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Droit de réponse
/ Cours et tribunaux
18/12/2020
Proportionnalité, égalité et cohérence : quelques utiles précisions de la Cour de cassation en matière de droit de réponse
Est seule recevable à mettre en mouvement l'action publique du chef du délit de refus d'insertion d'une réponse, la personne nommée ou désignée dans un journal ou écrit périodique, qui a demandé en vain au directeur de la publication l'insertion forcée de ladite réponse (1er arrêt).
La réponse dont l'insertion est demandée ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l'honneur du journaliste, auteur de l'article auquel il est répondu, lorsqu'elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l'enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l'expression ou son absence d'animosité personnelle (2e arrêt).
Le droit de réponse en matière de presse écrite se définit comme la possibilité, accordée par la loi, à toute personne mise en cause dans un journal ou un écrit périodique, de présenter son point de vue au sujet de cette mise en cause dans le même journal ou périodique(1). Instauré depuis près de deux siècles(2), il se caractérise notamment par des conditions d'exercice exigeantes(3). Dans deux arrêts rendus le 1er septembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 1er septembre 2020
Benjamin Domange
Avocat associé au Barreau de Paris, Cabinet Twelve
18 décembre 2020 - Légipresse
4315 mots
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(1) Y. Mayaud, L'abus de droit en matière de droit de réponse, in J.-Y. Dupeux et A. Lacabarats (dir.), Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1997, p. 5.
(2) Prévu initialement par l'art. 11 de la loi du 25 mars 1922, puis par l'art. 9 de la loi du 9 sept. 1835, puis par l'art. 13 de la loi du 27 juill. 1849, puis par l'art. 19 du décr. du 17 févr. 1852, avant d'intégrer l'art. 13 de la loi du 29 juill. 1881.
(3) Exigences tenant à la qualité de son auteur, au destinataire du droit de réponse, aux délais d'exercice, à la dimension de la réponse et à son contenu.
(4) L'art. L. 392-1, al. 2, dispose : « Lorsque la partie civile est une personne morale à but lucratif, elle doit, sous peine de non-recevabilité de la citation directe, produire au tribunal son bilan et son compte de résultat afin de permettre la détermination du montant de la consignation ». Cette disposition demeure inchangée depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019 ayant complété cet article.
(5) L'arrêt précise « sur le moyen relevé d'office dont il a été fait mention au rapport », retenant ainsi que les parties ont été mises en mesure de présenter leurs observations sur le rapport.
(6) En jugeant irrecevable la constitution de partie civile, le tribunal n'avait pas à statuer au fond. La décision pénale de relaxe, qui est une condition de mise en œuvre de l'article 472 du code de procédure pénale, a toutefois permis au tribunal de statuer sur la demande de procédure abusive.
(7) Crim. 16 janv. 1969, no 67-92.648, « Que s'il entre dans les pouvoirs des juges du fait d'apprécier […] la teneur de la réponse, aussi bien que celle de l'écrit qui l'a provoquée, leur appréciation est soumise au contrôle de la Cour de cassation, lequel s'exerce non seulement sur les énonciations de l'arrêt, mais aussi sur les termes dudit écrit et ceux de ladite réponse ».
(8) Depuis la loi du 13 juill. 1990, l'art. 13-1 de la loi du 29 juill. 1881 permet aux associations ayant pour objet de lutter contre le racisme d'exercer le droit de réponse prévu par l'article 13 lorsque des propos relèvent de l'art. 32, al. 2, de la loi du 29 juill. 1881 (diffamation à raison de la race ou de la religion).
(9) L'al. 1er de l'article dispose : « Le directeur de la publication sera tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien sous peine de 3 750 euros d'amende sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l'article pourrait donner lieu ».
(10) Paris, 11e sect. A, 15 janv. 1997, no 6767/96.
(11) C. Bigot, Pratique du droit de la presse, Victoires Éditions, 2017, p. 57.
(12) Crim. 12 juill. 1884, D. 1886. 1. 47 ; Civ. 1re, 27 juin 2018, no 17-21.823 : « Attendu que le droit de réponse est général et absolu ; que celui qui en use est seul juge de la teneur, de l'étendue, de l'utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l'insertion ; que le refus d'insérer ne se justifie que si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l'intérêt légitime des tiers ou à l'honneur des journalistes », D. 2019. 216, obs. E. Dreyer.
(13) Crim. 2 févr. 1988, no 85-90.203.
(14) Crim. 22 févr. 2000, no 99-82.011 : « Attendu que le directeur de la publication n'est pas tenu d'insérer une réponse en application de l'article susvisé lorsqu'elle lui est demandée par un avocat sans que celui-ci produise le mandat spécial qui lui a été remis à cet effet par la personne mise en cause », D. 2000. 124.
(15) TGI Paris, 17e ch. civ., 18 juin 2012, no 12/05485.
(16) Crim. 7 avr. 1994, no 92-82.544, D. 1994. 148 et Crim. 19 sept. 2006, no 06-80.180.
(17) Crim. 18 déc. 2007, no 07-82.106, D. 2008. 298, obs. M. Léna.
