La principale décision à signaler sur cette période est sans nul doute l’arrêt concernant l’Allemagne rendu le 28 juin 2018, approuvant le rejet de demandes d’anonymisation d’archives en ligne sur des sites de grands médias, qui émanaient de deux anciens criminels condamnés et ayant purgé leur peine. La Cour vient ainsi rappeler que les mécanismes régissant le droit des données personnelles ne peuvent s’affranchir du respect de l’article 10 de la Convention EDH.
On relèvera ensuite que la Cour semble en recul par rapport à ses précédentes décisions quant à l’admission des procédés de caméras cachées. Pourtant, on pouvait penser, au vu de ses arrêts antérieurs, qu’elle voyait plutôt d’un bon œil les pratiques de journalisme d’infiltration. En revanche, aux termes de plusieurs décisions, elle paraît décidée à cantonner une éventuelle expansion de sanctions qui pourraient s’apparenter à une forme de résurgence du délit de blasphème.
Enfin, notons que la France a été condamnée par deux fois, d’une part dans le cadre de l’affaire Lacroix, un dossier archi-classique de polémique politique locale au sein d’un conseil municipal ; d’autre part dans une affaire Ottan, du nom d’un avocat du barreau de Montpellier qui s’était vu reprocher d’avoir stigmatisé l’appartenance ethnique d’un jury d’assises à l’énoncé du verdict, la Cour jugeant quant à elle, que de tels propos participaient de sa liberté d’expression.
* NDLR : Les 12 premières années de cette chronique ont été réunies et remises en forme par l’auteur dans un livre intitulé La liberté d’expression en Europe – Regards sur douze années de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, paru en juin 2018 chez VICTOIRES Éditions.
I. LES EXIGENCES DE PRÉVISIBILITÉ
Chacun sait que le contrôle de prévisibilité est le parent pauvre de la régulation de la liberté d’expression opérée à Strasbourg. Les exemples de décisions rejetant le grief d’imprévisibilité sont innombrables à tel point que l’on peut se demander si ce pilier essentiel, expressément visé par l’article 10 alinéa 2 de la Convention, n’a pas été définitivement neutralisé.
Une nouvelle décision du 21 septembre 2017 mérite sur ...
Christophe Bigot
Avocat au Barreau de Paris
12 novembre 2018 - Légipresse N°363
8875 mots
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(2) CEDH 27 mars 1996, Goodwin / RU, Légipresse 1996 n°132.III.78 note E. Derieux, RTDH 1996, p. 444, note P. de Fontbressin et 452, note P. Toussaint.
(3) CEDH, 24 février 2015, Haldimann c/ Suisse, n° 21830/09, RTDH 2016, p. 915, note M. H. Randall et D. Hanni. De manière générale, sur l’appréhension des techniques du journalisme d’infiltration : C. Bigot et E. Sudre, « Le journalisme d’infiltration et le droit », Légipresse 2017, p. 371. Voir également sur le sujet : CEDH 13 octobre 2015, Bremner c/ Turquie, 37428/06.
(4) CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire, n° 29183/95.
(5) Sur cette tendance, voir notre ouvrage, La liberté d’expression en Europe, Victoires Éditions, 2018, p. 15.
(6) Voir not. CEDH 10 juillet 2012 deux arrêts, Erla Hlynsdottir/Islande n° 43380/10 et Bjork Eidsdottir c/ Islande n°46443/09; 10 juillet 2017, Axel Springer/Allemagne, n°48311/10; CEDH 4 juillet 2017, Kacki c/ Pologne, n°10947/11.
(7) CEDH, 5 juillet 2005, Melnitchouk c/ Ukraine, n° 28743/03.
(8) Voir, Ch. Bigot, Pratique du droit de la presse, Victoires Éditions, 2e éd. 2018, p. 62.
(9) Cass. Civ. 1, 4 mai 2012, n° 11-30193.
(10) CEDH 23 avril 2015, Morice c/ France, n° 23369/10, et Cass. AP, 16 décembre 2016, n° 08-86295.
(11) Légipresse 2018, n° 359, p. 208, note E. Andrieu.
(12) CEDH 30 septembre 1994, n° 13470/87.
(13) Sur la pratique judiciaire française, voir Pratique du droit de la presse, précité, p. 208 et suiv.
(14) CJUE 13 mai 2014, Google Spain et Inc., C-131/12.
(15) n° 39954/08 et 40660/08.
(16) CEDH Gr. Ch. 27 juin 2017, n° 931/13.
(17) Cass. Civ. 1, 14 février 2018, n° 17-10499, Légipresse 2018, p. 271, note N. Verly et I. Soskin.