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Procédure
/ Décryptages
24/04/2019
Une procédure à expérimenter : le référé aux fins de cessation de la diffusion de fausses informations
La période électorale qui s’ouvre inaugure la nouvelle procédure de référé instaurée par la loi du 22 décembre 2018, visant à faire cesser la diffusion de fausses informations « de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Cet article présente et analyse les conditions de mise en œuvre de la procédure, ainsi que les interrogations que pose le dispositif.
« La rapidité du développement technologique a coïncidé avec la crise de confiance en les institutions et les médias dans les pays de l’Ouest. Cela a permis à des pays étrangers de chercher à déstabiliser les institutions démocratiques et d’en tirer parti »(1). Ce constat, dressé par la chambre des communes dans son rapport du 18 février 2019, ne doit pas être pris à la légère. Certes, les tentatives de manipulation de l’information dans l’espace public ne sont pas ...
Guillaume LÉCUYER
Avocat aux Conseils
Benoit Huet
Avocat au Barreau de Paris
24 avril 2019 - Légipresse N°370
7648 mots
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(1) “Disinformation and ‘fake news’: Final Report », HC 1791, 2019, pt. 237 : “The speed of technological development has coincided with a crisis of confidence in institutions and the media in the West. This has enabled foreign countries intent on destabilising democratic institutions to take advantage of this crisis”, https://bit.ly/2S5yyA0.
(2) DP 1881. IV. 77.
(3) Wardle et Derakhshan, “Information disorder : Toward an interdisciplinary framework for research and policy making”, Council of Europe report DGI, sept. 2017, p. 7.
(4) Le Monde du 8 mars 2019, p. 2.
(5) De Cock Buning (dir.), “A multi-dimensional approach to disinformation”, Report of the independent High level Group on fake news and online disinformation, Publications Office of the European Union, 2018.
(6) “Gesetz zur Verbesserung der Rechtsdurchsetzung in sozialen Netzwerken (Netzwerkdurchsetzungsgesetz – « NetzDG »)”, loi adoptée par le parlement allemand le 1er sept. 2017.
(7) Répression des fausses nouvelles, de la diffamation, de l’injure, de la provocation par la loi du 29 juill. 1881 ; protection du scrutin contre les fausses nouvelles et la propagande commerciale dans le code électoral ; référé de l’art. 6-I-8 de la LCEN.
(8) Propositions visant la terminologie – privilégier la notion de « fausse information » sur celle de « fausse nouvelle » –, le remède proposé – déréférencement des liens et non des sites vecteurs –, les modalités procédurales du référé ou la période d’application du dispositif.
(9) Rapport n° 668 du 17 juill. 2018 fait au nom de la commission des lois par le sénateur C.-A. Frassa ; Rapport n° 667 du 18 juill. 2018 fait au nom de la commission de la culture par la sénatrice C. Morin-Dessailly.
(10) Cons. const. 20 déc. 2018, n° 2018-773 DC, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, pt 23, AJDA 2019. 5.
(11) C. élect., art. L. 97.
(12) G. Sauvage, La loi contre les fake news, un cadeau de Noël ?, Dalloz actualité, 17 janv. 2019.
(15) Crim. 26 mai 1987, n° 86-94.630, Bull. crim. n° 218 ; CEDH 11 avr. 2006, n° 71343/01, Brasilier c/ France, cités par le Conseil d’État dans l’avis n° 394641-394642 du 19 avr. 2018 sur les propositions de loi relatives à la lutte contre les fausses informations. Il faut noter que l’arrêt de la chambre criminelle cité est à contre-emploi puisqu’il retient au contraire le caractère injurieux des propos prononcé dans le cadre d’une campagne électorale et qu’il ne pose pas le principe d’une application souple de la loi pénale au propos électoral. Il n’en demeure pas moins que l’affirmation est exacte dans le cadre de l’application du fait justificatif de la bonne foi (V. par ex., Crim. 23 janv. 2018, n° 17-81.874, à paraître au Bulletin, AJDA 2018. 834 ; D. 2018. 242 ; AJCT 2018. 271, obs. S. Lavric).
(17) A. Chavanne, H. Blin et R. Drago, Traité du droit de la presse, Litec, 1969, n° 518 ; B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009, n° 891.
(21) Par exemple la preuve de l’intervention d’un « bot » (aphérèse de robot), à savoir un programme informatique qui se connecte et interagit avec un serveur comme un programme utilisé par un humain.
