S'il répond à un objectif de protection des mineurs, l'article 227-24 du code pénal peut être utilisé de façon inadéquate, en particulier pour attaquer des productions culturelles et artistiques. Comment dès lors limiter ce risque ?
Le 13 mai 1950, Boris Vian et son éditeur Jean d'Halluin étaient chacun condamnés à 100 000 francs d'amende pour outrage aux bonnes mœurs à la suite de la publication en 1946 du roman J'irai cracher sur vos tombes, interdit dès le 3 juillet 1949. Ces condamnations et cette interdiction étaient le résultat des poursuites engagées par le Cartel d'action sociale et morale, une fédération d'associations œuvrant pour le respect des bonnes mœurs.
De telles condamnations pour ...
Ophélie Wang
Docteure en droit, Bibliothécaire d'État
11 avril 2021 - Légipresse N°391
3800 mots
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(1) La mention des messages pouvant « inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger » a été introduite en 2011 et celle des messages « incitant au terrorisme » en 2014.
(2) Cet alinéa est introduit par l'article 22 de la loi no 2020-936 du 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
(3) Art. 23 de la même loi.
(4) Son abrogation est par exemple réclamée par le « Manifeste de l'Observatoire de la liberté de création », publié en mars 2003 dans plusieurs journaux culturels, consultable en ligne [https://www.ldh-france.org/Le-manifeste-de-l-Observatoire-de/].
(5) V. par ex., G. de Lagasnerie, La jeunesse, in E. Pierrat (dir.), Le livre noir de la censure, Seuil, 2016, p. 173.
(6) Crim. 12 janv. 2016, no 15-90.020.
(7) CE 30 juin 2000, nos 222194 et 222195, à propos du film Baise-moi, et CE, 10e et 9e sous-sect. réun., 1er juin 2015 no 372057, sur le film d'horreur Saw 3D, Légipresse 2015. 328 ; Lebon ; AJDA 2015. 1599, note M. le Roy.
(8) Décision prise par la cour d'appel de Bordeaux le 2 mars 2010, approuvée par la Cour de cassation, Crim. 2 mars 2011, no 10-82.250, Légipresse 2011. 277 et les obs. ; ibid. 305, comm. A. Tricoire.
(9) TGI Carpentras, 25 avr. 2002, Bonnet et a. c/ Flammarion et Houellebecq, Légipresse 2002, n° 192.I.113 ; Nîmes, 8 avr. 2004, Promouvoir c/ Léo Scheer, Légipresse 2004, n° 222.III, n° 125, note A. Tricoire ; TGI Paris, 17e ch., 16 nov. 2006, Ministère public c/ Bénier-Buu0308rckel et a., Légipresse 2007, n° 240.III.72, note A. Tricoire.
(10) V. en particulier, dans une affaire qui ne concerne pas l'article 227-24 du code pénal, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles (Versailles, 18 févr. 2016, no 15/02687, Légipresse 2016. 138 ; D. 2017. 935, obs. RÉGINE ; JAC 2016, n° 35, p. 12, obs. M. Combet ; ibid., n° 38, p. 36, étude M. Combet) à propos des paroles du rappeur Orelsan. Dans cette décision, la cour fait explicitement état de sa volonté de ne pas être censeur en déclarant : « Le domaine de la création artistique, parce qu'il est le fruit de l'imaginaire du créateur, est soumis à un régime de liberté renforcé afin de ne pas investir le juge d'un pouvoir de censure qui s'exercerait au nom d'une morale nécessairement subjective de nature à interdire des modes d'expression, souvent minoritaires, mais qui sont aussi le reflet d'une société vivante et qui ont leur place dans une démocratie ».
(11) Par ex., la décision sur le roman Pogrom, TGI Paris, 17e ch., 16 nov. 2006, Ministère public c/ Bénier-Buu0308rckel et a., et A. Tricoire, Quand la fiction exclut le délit, ou la reconnaissance de l'autonomie de la liberté de créer, Légipresse, 1er avr. 2007, p. 74.
(12) Il semble pourtant y avoir un sentiment en ce sens de la part de juristes proches des milieux artistiques. V. par ex., M. Lhotel, L'autocensure, in E. Pierrat (dir.), op. cit., p. 63.
(13) Ainsi, l'exposition des photographies de Larry Clark au Musée d'art moderne de Paris en 2010 était entièrement interdite d'accès aux mineurs.Cette décision fut très critiquée. V. par ex. la lettre publique de l'Observatoire de la liberté de création de la Ligue des droits de l'homme à la mairie de Paris disponible en ligne [https://www.ldh-france.org/Lettre-publique-de-l-Observatoire/] et à laquelle se sont associés plusieurs syndicats et associations d'artistes et l'article d'E. Treppoz, Exposition de Larry Clark : de l'exception artistique en droit pénal, Le Monde, 18 oct. 2010.
