Alors que la proposition de loi visant à lutter contre les « fake news » est débattue au Parlement, il est utile de rappeler comment le droit français a appréhendé, jusqu’ici, la lutte contre la « rumeur ». De quand datent les premiers textes visant à lutter contre les fausses nouvelles ? Comment les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 permettent-elles de se défendre contre la propagation d’une rumeur, tout en préservant le droit à la liberté d’expression ? Nous reproduisons ici l’intervention de Nathalie Mallet-Poujol à la conférence organisée par le Centre de Droit Economique et l’IDA, en partenariat avec le laboratoire DANTE, à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence (AMU) le 29 juin 2018 sur le thème « Le droit au défi de la rumeur ».
« La Cour de cassation a jugé, le 12 novembre 1812, que le fait d’avoir livré à l’impression une lettre faussement supposée écrite par un autre, dans le dessein de calomnier celui à qui cette lettre est attribuée, constitue, non le délit de calomnie, mais le crime de faux en écriture privée, quoique ce faux ne puisse nuire qu’à la réputation du prétendu auteur de la lettre(1) », écrit Joseph-Pierre Chassan, en 1837, dans son Traité des délits et contraventions ...
Nathalie Mallet-Poujol
Directrice de recherche au CNRS – ERCIM, UMR 5815 – Université de ...
22 novembre 2018 - Légipresse N°364
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(1) J.-P. Chassan, Traité des délits et contraventions de la parole, de l’écriture et de la presse, Colmar, 1837, de l’imprimerie de Mme Ve Hoffmann, imp. de la Cour Royale, p. 343
(2) ibid ; v. contra Th. Grellet-Dumazeau, Traité de la diffamation, de l'injure et de l'outrage, Librairie Joubert, 1847, Tome I, p. 90, n° 114
(3) Chassan, op. cit. p. 342
(4) sur le lien entre l'art. 10 Conv. EDH et le droit de la responsabilité civile, à propos d'informations mensongères et calomnieuses, v. Cass. 1° civ. 10 avr. 2013, n° 12-10177 : D. 2014. J. 131, note Ch. Bigot; D. 2014. Chron. 787, par G. Viney
(5) sur un document présenté faussement comme émanant d’une juridiction, v. Cass. 2° civ. 2 avr. 1996, n° 94-18186 : Bull. n° 86 ; v. aussi sur une information inexacte sur l'oeuvre d'un architecte, Cass. 2° civ. 13 mai 1998, n° 96-11676 : Bull. n° 151
(6) sur la relation de rumeurs sur un futur mariage et sur une procédure de divorce, v. Cass. 2° civ. 18 mars 2004 : n° 02-13529; sur la relation de rumeurs sur une liaison et sur une paternité possible, v. Cass. 2° civ. 18 mars 2004 : n° 02-12981
(7) F. Ploux, "Bruits alarmants" et "fausses nouvelles" dans la France du XIXème siècle (1814-1870) : Hypothèses 2001/1 (4), p. 305
(8) ne seront pas évoqués le contentieux de droit social portant sur l'abus de la liberté d'expression du salarié, ni celui sur la concurrence déloyale par dénigrement
(9) Ploux, op. cit. p. 305
(10) G. Le Poittevin, Traité de la presse, Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, L. Larose, Directeur de la Librairie, T. 2, 1903, n° 644, p. 126
(11) Cass. crim. 7 déc. 1816 : D. 1817. I. 35
(12) v. seulement, la loi du 10 déc. 1830 sur les afficheurs et les crieurs publics (art. 4 et 5) qui interdit et punit la "vente ou distribution de faux extraits de journaux, jugements et actes de l'autorité publique" : reproduite in N. Parant, Lois de la presse en 1834, ou Législation actuelle sur l'imprimerie et la librairie et sur les délits et contraventions commis par toutes les voies de publication, Paris, Firmin Didot Frères Libraires, 1834, p. 186
(13) v. G. Le Poittevin qui, évoquant l'abrogation de la loi de 1815 par la loi du 17 mai 1819, affirme qu'il « y avait là une lacune dont les événements de 1848 ont plus particulièrement fait ressortir la gravité » : Le Poittevin, op. cit. n° 645, p. 127