(30) Par analogie avec les art. 48-1 à 48-6 de la loi du 29 juill. 1881.
(31) C. pr. civ., art. 422.
(32) Compte tenu de la concentration du nouveau référé au tribunal de grande instance de Paris (cf. infra), les autres parquets pourront se sentir éloignés de la lutte. Pratiquement, les parquets pourront transmettre les informations pertinentes par la voie d’un soi-transmis. Mais on comprend bien que le porte à faux entre la compétence éclatée sur le territoire des parquets et la compétence réservée du juge parisien n’est pas propice à l’utilisation maximale de ce référé par le ministère public. Il pourrait plus discrètement intervenir à l’audience en qualité de « partie jointe », à savoir simplement pour faire connaître son avis sur l'application de la loi.
(33) S. Guinchas, Les moralistes au prétoire, in Mélanges Foyer, PUF, p. 478.
(34) Art. 6, I, 2 de la loi LCEN n° 2004-575 du 21 juin 2004 : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services […] ».
(35) Art. 6, I, 1 de la loi LCEN n° 2004-575 du 21 juin 2004 : « Les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ».
(37) Civ. 1re, 17 févr. 2011, n° 09-67.896, Bull. civ. I, n° 30, Nord-Ouest production et a. c/ Dailymotion, D. 2011. 1113, obs. C. Manara, note L. Grynbaum ; ibid. 2164, obs. P. Sirinelli ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; RTD com. 2011. 351, obs. F. Pollaud-Dulian ; Paris, pôle 5, ch. 1, 2 déc. 2014, n° 13/08052, TF1 et a. c/ Dailymotion, JAC 2015, n° 21, p. 14, obs. E. Scaramozzino.
(38) Art. 6, I, 8 de la loi LCEN n° 2004-575 du 21 juin 2004.
(39) Civ. 1re, 19 juin 2008, n° 07-12.244, P-B+R+I, Association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA) c/ Assoc. Union des étudiants juifs de France (UEJF), Juris-Data n° 2008-044403, D. 2008. 1894, obs. C. Manara ; Paris, ch. 14, sect. B, 24 nov. 2006.
(40) C. Caron, De l'interprétation de l'expression « à défaut » dans le référé LCEN, CCE n° 9, sept. 2008. Comm. 99.
(41) Le TGI de Paris a reconnu une telle impossibilité, dans le cas où aucun moyen ne permet d’identifier l’hébergeur (TGI Paris, 10 févr. 2012, n° 12/51224, M. Claude Guéant c/ Free), ou encore lorsque cet hébergeur est situé dans un pays éloigné, réputé peu favorable à l’exécution d’une décision de justice étrangère (TGI Paris, 20 mai 2014, n° 14/53855).
(42) Le statut d’hébergeur n’est reconnu qu’à la société en charge de traitement des données (Paris, 17 oct. 2014, n° 13/24544 ; TGI Paris, 20 févr. 2014, n° 13/59661 ; Paris, 12 mai 2015, n° 14/16562).
(43) Paris, 17 oct. 2014, n° 13/24544, Laurence C. c/ Facebook France, RLDI 2014/110, n° 3636, obs. J. de Romanet.
(44) E. Dreyer, Fausses bonne nouvelle : la loi du 22 décembre 2018 relative à la manipulation de l’information est parue, Légipresse n° 367, janv. 2019, p. 19, n° 22.
(45) Gesetz zur Verbesserung der Rechtsdurchsetzung in sozialen Netzwerken (Netzwerkdurchsetzungsgesetz – « NetzDG ») : “§ 5 Inländischer Zustellungsbevollmächtigter. (1) Anbieter sozialer Netzwerke haben im Inland einen Zustellungsbevollmächtigten zu benennen und auf ihrer Plattform in leicht erkennbarer und unmittelbar erreichbarer Weise auf ihn aufmerksam zu machen. An diese Person können Zustellungen in Verfahren nach § 4 oder in Gerichtsverfahren vor deutschen Gerichten wegen der Verbreitung rechtswidriger Inhalte bewirkt werden. Das gilt auch für die Zustellung von Schriftstücken, die solche Verfahren einleiten”.
(46) CJUE 13 mai 2014, aff. C-131/12, pts 45-60, AJDA 2014. 1147, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1476, note V.-L. Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J. Rochfeld ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou ; JAC 2014, n° 15, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ; ibid. 2016. 249, étude O. Tambou ; Rev. UE 2016. 597, étude R. Perray.
