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Provocation
/ Cours et tribunaux
10/05/2019
Provocation à la discrimination : consolidation du « choix » de la rigueur - À propos de la chanson de rap Nique la France
Les propos poursuivis : « C'est l'union sacrée, contre l'envahisseur, le barbare, le sauvage, contre l'ennemi intérieur – Mais on ne va s'laisser faire, se laisser bâillonner, on ne va pas lâcher l'affaire… », éclairés par l'ensemble du texte de la chanson et compte tenu du langage en usage dans le genre du rap, pour outranciers, injustes ou vulgaires qu'ils puissent être regardés, entendent dénoncer le racisme prêté à la société française, qu'elle aurait hérité de son passé colonialiste, et s'inscrivent à ce titre dans le contexte d'un débat d'intérêt général. Pour la chambre criminelle, ils ne contiennent, même implicitement, aucun appel ni exhortation à la discrimination, la haine ou la violence contre quiconque, de sorte qu'ils n'excédaient pas les limites de la liberté d'expression.
Le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale occupe une place importante au sein du contentieux français de l'expression publique(1). Le présent arrêt renforce cette place et permet à la chambre criminelle de la Cour de cassation de confirmer son interprétation étroite du délit qu'elle empêche de dériver en délit d'opinion(2). En l'espèce, à la suite de la publication de la chanson Nique la France extraite d'un disque de rap, l'association ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 11 décembre 2018, Saïd X
Lyn FRANÇOIS
Maître de conférence à l'Université de Limoges.
Vice-doyen de la faculté de ...
10 mai 2019 - Légipresse N°370
2726 mots
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(1) Pour une étude de la question, v. D. Roets La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée : une incrimination insaisissable, in Humanisme et Justice, Mélanges en l'honneur de Geneviève Giudicelli-Delage, Dalloz, 2016, p. 643.
(2) C. Bigot, La Cour de cassation revient à une définition étroite du délit de provocation à la haine raciale, D. 2017. 1814.
(3) Pour autant, il paraît ici difficile d'affirmer que l'expression « Français de souche » vise toutes les personnes ayant une telle nationalité. Aussi, convient-il d'approuver sans réserve l'arrêt de la cour d'appel qui avait considéré que les appellations « Français de souche » ou « blancs » ne permettaient pas de savoir à quelle catégorie de Français elles pouvaient s'appliquer si bien qu'elles ne constituent pas un « groupe de personnes » au sens de l'art. 24.
(4) Crim. 28 janv. 1992, inédit, no 91-81.778.
(5) Crim. 8 nov. 2011, n° 09-88.007, Bull. crim. no 229 ; D. 2011. 2870 ; ibid. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; RSC 2012. 175, obs. J. Francillon.
(6) Crim. 24 juin 1997, n° 95-81.187, Bull. crim. no 253 ; D. 1997. 212 ; RSC 1998. 102, obs. Y. Mayaud.
(7) Crim. 17 mars 2015, no 13-87.922, D. 2016. 277, obs. E. Dreyer.
(8) Crim. 1er févr. 2017, n° 15-84.511, AJDA 2017. 256 ; D. 2017. 961, note C. Saas ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric. Pour d'autres arrêts, v. Crim. 28 mars 2017, no 15-80.875 ; Crim. 28 mars 2017, no 15-87.415.
(9) Crim. 9 janv. 2018, no 16-87.540, D. 2019. 216, obs. E. Dreyer ; JA 2018, n° 574, p. 13, obs. X. Delpech ; Crim. 9 janv. 2018, no 17-80.491, D. 2019. 216, obs. E. Dreyer. V., pour des arrêts postérieurs consacrant la même solution, Crim. 23 mai 2018, no 17-82.896, JA 2018, n° 583, p. 10, obs. X. Delpech et Crim. 19 juin 2018, no 17-86.604.
(10) CEDH 15 janv. 2009, n° 20985/05, Orban et autres c/ France, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2009. 124, obs. J. Francillon ; ibid. 663, obs. D. Roets.
(11) CEDH 10 juill. 2008, no 15948/03, Soulas et autres c/ France, AJDA 2008. 1929, chron. J.-F. Flauss.
(12) CEDH 24 mai 1988, n° 10737/84, Muller et autres c/ Suisse, Série A, no 133.
(13) Sur cette question, v. L. François, « Performance » musicale et liberté d'expression, RLDI 2019/156, no 5332 ; V. Lobier, La Liberté d'expression dans le domaine de la musique. Le juge face aux paroles des chansons en droit comparé, RD publ. 2017. 1047. V. égal., B. Nicaud, La réception du message artistique à la lumière de la CEDH, sous la dir. de J.-P Marguénaud, 2011, Université de Limoges.
(14) CEDH 17 juill. 2018, no 38004/12, Mariya Alekina et autres c/ Russie, AJDA 2018. 1770, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RLDI 2019/156, no 5332.
(15) V. sur cette question, N. Droin, Le juge et le rap, RD publ. 2016, no 5, p. 1377.
(16) Versailles, 8e ch. 18 févr. 2016, Associations chiennes de garde et autres c/ A. Contentin dit Orelsan, Légipresse n° 337, mois ??? 2016. V. égal., Paris, 7e ch., 28 juin 2012, E. Zemmour c/ Y. Mabiki et autres, RLDI 2013/95, note L. François
(17) Sur cette question, v. L. François, Le débat d'intérêt général dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Légipresse n° ???, mois ??? 2014, p. 339 et 403.
(18) CEDH 10 nov. 2015, n° 40454/07, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/ France, AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2016. 116, et les obs., note J.-F. Renucci ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud.
(19) V., L. François, La réception du critère européen de « débat d'intérêt général » en droit français de la diffamation, D. 2018. 636.
(20) Crim. 11 mars 2008, n° 06-84.712, Légipresse n° 253, mois ??? 2008, III, p. 130, note B. Ader ; D. 2008. 2256, note J. Lapousterle ; ibid. 2009. 1779, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis ; AJ pénal 2008. 237. Pour des arrêts ultérieurs, v. Crim. 12 mai 2009, Bull. crim. no 88 ; D. 2009. 2316, obs. S. Lavric, note E. Agostini ; AJ pénal 2009. 360 ; CCE 2009. Comm. 82, note A. Lepage ; Crim. 4 avr. 2014, n° pourvoi ??, Légipresse n° ???, mois ??? 2014, p. 263.
(21) À ce titre, le Jazz a longtemps été utilisé comme un instrument de dénonciation du racisme contre les noirs aux États-Unis. On se rappellera notamment de la chanson « Strange fruit » de Billie Holiday qui est devenu au fil du temps, l'hymne de toutes les victimes d'actes racistes ou minorités opprimées.