(18) Crim. 13 nov. 2018, no 18-81.194.
(19) CEDH 31 mars 2020, nos 55997/14, 68143/16, 78841/16 et 3706/17, Dos Santos Calado e.a. c/ Portugal, §§ 118 à 130, sur l'irrecevabilité de recours formés devant un tribunal constitutionnel qui a fait preuve d'un formalisme excessif dans l'application de la loi organique sur le tribunal constitutionnel.
(20) CEDH 28 oct. 1998, no 22924/93, Aït-Mouhoub c/ France, § 57, pour la fixation du montant d'une consignation à 80 000 francs en l'absence de ressources financières du plaignant, D. 1999. 268, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin.
(21) Cons. const. 12 févr. 2004, no 2004-491 DC, Loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française, consid. 4 : « Considérant, en premier lieu, que le principe du double degré de juridiction n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle », D. 2005. 1133 ; ibid. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino.
(22) À la remarque du duc de Broglie (1785-1870) qui s'opposait à l'instauration d'un droit de réponse (« Vous ouvrez la porte à une foule d'abus dangereux. La réponse peut contenir un délit »), il lui fut opposé que « le journaliste sera le juge nécessaire de la réponse qui lui sera adressée. Si elle est innocente, il sera tenu de l'insérer ; si elle est coupable, aucune loi ne peut l'y obliger », cité par M. Béra, « Critiquer mais de quel droit ? », Sociétés et Représentations, 2015/2, no 40.
(23) Crim. 28 avr. 1932, Bull. crim. no 117
(24) Crim. 3 mai 1923, DP 1923. 1. 93 ; Crim. 29 juin 1965, Bull. crim. no 166 ; Crim. 19 déc. 1989, no 89-81.197, Bull. crim. no 493 ; Crim. 23 mars 1993, no 91-83.174 ; Crim. 11 mai 1995, no 93-84.595.
(25) Crim. 24 sept. 1996, no 95-84.632.
(26) C. Bigot, op. cit., p. 64.
(27) Crim. 3 nov. 1999, no 96-83.146, Bull. crim. no 241 ; D. 2000. 29 .
(28) Crim. 14 oct. 2008, no 07-82.157, D. 2009. 1779, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis.
(29) Crim. 4 sept. 1996, no 93-83.764, D. 1996. 255 ; Crim. 4 sept. 2001, no 01-80.958.
(30) TGI Paris, ord. réf., 19 déc. 2003, no 03-62724.
(31) Crim. 14 déc. 1999, no 99-81.925 : « Eu égard à la teneur de l'article publié, Maurice X… était en droit, non seulement de donner aux lecteurs du journal sa version des faits concernant l'existence des écoutes téléphoniques et de la perception d'une somme de 30 millions de francs dont il était fait état dans ledit article, mais aussi de critiquer, comme il l'a fait, en termes mesurés, la façon dont “Le Monde” traitait l'information le concernant ; Attendu qu‘en déduisant de ces constatations que la réponse adressée était en corrélation avec l'article d'origine et qu'elle ne portait pas atteinte à la considération du journaliste, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ».
(32) Crim. 8 nov. 2005, no 05-80.344.
(33) Paris, pôle 2 - ch. 7, 9 sept. 2020, Légipresse 2020. 532, s'agissant d'un article relatant notamment : « Depuis deux ans, une enquête préliminaire est ouverte contre ce chirurgien-dentiste adepte des théories du complot. Sans résultats. » […] « S. L. n'a aucune limite, pas même celles qu'impose la loi ». « Il concentre surtout ses attaques contre les homosexuels, les juifs, les francs-maçons, les musulmans pas assez radicaux à son goût ».
(34) L'article litigieux contenait notamment les propos suivants : « Comment construire 38 logements d'habitation individuelle dans l'agglomération bordelaise pour à peine 1,8 million d'euros et en respectant, qui plus est, la nouvelle norme basse consommation d'énergie ? Il suffit de faire appel à des dizaines de travailleurs bulgares, de les contraindre à travailler 50 heures par semaine, d'ignorer tout ou partie de leurs heures supplémentaires et surtout de faire comme si les cotisations sociales n'existaient pas. Entre 2013 et 2014 au Hainan, c'est de cette façon que le projet les magnolias, piloté par le promoteur immobilier X, a pu sortir de terre ». « Ce dernier, en tant que donneur d'ordre, devait veiller au respect de la législation sociale. Pour ne pas l'avoir fait, il a été sévèrement condamné pour travail dissimulé le 11 décembre par le tribunal correctionnel de Bordeaux ». « On ne peut même pas évoquer une fraude au détachement », les autorités bulgares ayant refusé à José Luis Rodriguez Rasera l'autorisation d'envoyer des travailleurs en France.
(35) Paris, pôle 2 - ch. 7, 9 oct. 2020, préc.
(36) Crim. 14 juin 1972, no 70-90.819, Bull. crim. no 205.
(37) Crim. 8 nov. 2005, no 05-80.344. Il convient de préciser que le directeur de la publication avait été condamné pour diffamation.
(38) Crim. 20 juin 2017, no 16-85.512, D. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2017. 364 et les obs..