(47) Pour un exemple dans le cadre d’une action en contrefaçon à l’encontre d’un hébergeur, Paris, pôle 1, ch. 2, 17 févr. 2010, n° 09/15065.
(48) Décr. n° 2019-53 du 30 janv. 2019 ; COJ, art. R. 311-3.
(49) Il est fort probable que, comme pour d’autres contentieux exclusifs, la jurisprudence fera respecter ce monopole d’attribution. On sait ainsi que la question de la connaissance d’un contentieux spécifique est analysée par la Cour de cassation comme une pouvoir juridictionnel exclusif et non comme une question de compétence, ce qui oblige et permet aux juges de soulever la difficulté d’office et à tout niveau, en appel ou en cassation (ainsi concernant l’attribution à certaines juridictions par les art. L. 442-6 et D. 442-3 c. com. des actions en rupture de relations commerciales établies, Com. 29 mars 2017, n° 15-24.241, à paraître au Bulletin, D. 2017. 2444, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2018. 865, obs. D. Ferrier ; AJ Contrat 2017. 217, obs. B. Ruy ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry). Il n’existe donc pas de possibilité de maintenir, dans l’ordonnancement juridique, de décisions qui ne soient pas rendues par la juridiction désignée par les textes.
(50) Récemment, en matière d’expertise CHSCT, la Cour de cassation a eu à se pencher sur la portée d’un délai de jugement similaire à celui de l’article L. 163-1 du code électoral. Elle a jugé que « l'obligation faite au juge par l'article L. 4614-13 du code du travail de statuer dans le délai de dix jours suivant sa saisine n'est pas prescrite à peine de nullité » (Soc. 6 juin 2018, n° 16-28.026, à paraître au Bulletin, D. 2018. 1262).
(53) Civ. 1re, 14 févr. 2018, n° 17-10.499, à paraître au Bulletin, D. 2018. 348 ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dalloz IP/IT 2018. 250, obs. E. Derieux : censure d’une injonction d'ordre général ne procédant, comme il incombait au juge, à la mise en balance des intérêts en présence.
(54) La mise en œuvre de ces mesures peut induire certains coûts, notamment pour les fournisseurs d’accès. Ces derniers ont pu, dans des contentieux similaires, arguer qu’ils ne sont pas, par définition, responsables du dommage causé par la mise en ligne du contenu litigieux dans la mesure où ils n’ont ni choisi, ni contrôlé ce contenu. Il serait cohérent que la solution retenue par la Cour de cassation, dans le contentieux de la contrefaçon en ligne, soit retenue et que ces coûts soient laissés à la charge des opérateurs (Civ. 1re, 6 juill. 2017, P-B+R+I, n° 16-17.217, D. 2017. 2016, note C. Le Goffic ; ibid. 2390, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2018. 748, chron. V. Le Gall, S. Canas, C. Barel, I. Kloda, S. Vitse, C. Roth, J. Mouty-Tardieu et S. Gargoullaud ; Dalloz IP/IT 2018. 136, obs. O. Henrard ; RTD eur. 2018. 338, obs. A. Jeauneau).
(55) Paris, 12 mai 2015, n° 14/16562 : la filiale française, qui n’est pas l’hébergeur du contenu, pourra éventuellement être poursuivie à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile dans le cadre d’un référé de droit commun, dès lors qu’il est possible d’apporter la preuve de l’existence d’un trouble manifestement illicite. La cour d’appel a pu retenir, dans le cadre d’une procédure de référé de droit commun, que la société Facebook France devait être condamnée à effectuer toute démarche utile en vue de la clôture d’un profil, auprès de l’hébergeur des données (Facebook Ireland), peu important que la société Facebook France ne soit ni l’hébergeur ni le représentant des services Facebook, dès lors que cette obligation de moyen entre manifestement dans la définition de son objet social.
(56) Civ. 1re, 9 juill. 2008, n° 07-19.664, Bull. civ. I, n° 30 ; D. 2008. 2006 ; JCP A 2008. 2246, note O. Renard-Payen, action en référé exercée sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile par l’Association des Maires de France (AMF) contre M. Gérard Schivardi, candidat à l'élection présidentielle de 2007. Ce dernier s’était présenté sur son site internet, comme « candidat des maires ». Le juge des référés estime que cette mention créé un trouble manifestement illicite à raison de la confusion susceptible de naître dans l'esprit du public, et lui ordonne de supprimer de son site internet toute mention ou document contenant le terme « candidat des maires ».