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Secret des affaires
/ Cours et tribunaux
09/02/2021
Droit d’accès à des informations d’intérêt général dans le domaine de la santé : le verrou du secret des affaires
Saisi d'un recours du Monde, à la suite d'un refus de communication de documents administratifs et d'un avis défavorable de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), dans l'affaire des Implant files, le tribunal administratif fait la distinction entre, d'une part les dispositifs certifiés et déjà mis sur le marché, d'autre part les dispositifs non encore mis sur le marché, qui relèveraient quant à eux du secret des affaires. Il juge que le refus opposé à la demande de communication, en tant qu'elle porte sur la liste des dispositifs médicaux n'ayant pas obtenu le marquage « CE » et sur la liste de ceux qui, bien que l'ayant obtenu, ne sont pas encore commercialisés, constitue une ingérence nécessaire et proportionnée, au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, à la protection des informations confidentielles en cause. Leur communication serait en effet de nature à porter atteinte au secret des stratégies commerciales et industrielles des fabricants concernés en révélant leur intention de commercialiser à l'avenir un tel dispositif.
Quand le décret d'application de la loi du 30 juillet 2018 sur le secret des affaires a été publié, on s'est inquiété de l'imminence des contentieux dans le champ de la liberté d'informer(1). La première affaire signalée sur le sujet est atypique mais très révélatrice des enjeux : pas une procédure bâillon contre un organe de presse devant le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire, mais un recours du Monde devant le Tribunal administratif de Paris, à la suite d'un refus ...
Tribunal administratif, Paris, 15 octobre 2020, Sté éditrice du Monde et Mme S. H.
Renaud Le Gunehec
Avocat au Barreau de Paris - Normand et associés
9 février 2021 - Légipresse N°389
4630 mots
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(1) R. Le Gunehec, Secret des affaires : drôle d'ambiance, Légipresse 2019. 68.
(2) Dès lors que les intervenants disposent du même intérêt à intervenir, ils peuvent présenter un mémoire commun (CE 24 nov. 1967, Min. TP et transports c/ Labat, Lebon 444, sol. impl. – 13 févr. 1981, Assoc. pour la protection de l'eau et des ressources naturelles du bassin inférieur du Doubs, Lebon 89). Dans cette hypothèse, la recevabilité d'un seul intervenant emporte recevabilité de l'intervention collective dans son ensemble (CE 15 oct. 2014, Union nationale du personnel en retraite de la gendarmerie et a., no 358876 B, Lebon).
(3) Art. L. 311-6 dans sa rédaction antérieure : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ». Rédaction depuis la loi du 30 juillet 2018 : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ».
(4) Art. R. 343-3 à R. 343-5 du CRPA.
(5) Art. L. 151-1 c. com. : « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
(6) La loi du 30 juill. 2018 (art. 4) a procédé à la même harmonisation sémantique dans une multitude de textes, notamment les art. L. 615-5-1 du CPI, L. 162-18 du CSS, L. 412-7 du c. envir., 349 sexies c. douanes, L. 213-2 du c. patr., L. 1511-4 du c. transp., L. 233-1 du c. énergie … En tout, la loi modifie trente articles, dans des champs très différents, pour substituer l'expression « secret des affaires » aux différentes formules préexistantes (lesquelles désignaient, de manière cumulative ou non, le secret industriel, commercial, professionnel ou encore le secret de fabrication).
(7) Texte introduit par le décr. du 11 déc. 2018, décret d'application de la loi du 30 juill. 2018. Saisi en référé, le juge administratif devrait ainsi être amené à rechercher si une atteinte est, ou risque d'être portée, au secret des affaires tel qu'il est défini à l'art. L. 151-1 du c. com. Il serait, en effet, surprenant que ce nouveau référé administratif, qui est le pendant du référé existant en matière commercial, s'appuie sur une définition autonome du secret des affaires. On est, ici, dans le champ de la directive.
(8) « À l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque : 1° L'obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l'exercice du droit à l'information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants (…) ».
(9) Par ex. dans le cadre d'un recours contre une décision du CSA (CE 13 mai 2019, no 421779, Légipresse 2019. 255 et les obs. ; Lebon ; AJDA 2019. 1022), ou d'un recours contre un refus de faire bénéficier une publication des avantages fiscaux et postaux (CE 10 juill. 2009, no 299696.
(10) CE 3 juin 2020, no 421615, Lebon ; AJDA 2020. 1588. Dans cette affaire deux associations avaient demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes avait refusé de leur communiquer la liste des entreprises franciliennes sanctionnées pour non-respect de l'égalité salariale entre femmes et hommes, avec les sanctions infligées. Par un jugement du 15 mars 2018, le tribunal avait rejeté leur demande. Le Conseil d'État a approuvé. En l'espèce le fondement du refus n'était pas le secret des affaires mais la réserve relative aux documents administratifs « faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice » (CRPA, art. L. 311-6, 3°). Le jugement Le Monde est une nouvelle illustration de cette jurisprudence bien peu favorable au droit à l'information du public dans le champ « CADA ».
(11) Un des éléments de la mise en balance est propre à ce type de contentieux de l'accès aux documents administratifs : le tribunal considère que les listes demandées -qui sont bien selon lui des documents administratifs, ce qui était contesté par le LNE et sa filiale- ne nécessitaient pas un effort d'élaboration excessif. Il relève à cet égard qu'en application de l'art. R. 5211-64 du CSP, les organismes notifiés, à l'instar du LNE et de sa filiale, doivent informer l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé « de tous les certificats délivrés, modifiés, complétés, suspendus, retirés ou refusés ». Autant dire que pour l'essentiel les listes existent. Mais cette évocation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé va, un peu plus loin, se retourner contre les requérants.
(12) La CADA dans son avis avait jugé le contraire, d'où sans doute cette précision.
(13) V. not., CEDH 17 oct. 2002, Stambuk c/ Allemagne, no 37928/97, AJDA 2002. 1277, chron. J.-F. Flauss ; CEDH 7 nov. 2006, Mamère c/ France, no 12697/03 ; CEDH 26 juill. 2007, Artun et Güvener c/ Turquie, no 75510/01.
(14) Paris, 6 juin 2019, n° 18/03063, Légipresse 2019. 338 et les obs. ; ibid. 474, obs. R. Le Gunehec ; RTD com. 2019. 978, obs. F. Macorig-Venier.