(14) Sur le sujet, v. P. Mbongo, Artistes au tribunal ? Sur l'exposition « Présumés innocents », Esprit, févr. 2007, p. 184.
(15) TGI Metz, 21 nov. 2013, no 11/03161, Légipresse 2014. 138 et les obs. ; ibid. 361, comm. D. Lefranc ; D. 2014. 83, obs. P. Mbongo.
(16) Metz, 19 janv. 2017, Frac de Lorraine c/ AGRIF, Légipresse 2017. 148, obs. A. Tricoire. V. aussi, Crim. 12 janv. 2016, no 15-90.020 (non-lieu à renvoi de la QPC posée par la FRAC portant sur l'art. 227-24 c. pén. et sa conformité avec, notamment, la liberté d'expression).
(17) Au terme de l'art. 2-3 c. pr. pén., une association de protection de l'enfance ne peut exercer ses droits de partie civile que lorsque l'une des infractions de mise en péril des mineurs visées (et dont fait partie celle prévue à l'art. 227-24 c. pén.) fait l'objet d'une mise en mouvement de l'action publique, ce qui n'était pas le cas ici.
(18) Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-16.089, Légipresse 2019. 44, obs. J. Couard ; ; D. 2018. 1913 ; JA 2018, n° 587, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2018. 863, obs. A.-M. Leroyer.
(19) Mais la cour d'appel de Paris doit encore rendre un arrêt de renvoi sur les demandes fondées sur l'art. 16 c. civ.
(20) Ainsi, dans le droit britannique, une publication obscène (interdite par l'Obscene Publication Act de 1959) a forcément une influence corruptrice sur le public.
(21) Selon la réponse à la question parlementaire no 15700, publiée au JO 8 avr. 2008, p. 3091.
(22) J. Feinberg, Harm to Others, Oxford University Press, 1984, et Offense to Others, Oxford University Press, 1985. La distinction est reprise par le philosophe français Ruwen Ogien pour justifier une liberté d'expression très large, en particulier en ce qui concerne la sexualité, dans La liberté d'offenser – Le sexe, l'art et la morale, La Musardine, 2007.
(23) Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, 1er juill. 1992, p. 16.
(24) D. Lefranc, L'art affolant : qu'est-ce qu'une œuvre pornographique ?, Juris art etc., no 22, 2015, p. 18.
(25) Rapport préc., 1er juill. 1992, p. 15.
(26) L'art. 23 de loi de la loi no 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales se contente d'imposer aux éditeurs de sites pornographiques de prendre « toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé ».
(27) Crim. 23 févr. 2000, no 99-83.928, sur un CD-rom crypté dont la clef pouvait être obtenue sur simple demande, D. 2000. 112 ; RSC 2000. 611, obs. Y. Mayaud ; ibid. 639, obs. J. Francillon ; ibid. 815, obs. B. Bouloc ; Paris, 2 avr. 2002, no 01/03637, sur site un pornographique et zoophile dont l'accès était bloqué par un logiciel de cryptage.
(28) L'art. 14 de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse dispose bien que « les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère pornographique doivent être revêtues de la mention “Mise à disposition des mineurs interdite (C. pén., art. 227-24)” et être vendues sous film plastique » mais cela ne signifie pas qu'une telle mention suffise à exonérer de l'infraction visée au même article.
(29) À l'occasion de l'arrêt Miller v. California, 413 U.S. 15 (1973).
(30) V. art. 163.8 du code criminel du Canada.
(31) Not. TGI Carpentras, 25 avr. 2002, Bonnet et a. c/ Flammarion et Houellebecq, et TGI Paris, 17e ch., 16 nov. 2006, Ministère public c/ Bénier-Buu0308rckel et a. V. à ce propos B. Nicaud, La responsabilité pénale de l'écrivain, Droit & Littérature, no 1, 2017, p. 45, et P. Mbongo, Réflexions sur l'impunité de l'écrivain et de l'artiste, Légipresse 2004. 85.
(32) Un parallèle peut ici être fait avec les classifications des œuvres cinématographiques. Un décret du 8 févr. 2017 est venu inscrire un critère similaire dans le code du cinéma et de l'image animée en précisant que « le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose l'œuvre » peut justifier qu'un film interdit aux moins de 18 ans ne soit pas classé comme pornographique (décret que le Conseil d'État a refusé d'annuler : CE 28 déc. 2017, no 407840, Association Promouvoir et Association Action pour la dignité humaine, Légipresse 2018. 62 ; Lebon ; AJDA 2018. 833 ; ibid. 1457, note C. Dounot).
(33) TGI Paris, 17e ch., 16 nov. 2006, Ministère public c/ Bénier-Buu0308rckel et a., v. A. Tricoire, préc.