(14) art. 4 de la loi du 27 juill. 1849 sur la presse : D. 1849. IV. 118
(15) art. 15 du décret organique sur la presse du 17 févr. 1852 : reproduit in G. Rousset, Code général des lois sur la presse, Cosse, Marchal et Cie, Imprimeurs-Editeurs, 1869, p. 153
(16) Ploux, op. cit. p. 306
(17) Ploux, op. cit. p. 308
(18) Le Poittevin, op. cit. n° 645, p. 127
(19) Circulaire concernant l'exécution de la loi du 27 juill. 1849 : G. Rousset, op. cit. p. 303
(20) Pour Emile de Girardin, « il n’y a point de fausses nouvelles qui soient durables. Il y a des journaux qui paraissent le soir, par conséquent, les nouvelles annoncées le matin peuvent être contredites le soir, et celles du soir peuvent l’être le lendemain matin », (E. de Girardin, cité par G. Le Poittevin, Traité de la presse, op. cit. T. 2, 1903, n° 646, p. 129). Jules Simon s'inquiète notamment de la condition de trouble à la paix publique. "Qu'est-ce que c'est qu'un trouble ? Est-ce qu'un carreau brisé sera un trouble, un soufflet donné, une querelle dans un café ? Ou bien faudra-t-il un trouble sur la voie publique ? Faudra-t-il une blessure ? Faudra-t-il que le trouble ait duré longtemps, qu'il se soit produit dans la journée ? Faudra-t-il qu'on établisse la relation directe entre le trouble produit et la fausse nouvelle dont il est question ?" (J. Simon, Sénat, séance du 11 juill. 1881, Propos de Jules Simon reproduits, in H. Celliez et Ch. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, Librairie A. Marescq ainé, 1882, p. 421)
(21) art. 27 de la loi de 1881 d'origine
(22) Décret-loi du 30 oct. 1935 concernant la répression des fausses nouvelles, JO 31 oct. p. 11518 ; v. aussi les modifications de l'al. 2 de l'art. 27, par l'ord. du 6 mai 1944, s'agissant notamment de l'entrave à l'effort de guerre de la nation; l'art. 27 al. 2 actuellement en vigueur dispose que : "Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d'amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation".
(23) art. 3 de l'ord. du 6 mai 1944 relative à la répression des délits de presse
(24) P. Mimin, Commentaire de l'ordonnance du 6 mai 1944 : D. 1946. Législation, p. 2
(29) sur un reportage "bidonné" sur "la chasse aux flics" dans une banlieue, ayant provoqué des tensions dans la localité concernée, v. TGI Nanterre, 13 déc. 2000 : Com. com. élec., févr. 2001, com. 19, note A. Lepage; Légipresse, avr. 2001, n° 180, p. 40
(30) Cass. crim. 4 mai 1966, n° 65-92796 : Bull. n° 139, aff. Minute. Dans cette affaire, la Cour de cassation affirme que "rien ne s'oppose à ce que le même acte soit réprimé par deux dispositions pénales différentes, l'une atteignant le fait considéré comme diffamatoire, l'autre cet acte, en tant qu'il constitue le délit de fausse nouvelle"; v. aussi, sur la fausse nouvelle "de nature à troubler les relations internationales", publiée en 1960 et affirmant que la France - contrairement aux engagements qu'elle avait pris à l'égard du Maroc - utiliserait la base ancienne de Marrakech comme point de départ d'appareils allant exécuter en Oranie des missions de bombardement, Cass. crim. 7 nov. 1963, n° 62-92445, Bull. n° 314, aff. France Observateur
(31) Cass. crim. 26 juin 1968, n° 68-90074 : Bull. n° 210, aff. Le Nouvel Observateur
(32) v. art. 419 et 420 C. pén. modifiés notamment par la loi du 3 déc. 1926
(33) v. art. 40 du décr. organique du 2 févr. 1852 sur les élections
(34) v. art. 15 de la loi du 24 juill. 1867 sur les sociétés commerciales
