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Liberté d'expression
/ Cours et tribunaux
09/02/2021
La difficile conciliation entre la liberté de la presse et la lutte contre les abus de marché
La Commission des sanctions de l'AMF sanctionne l'agence de presse Bloomberg pour avoir diffusé des informations qu'elle aurait dû savoir fausses et susceptibles de fixer le cours du titre d'une société cotée à un niveau anormal ou artificiel.
Elle considère que si la diffusion de ces fausses informations a été effectuée « à des fins journalistiques », nécessitant de tenir compte, en application du règlement européen sur les abus de marché, des règles régissant la liberté de la presse et la profession de journaliste, ces dernières n'avaient cependant pas été respectées par l'agence, en l'absence de vérification des informations. La Commission note également que la protection dont bénéficient les journalistes est subordonnée à la condition qu'ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (1re espèce).
La cour d'appel de Paris était saisie d'un recours formé par un journaliste financier britannique contre une décision de l'AMF l'ayant sanctionné pour avoir informé des tiers de la publication prochaine d'articles relayant des rumeurs de marché, et de s'être ainsi livré à une divulgation illicite d'informations privilégiées.
Elle a saisi la CJUE de questions préjudicielles portant sur l'interprétation des dispositions des directives no 2003/6/CE et 2003/124/CE et du règlement (UE) no 596/2014 en matière d'abus de marché. Elle l'interroge d'abord sur la notion d'« information privilégiée », au sens des directives précitées.
La Cour européenne est également questionnée sur le régime spécifique introduit par le règlement (UE) no 596/2014, afin de concilier la lutte contre les abus de marché avec les exigences découlant de la liberté de la presse. Enfin sur le champ d'application dudit règlement, lequel est réservé à la divulgation d'informations « à des fins journalistiques », et sur son articulation avec le régime de droit commun (2e espèce).
Deux affaires récentes ayant donné lieu à des sanctions à l'encontre d'une agence de presse et d'un journaliste illustrent les difficultés de concilier liberté de la presse financière et répression des abus de marché.
Le règlement du Parlement européen et du Conseil no 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après, le « règlement MAR ») a servi de fondement à la Commission des sanctions (la « Commission ») de l'Autorité des marchés financiers(1) ...
Autorité des marchés financiers, 11 décembre 2019 Cour d'appel, Paris, (pôle 5 ; chambre 7), 9 juillet 2020
Alexis TANDEAU
Avocat au Barreau de Paris
De Gaulle Fleurance & Associés
9 février 2021 - Légipresse N°389
3246 mots
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(6) AMF, étude consacrée à la cybercriminalité boursière, 10 oct. 2019, Alexandre Neyret, p. 40.
(7) Dans son étude précitée, l'AMF suggère notamment de communiquer en dehors des périodes de cotation et de passer par un diffuseur professionnel pour leur communication financière.
(8) Dans son rapport annuel pour 2017, la société Vinci indique qu'elle a actualisé et diffusé auprès de toutes les agences de presse sa procédure de communication financière, p. 178.
(9) Pts 38 et s. de l'arrêt.
(10) La décision de la Commission a été disponible publiquement de manière non anonymisée de sorte que la source du journaliste était nommément visée.
(11) CEDH, gd ch., 27 mars 1996, n° 17488/90, Goodwin c/ Royaume-Uni, 27 mars 1996 (pt 39), AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; D. 1997. 211, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1996. 1026, obs. J.-P. Marguénaud.
(15) CE 6 juin 2008, n° 299203, Société Tradition Securities and Futures, Lebon avec les concl. ; AJDA 2008. 1321, chron. E. Geffray et B. Bourgeois-Machureau ; RFDA 2008. 699, concl. M. Guyomar.
(16) Pt 30 de la décision.
(17) Pt 69 de la décision.
(18) Cela rappelle l'art. 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui encourage les entreprises ou sociétés éditrices de presse à adopter des chartes déontologiques et qui prévoit que « les déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste peuvent être invoqués en cas de litige » à défaut de conclusion d'une charte.
(19) Le CSA se livre également à un tel contrôle notamment lorsqu'il sanctionne un manquement à l'obligation de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information – v. par ex. la décision no 2019-137 du 24 avr. 2019.
(20) Crim. 28 févr. 2017, n° 16-80.523, Légipresse 2017. 249 et les obs. ; RSC 2018. 102, obs. E. Dreyer.
(21) E. Dezeuze, Confirmations et évolution du régime juridique du manquement d'initié, Rev. sociétés 2011. 432.
(22) CE 18 févr. 2011, n° 322786, Banque d'Orsay, Lebon.
(23) Sous réserve des journalistes qui se livrent à des recommandations d'investissements.
(24) CEDH, 2e sect., 25 juin 2020, n° 51279/99, Colombani et autres c/ France (pt 65).