La détention en connaissance de cause, à la suite de leur téléchargement, de fichiers caractérisant le délit d'apologie d'actes de terrorisme, entre dans les prévisions des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal. Toutefois, la condamnation de ce chef, pour être compatible avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne peut être prononcée que si l'auteur du recel adhère à l'idéologie exprimée dans ces fichiers.
Les dispositions combinées des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu'elles incriminent, sous la qualification de recel d'apologie du terrorisme, la consultation de sites internet faisant l'apologie du terrorisme, ou la possession d'un support informatique ou numérique sur lequel serait téléchargé le produit d'une telle consultation, sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit et, plus précisément, au principe de la liberté d'opinion et de communication garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et méconnaissent-elles l'autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel ?
Objectif de lutte contre le terrorisme – Si la lutte contre le terrorisme constitue un objectif d'intérêt public reconnu par le Conseil constitutionnel(1) sans doute ne doit-il pas conduire à négliger les principes essentiels du droit pénal, et encore moins ceux de la logique. Pourtant, en validant la condamnation d'un individu pour recel de biens provenant du délit d'apologie d'actes terroristes, sur le fondement combiné des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal, au motif qu'il a ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 7 janvier 2020, n° 19-80.136 Cour de cassation, 24 mars 2020, QPC, n° 19-86.706
Benjamin Fiorini
Maître de conférences à l'Université Paris 8
20 mai 2020 - Légipresse N°381
2290 mots
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(1) Dans plusieurs décisions récentes, le Conseil constitutionnel indique que « l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme » participe de « l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions », Cons. const. 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC, consid. no 5, D. 2017. 354 ; ibid. 2018. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2017. 237, obs. J. Alix ; Dalloz IP/IT 2017. 289, obs. M. Quéméner ; Constitutions 2017. 91, chron. A. Cappello ; ibid. 187, chron. ; RSC 2018. 75, obs. P. Beauvais ; Cons. const. 15 déc. 2017, no 2017-682 QPC, consid. no 4, AJDA 2017. 2499 ; D. 2018. 97, et les obs., note Y. Mayaud ; ibid. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 94, Décision A. Ponseille ; ibid. 99, chron. A. Ponseille ; RSC 2018. 75, obs. P. Beauvais ; Cons. const. 18 mai 2018, no 2018-706 QPC, consid. no 19, D. 2018. 1233, et les obs., note Y. Mayaud ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 332, Décision. Dans un registre proche, les Sages estiment également que « l'objectif de lutte contre le terrorisme » participe de « l'objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public », Cons. const. 16 févr. 2018, no 2017-691 QPC, consid. no 15, AJDA 2018. 365 ; D. 2018. 830, et les obs., note S. Pellé ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 110, chron. O. Le Bot ; ibid. 186, Décision ; Cons. const. 29 mars 2018, no 2017-695 QPC, consid. no 31, AJDA 2018. 710 ; D. 2018. 876, et les obs., note Y. Mayaud ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 277, chron. O. Le Bot.
(2) V. en ce sens, J. Alix, Aux confins de la répression pénale, D. 2020. 273 ; D. Roets, Du recel de fichiers téléchargés faisant l'apologie d'actes de terrorisme : Cour de cassation versus Conseil constitutionnel ?, D. 2020. 312 ; J. Perot, Validité du recel d'apologie d'actes de terrorisme à l'aune de la liberté d'expression, Lexbase pénal, Le Quotidien, 13 janv. 2020.
(3) P. Conte, Droit pénal spécial, 6e éd., LexisNexis, 2019, no 644.
(4) À cet égard, le présent arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation doit être rapproché de celui dans lequel elle a cassé la condamnation d'un journaliste pour recel de violation du secret de l'instruction, au motif que cette condamnation violait l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où l'infraction de recel avait été nécessaire à l'exercice des droits de la défense du prévenu dans le cadre du procès en diffamation qui lui était intenté, Crim. 11 juin 2002, no 01-85.237, Bull. crim. no 132 ; D. 2004. 317, et les obs., obs. B. de Lamy ; RSC 2002. 619, obs. J. Francillon ; ibid. 881, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2003. 93, obs. B. Bouloc.
(5) Cons. const. 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC, préc. ; Cons. const. 15 déc. 2017, no 2017-682 QPC, préc..
(6) Cons. const. 15 déc. 2017, no 2017-682 QPC, préc., consid. no 14.
(7) Si le recel est en principe puni de cinq ans d'emprisonnement et 375 000 € d'amende au titre de l'article 321-1, alinéa 3, du code pénal, l'application combinée des articles 421-2-5, alinéa 2 et 321-4 du même code porte cette peine à sept ans d'emprisonnement et – paradoxalement – une amende moindre de 100 000 € (ce qui est assez révélateur de l'incohérence relative de l'échelle des peines découlant d'innovations législatives précipitées…).
(8) Crim., QPC, 24 mars 2020, no 19-86.706, D. 2020. 713. Il faut noter que la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que sa jurisprudence était « constante », alors même que l'arrêt du 7 mars 2020 est le seul où elle s'est prononcée sur la validité de la qualification de recel d'apologie d'actes terroristes. La question transmise au Conseil constitutionnel est la suivante : « Les dispositions combinées des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu'elles incriminent, sous la qualification de recel d'apologie du terrorisme, la consultation de sites internet faisant l'apologie du terrorisme, ou la possession d'un support informatique ou numérique sur lequel serait téléchargé le produit d'une telle consultation, sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit et, plus précisément, au principe de la liberté d'opinion et de communication garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et méconnaissent-elles l'autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel ? »
(9) V. sur la question de la provenance, F. Safi, Le recel de l'apologie du terrorisme : du juge qui prononce la lettre de la loi au juge qui trahit l'esprit de la loi, Lexbase Pénal 2020, no 25.
(10) Cette interprétation est d'ailleurs conforme aux dispositions de l'ancien article 460 du Code pénal, qui punissait « ceux qui, sciemment, auront recelé, en tout ou en partie, des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit. »
(11) Lire en ce sens, J.-Cl. Pénal des affaires, vo Recel de choses, par C. de Jacobet de Nombel, no 71.
(12) Ainsi, le recel de vol peut porter sur les fonds provenant de la vente de la chose dérobée, Crim. 11 févr. 1964, Bull. crim. no 46.
(13) Rép. pén., vo Cybercriminalité, par F. Chopin, no 152.
(14) Dieu mis à part, pour certains croyants… Pour la présentation de la causa sui comme une absurdité, v. F. Nietzsche, Par-delà bien et mal, Paris, Gallimard 1971 (éd. Originale : 1886), no 15.