(35) v. art. 1er de la loi du 3 févr. 1893 tendant à compléter les art. 419 et 420 du code pénal, abrogée par la loi du 12 févr. 1924, remplaçant la loi du 3 févr. 1893 et réprimant les atteintes au crédit de l'Etat, puis par la loi du 18 août 1936 réprimant les atteintes au crédit de la nation, actuellement en vigueur
(36) v. par exemple, l'art. 322-14 C. pén. relatif aux fausses alertes sur des dangers ou des sinistres; l'art. 226-8 C. pén. sur les montages cachés; l'art. L. 2223-2 C. santé publ. relatif au délit d'entrave numérique à l'IVG
(37) v. l'art. L. 97 C. élect. visant à réprimer les fausses nouvelles en période électorale et l'art. L. 52-1 C. élect. visant à réprimer la publicité commerciale à des fins de propagande électorale ; v. à cet égard, à propos de la lutte contre les "fake news", la proposition de loi n° 799, relative à la lutte contre les fausses informations, enregistrée à la Présidence de l’Ass. nat. le 21 mars 2018, devenue le 3 juill. 2018, la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, texte rejeté en première lecture par le Sénat, le 26 juill. 2018; v. aussi la proposition de loi organique n° 772, enregistrée la Présidence de l’Ass. nat. le 16 mars 2018, rejetée par le Sénat, le 26 juill. 2018
(38) v. l'art. L. 443-2 C. com. relatif aux informations de nature à agir sur les prix des biens ou services
(39) v. l'art. L. 465-3-1 et s. C. mon. et fin. relatif aux informations trompeuses de nature à agir sur le cours d'un instrument financier
(40) art. 29 de la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse
(41) art. 367 C. pén. d'origine, avant son abrogation en 1819
(42) Trib. correct. Paris, 19 janv. 1819 : D. 1819, Lois et décisions diverses, p. 53
(43) art. 370 C. pén. d'origine, avant son abrogation en 1819
(44) Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, criminelle, commerciale et de droit public, Tome XIX (An 1819), Imprimerie de Renaudière, Dalloz 1819, Lois et Décisions diverses, p. 227
(45) H. de Serre, cité in Rapport Lisbonne, JO 18 juill. 1880, p. 8302
(46) ibid
(47) Ph. A. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, chez Garnery, Libraire, T. IV, 5ème éd. 1827, v° Diffamation, p. 589
(48) Rapport Lisbonne, op. cit. p. 8304
(49) Cons. const. décis. n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011
(50) Cons. const. décis. n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013
(51) Décis. 20 mai 2011, op. cit. pt. 6 et Décis. 7 juin 2013, op. cit. pt. 9
(52) ibid
(53) L'art. 35 al. 3 de la loi de 1881, actuellement en vigueur, dispose ainsi que "La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf : a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ; b) (Abrogé); c) (Abrogé)"
(54) v. N. Mallet-Poujol, Diffamation et amnistie : l’étrange sacrifice du filtre de la bonne foi : Légipresse, oct. 2013, n° 309, Chron. p. 531; N. Mallet-Poujol, Liberté d'opinion et droits de l'histoire : perspectives récentes, in Y a-t-il des abus licites de la liberté d'expression ? : Légicom 2015/1, n° 54, p. 45; N. Mallet-Poujol, Amnistie, droit à l’oubli et droits de l’Histoire : in Archives des dictatures - Enjeux juridiques, archivistiques et institutionnels, (sous la dir. M. Cornu et J. Fromageau), L'Harmattan, 2015, p. 141
(55) v. infra B.2
(56) v. par ex. Cass. 1° civ. 17 mars 2011, n° 10-11784 : Bull. n° 58
(57) Cass. crim. 8 déc. 2009, n° 08-82951
(58) Cass. crim. 28 mai 2013, n° 12-83225
(59) Cass. crim. 3 mars 2015, n° 13-88230
(60) Cass. crim. 27 févr. 2001, n° 00-82557
(61) Ch. Bigot, Pratique du droit de la presse, Victoires Editions, 2° éd. 2017, p. 159
(65) Cass. crim. 11 juin 2013 préc. ; v. aussi, sur une base factuelle suffisante, en présence de rumeurs, Cass. crim. 15 déc. 2015, n° 14-83662 et Cass. crim. 14 mars 2017, n° 15-84610
(66) CEDH, 7 déc. 1976, n° 5493/72, aff. Handyside c. Royaume uni, pt. 49