Quatre ans après l’adoption de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, il convient de revenir sur l’une des mesures les plus discutées de ce texte en matière de liberté d’expression. Outre un renforcement des modalités de sa poursuite, le déplacement du délit d’apologie publique d’actes terroristes de la loi du 29 juillet 1881 vers le Code pénal (art. 421-2-5) semble avoir entraîné des effets non négligeables sur son appréciation par les tribunaux.
Le délit d’apologie publique d’actes terroristes a fait l’objet, ces dernières années, d’une véritable explosion au sein du contentieux de l’expression publique en France. S’il est permis de douter que l’idéologie djihadiste, à laquelle les propos litigieux sont presque exclusivement rattachés dans ce contexte, est particulièrement « en vogue » au point de contaminer de façon si fulgurante un nombre croissant d’individus, cette expansion du contentieux semble devoir ...
Thomas Besse
Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, université de ...
6 décembre 2018 - Légipresse N°365
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(1) En ce sens, rappelons qu’au lendemain des attentats de janvier 2015, la ministre de la Justice Christiane Taubira a émis une circulaire enjoignant notamment aux procureurs de faire preuve « d’une grande réactivité dans la conduite de l’action publique » envers les auteurs de propos racistes ou antisémites, et faisant l’apologie du terrorisme (circulaire n° 2015/0123/A13 du 12 janvier 2015).
(2) Le passage en revue des espèces relatées par la presse généraliste (Le Monde.fr, “Apologie d’actes terroristes : des condamnations pour l’exemple”, 13 janvier 2015 ; “Apologie du terrorisme : la justice face à l’urgence”, 22 janvier 2015 ; L’Obs.fr, “Apologie du terrorisme : une longue liste de condamnations », 20 janvier 2015 ; La Vie.fr, “Apologie du terrorisme : quand la Justice s’emballe”, 27 janvier 2015) et juridique (F. Gras, “Des « lois scélérates » aux premières applications par les tribunaux du délit d’apologie de terrorisme”, Légicom 2016/2, n° 57, p. 57 ; « Me Eolas », “Le juge et la guêpe”, Dalloz Actualité, 28 janvier 2015) à la suite des attentats de janvier 2015 démontre que les fais à l’origine des poursuites consistaient, pour l’écrasante majorité, dans des propos vociférés à l’occasion d’interpellations par les forces de police en marge d’accidents de la circulation ou d’infractions mineures. Un homme souffrant d’une « déficience mentale légère depuis l’enfance » s’est ainsi vu infliger une peine de six mois d’emprisonnement ferme pour avoir déclaré à des policiers qu’il avait « bien rigolé » en prenant connaissance des récents attentats (Libération.fr, “Apologie du terrorisme : la justice cogne ferme”, 14 janvier 2015).
(3) Pierre Guerder relève ainsi que « du 14 novembre au 10 décembre 2015 [soit la période ayant suivi les attentats parisiens du 13 novembre 2015], 395 personnes ont été poursuivies pour apologie du terrorisme, dont 45% en comparution immédiate. La sanction d’emprisonnement est la plus fréquente, ferme ou assortie du sursis simple ou avec mise à l’épreuve » (“Les infractions de presse (janvier 2015 – janvier 2016”), Légipresse 2016, n° 336, p. 185, sp. p. 190, n° 35).
(4) Ph. Conte, “Notion de publicité – Apologie d’actes de terrorisme”, Dr. pén. 2017, comm. 158 ; Dr. pén. 2018, comm. 40 ; comm. 171 ; A. Lepage, “De la publicité en matière d’apologie d’actes de terrorisme”, CCE 2017, comm. 89 ; J.-P. Vincentini, “La notion de publicité contenue dans le délit d’apologie d’actes de terrorisme”, AJ Pénal 2018, p. 419.
(5) Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, art. 5.
(6) Y. Mayaud, “Pour une définition et une illustration de l’apologie d’actes de terrorisme”, comm. sous Cour de cassation, crim. 25 avril 2017, AJ Pénal 2017, p. 349.
(7) Ch. Bigot, Pratique du droit de la presse, 1re éd., Victoires, 2013, sp. p. 83.
(8) Y. Mayaud, “De la mise en cause diffamatoire d’une gestion municipale : l’enjeu de la publicité”, RSC 1998, p. 104.
(9) J. Pradel, M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e éd., Cujas, 2014, sp. p. 330, n° 481.
(10) P. Auvret, ”Eléments constitutifs des infractions à la loi de 1881”, Jcl. Communication, fasc. 3020, 2006, n° 41. Doivent ainsi être considérés comme liés par une communauté d’intérêts le personnel (Cass. crim., 3 juillet 1980, JCP 1980.IV.252), le comité d’établissement (Cass. 2e civ., 24 octobre 2002, Bull. civ. II, n° 237) ou l’assemblée générale d’une entreprise (Cass. 2e civ., 13 mai 2004, Bull. civ. II, n° 229). A l’inverse, les élus d’une municipalité, en raison de la diversité de leurs points de vue et de leurs missions, ne sauraient être considérés comme étant liés par une telle communauté (Cass. crim., 3 juin 1997, Bull. crim., n° 218).
(11) Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 24, al. 5.
(12) Cass. crim., 15 décembre 2015, Bull. crim., n° 297, RSC 2016 p. 86, obs. J. Francillon ; CCE 2016, comm. 15, obs. A. Lepage.
(13) E. Dreyer, « L’opportunité d’une sortie des infractions de presse de la loi du 29 juillet 1881 au regard d’un exemple précis : le cas du délit d’apologie du terrorisme et de provocation aux actes de terrorisme », in N. Droin, W. Jean-Baptiste (dir.), La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, Actes du colloque organisé les 3 et 4 novembre 2016 par le Centre de recherche et d’étude en droit et science politique de l’Université de Bourgogne Franche-Comté, LGDJ, 2017, p. 37, sp. p. 38.
