Constituent une diffamation publique envers un fonctionnaire public, au sens de l’article 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, les propos qui atteignent un magistrat français en détachement à Monaco dès lors qu’ils le visent comme susceptible de faire l’objet d’une mutation « disciplinaire » à la Cour de cassation.
Les auteurs de deux articles parus sur le site lepoint.fr ainsi que le directeur de publication dudit site sont poursuivis du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public en application de l’article 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881. Il leur est reproché la rédaction et la parution (en avril 2015) d’écrits indiquant ou rappelant qu’un procureur de la République, alors en position de détachement à Monaco, allait – soudainement – être nommé à la Cour ...
Cour d'appel, Paris, (pôle 2 - ch. 7), 20 septembre 2018, Jean-Pierre D. c/ A. Gernelle
(1) Lequel, finalement, deviendra avocat général à la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
(2) Suivant les règles qui gouvernent, d’un côté, le sort de l’appel par la partie civile d’un jugement de relaxe devenant définitif (au titre de l’action publique) et, de l’autre, celui de l’action civile en matière d’infractions de presse.
(3) Un magistrat peut aussi être victime d’une diffamation à caractère discriminatoire au sens de l’article 32, alinéas 2 et 3 (V. par ex. Crim. 17 févr. 1998, n° 96-85.567, propos suggérant qu’un substitut du procureur aurait manqué d’impartialité à raison de son appartenance supposée à la communauté juive). C’est alors cette qualification-là qui l’emporte sur celle des articles 31, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, en raison des peines plus sévères qui l’accompagnent.
(4) V. Crim. 2 juin 1964, n° 63- 92.837 : Bull. crim., n° 190 : « l'article 31 […] ne s'applique qu'aux seuls ministres du Gouvernement de la République française, à l'exclusion de ceux d'autres États souverains ».
(5) Il faut en effet distinguer la « vie privée » qu’évoque l’article 31, alinéa 2nd, de la « vie privée » visée à l’article 5, alinéa 3, a, de la loi du 29 juillet 1881 : dans le premier cas, la vie privée s’entend de celle qui n’a pas de rapport suffisant avec la fonction ou la qualité de la personne diffamée (et qui rend applicable la qualification de diffamation envers les particuliers) ; dans le second, il s’agit de la vie privée stricto sensu, qui s’oppose grosso modo à la vie publique et à la vie professionnelle (et dans le domaine de laquelle l’exceptio veritatis ne peut jouer).
(6) V. par ex. Crim. 15 déc. 2015, n° 14-85.118 : Bull. crim., n° 299.
(7) Il faut également, par définition, qu’elle soit détenue par l’intéressé au moment du fait qu’on lui impute.
(8) Crim. 15 janv. 2008, n° 06-89.189 : Bull. crim., n° 9 : « les propos litigieux, même si leur objet peut être de discréditer l'élue qu'ils désignent plutôt que la personne privée, ne contiennent pas la critique d'un acte de la fonction ou d'un abus de la fonction, qu'ils n'établissent pas, contrairement à ce qu'ont estimé les juges d'appel, que la qualité ou la fonction de la personne visée ait été, soit le moyen d'accomplir l'acte imputé, soit son support nécessaire, et, qu'enfin, ils ne caractérisent pas un acte se rattachant à la fonction ou à la qualité ».
(9) V. par ex. Crim. 6 mai 2003, n° 02-86.743.
(10) C’est dire, selon cette lecture, que l’alinéa 2nd de l’article 31 ne fait que confirmer (et non pas déterminer) l’application de l’article 32.
(11) En d’autres termes, sans l’alinéa 2nd de l’article 31, l’article 32 ne pourrait s’appliquer aux agents publics diffamés pour une autre cause que leur fonction ou qualité, n’étant pas de vrais « particuliers ».
(12) Toutefois, la Cour de cassation considère que ni l’Etat français, ni les Etats étrangers ne sont des particuliers (Cass. crim., 27 mars 2018, n° 17-84509 QPC ; Cass. crim., 27 mars 2018, n° 17-84511 QPC).
(13) Etant entendu que l’auteur des poursuites ne peut choisir de se fonder sur l’article 32 là où l’article 31, alinéa 1er, est applicable.
(14) Observons néanmoins, d’une part, que la détention future de la qualité de magistrat français est directement reliée aux propos litigieux, qui concernent la mutation en France de l’intéressé et, d’autre part, que ce dernier détenait déjà ladite qualité avant son détachement à Monaco. L’on ne peut donc extrapoler en considérant qu’une qualité à venir suffirait toujours (ainsi d’un citoyen lambda qui serait diffamé à l’occasion d’un projet de nomination en tant que ministre).
(15) V. Ph. Conte, Droit pénal spécial : LexisNexis, coll. Manuel, 5e éd., 2016, n° 403. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias. Presse. Télévision. Internet : LexisNexis, coll. Droit & professionnels, Responsabilités et assurances, 3e éd., 2012, n° 456 et ss.
(16) Comp. Saint-Pau (ss dir.), Droits de la personnalité : LexisNexis, coll. Traités, 2013, n° 1656, par F. Rousseau.
(17) Certaines décisions de la Cour de cassation sont en ce sens (Cass. crim., 24 oct. 1967, n° 66-93.296 : Bull. crim., n° 264. Crim. 22 févr. 1966, n° 65-90.518 : Bull. crim., n° 62).