématiquement l'inéligibilité à la matière pénale (ibid., p. 415 et s.). Encore tout récemment, CEDH 17 juin 2021, Miniscalco c/ Italie, no 55093/13, §§ 61 et s.
(9) Cons. const. 8 sept. 2017, no 2017-752 DC, AJDA 2017. 1692 ; AJCT 2017. 416, obs. S. Dyens ; Constitutions 2017. 399, chron. P. Bachschmidt.
(10) Cons. const. 8 janv. 2016, no 2015-512 QPC, consid. 7 et 8, D. 2016. 521, obs. P. Wachsmann, note J.-B. Perrier et E. Raschel ; ibid. 492, point de vue D. Chagnollaud de Sabouret ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 205, obs. F.-X. Roux-Demare ; Constitutions 2016. 59, chron. F. Hamon ; ibid. 182, Décision ; RSC 2016. 81, obs. J. Francillon ; ibid. 406, obs. B. de Lamy.
(12) En 2016, la Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet, au motif que le grief allégué était dénué de caractère sérieux. Pour la Cour, une telle peine, « prononcée par le juge en tenant compte des circonstances propres à l'espèce », n'était pas disproportionnée, Crim. 30 mars 2016, no 15-84.511, Légipresse 2016. 263 et les obs. ; D. 2017. 181, obs. E. Dreyer.
(13) V., P. Lignières, Fraternité : le Conseil constitutionnel ne peut plus se contenter de coups d'éclat, Dr. adm. 2018. Repère 8 ; T. Hochmann, Et si le Conseil constitutionnel était une « Cour constitutionnelle de référence » ?, RDLH 2019. Chron. 32.
(14) Commentaire des décisions nos 2017-752 DC et 2017-753 DC du 8 sept. 2017, p. 7 (accessible sur le site du Conseil constitutionnel), AJDA 2017. 1692 ; AJCT 2017. 416, obs. S. Dyens ; Constitutions 2017. 399, chron. P. Bachschmidt.
(15) V., E. Dreyer, L'auteur de l'infraction de presse : auteur naturel ou artificiel ?, Dr. pénal 2008. Étude 18.
(16) Assemblée nationale, 2e séance du 2 mai 1990, JO 3 mai, p. 904.
(17) Ibid., p. 952.
(18) Après de longs débats généraux, ponctués de nombreux rappels au gouvernement, motions de renvoi en commission et autres exceptions d'irrecevabilité, la discussion sur le fond ne commença qu'à 4h20 du matin, pour s'achever à 6 h 30. V., L'Assemblée nationale renforce les sanctions contre le racisme, Le Monde, 4 mai 1990.
(19) V. Assemblée nationale, 2e séance du 2 mai 1990, JO 3 mai, p. 953. Le garde des Sceaux raisonne ainsi à partir du cas suivant : « Une publication qui ne vise qu'au0300 l'information de ses lecteurs recueille une interview au cours de laquelle sont tenus des propos racistes et les publie en y mettant les guillemets d'usage. Le but poursuivi par l'auteur de l'article et le directeur de publication n'a moralement rien de répréhensible. Pourtant, par le mécanisme de l'échelle des responsabilités prévu au0300 l'article 42 de la loi sur la presse, l'auteur principal de l'infraction raciste sera le directeur de publication. S'Il est poursuivi, l'auteur de l'article ne le sera que comme complice au titre de l'article 43 de cette loi. Quant au0300 l'auteur de propos racistes, il ne pourra être poursuivi que comme complice de droit commun ». Jacques Toubon se réfère ensuite à un exemple identique.
(20) V. les remarques du rapporteur et du garde des Sceaux devant l'Assemblée en deuxième lecture : « Il faut prendre toutes dispositions pour que les directeurs de publication et les journalistes ne soient pas privés de leurs droits civiques » (Asensi) ; « Cette mesure a été également étendue aux journalistes » (Arpaillange) (Assemblée nationale, 2e séance du 28 juin 1990, JO 29 juin, p. 3138). V. aussi le résumé des débats publiés dans Le Monde : « Les députés ont également adopté un sous-amendement de M. Jacques Toubon (RPR, Paris), excluant aussi les journalistes de cette peine » (L'Assemblée nationale renforce les sanctions contre le racisme, Le Monde, 4 mai 1990).
(21) Rapport fait au nom de la Commission des lois du Sénat, 31 mai 1990, p. 54.
(22) Assemblée nationale, 2e séance du 28 juin 1990, JO 29 juin, p. 3138.
(23) E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2018, no 1584.
(24) Crim. 1er févr. 2017, no 15-84.511, préc.
(25) Cassandre Frisot, la manifestante à la pancarte antisémite « Mais qui ? », condamnée à six mois de prison avec sursis, préc.
(26) Propos du garde des Sceaux devant l'Assemblée nationale, 2e séance du 2 mai 1990, JO 3 mai 1990, p. 904.
(27) En 1990, les directeurs de publication étaient opposés à cette entorse à la cascade de responsabilité caractéristique du droit français des médias. V. Assemblée nationale, 2e séance du 28 juin 1990, JO 29 juin, p. 3137.
(28) Fort-de-France, 18 mai 2010, n° 00070/2010, D. 2010. 2139, note P. Egéa.
(29) Proposition de résolution no 4660 visant à lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public.