(14) Cass. crim., 15 décembre 2015 préc.
(15) Ph. Conte, Dr. pén. 2017, comm. 158 préc.
(16) Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-86.965, à paraître au Bulletin.
(17) Cour d’appel de Lyon, 16 mars 2017.
(18) Cass. crim., 13 décembre 2017, n° 17-82.030, inédit.
(19) Ph. Conte, Dr. pén. 2018, comm. 40 préc.
(20) P. Auvret, Jcl. Communication, fasc. 3020 préc., n° 44.
(21) Cass. crim., 19 juin 2018, n° 17-87.087, inédit.
(22) Y. Mayaud, AJ Pénal 2017, p. 419 préc.
(23) A. Lepage, CCE 2017, comm. 89 préc.
(24) L’article disposait en effet que « toute attaque contre la propriété, le serment, le respect dû aux lois ; toute apologie de faits qualifiés crimes et délits par la loi pénale ; toute provocation à la haine entre les diverses classes de la société, sera punie des peines portées par l’art. 8 de la loi du 17 mai 1819 ».
(25) J.-P. Chassan, Traité des délits et contraventions de la parole, de l’écriture et de la presse, t.1, 1re éd., Paris, Videcocq, 1837, p. 314, V.
(26) Ibid.
(27) N.-A. de Salvandy, séance du 27 août 1835, cité par J.-P. Chassan, op. cit. p. 313, V.
(28) En ce sens, v. le rapport général du projet de loi sur la liberté de la presse, articles 26 à 28, in H. Celliez, C. Le Senne, La loi de 1881 sur la presse, Paris, A. Marescq aîné, A. Chevalier-Marescq, successeur, 1882, sp. p. 155.
(29) Le texte vise dans un 1° « les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du Code pénal » et, dans un 2°, « les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du Code pénal ».
(30) Exposé des motifs de la loi des 12 et 13 décembre 1893, D. 1894.4.9, cité par E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, 3e éd., LexisNexis, 2011, sp. p. 166, n° 314.
(31) L’une des dernières applications du délit à des propos faisant l’apologie d’un anarchiste date en effet de 1912 (Cass. crim., 22 août 1912, D. 1914.1.75). L’infraction trouve cependant quelques applications ponctuelles dans un contentieux « politiquement neutre » (Cass. crim., 6 février 2007, n° 05-86.495 ; 28 avril 2009, Bull. crim., n° 79 ; 17 mars 2015, Bull. crim., n° 56).
(32) Loi n° 51-58 du 5 janvier 1951 portant amnistie, instituant un régime de libération anticipée, limitant les effets de la dégradation nationale et réprimant les activités antinationales, art. 27.
(33) Loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants et modifiant certaines dispositions du Code pénal, art. 15.
(34) Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 préc.
(35) Dictionnaire Larousse en ligne, Apologie, entrée n° 1.
(36) J.-H. Robert, ”Apologies et provocations de crimes et délits”, Jcl. Communication, fasc. 124, 2015, n° 10.
(37) Cass. crim., 22 août 1912 préc.
(38) Cass. crim., 24 octobre 1967, Bull. crim., n° 263, D. 1968, somm. 11.
(39) « …en présentant comme digne d’éloge une personne condamnée pour intelligence avec l’ennemi, l’écrit a magnifié son crime et, ainsi, fait l’apologie dudit crime » (Cass. crim., 16 novembre 1993, Bull. crim., n° 341, où il était question d’un rappel, dans un journal, des « actions positives » du Maréchal Pétain). Notons que cette jurisprudence, en dépit de la condamnation de la France dans l’arrêt Lehideux et Isorni c/ France rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 23 septembre 1998 (n° 24662/94), semble connaître une certaine résurgence à travers l’arrêt de la chambre criminelle en date du 25 avril 2017 (préc.). Dans celui-ci, la Cour affirme, à propos d’une pancarte brandie lors d’une manifestation d’hommage aux victimes des attentats de janvier 2015 sur laquelle était inscrite, au recto, la mention « Je suis humain – je suis Charlie » et, au verso, « Je suis la vie – Je suis Kouachi », que « le prévenu, par son comportement lors d’un rassemblement public, a manifesté une égale considération pour les victimes d’actes de terrorisme et l’un de leurs auteurs à qui il s’identifiait ».
(40) Cass. crim., 28 avril 2009, Bull. crim., n° 79.
(41) A. Vitu, Traité de droit criminel – Droit pénal spécial, t. 2, Cujas, 1982, sp. p. 1236, n° 1569.
(42) F. Safi, Le prosélytisme intellectuel et le droit pénal, Institut universitaire Varenne, coll. Thèses, 2014, sp. p. 13, n° 11.
(43) Cass. crim., 2 novembre 1978, Bull. crim., n° 294.
(44) Idem.
(45) Cour d’appel de Pau, 24 septembre 2002.
(46) Cass. crim., 17 mars 2015 préc.
(47) E. Dreyer, art. préc. in N. Droin, W. Jean-Baptiste (dir.), op. cit. p. 37, sp. pp. 45 s.
(48) Cass. crim., 11 juillet 2017, 13 décembre 2017 et 19 juin 2018 préc.
(49) Assimilant des menaces verbales à un outrage, v. Cass. crim., 5 mai 1900, D.P. 1902.1.583 ; 5 juillet 1956, Bull. crim. 1956, n° 519 ; 28 mai 1957, Bull. crim., n° 452.
(50) Ph. Conte, Dr. pén. 2018, comm. 171 préc. in fine.