Les droits de la personnalité évoluent car il leur faut s'adapter à des contextes transgressifs qui se diversifi ent. L'environnement des technologies numériques, potentiellement intrusives, constitue certainement l'une des plus redoutables menaces qu'ait connues, dans son histoire relativement récente, le droit au respect de la vie privée. De ces contextes sortent d'ailleurs de nouveaux acteurs pour oeuvrer à la protection de la personnalité : le juge administratif s'est reconnu compétent pour en connaître ; mais c'est surtout la CNIL qui joue un rôle désormais essentiel pour assurer une défense de la vie privée devenue un objectif d'action publique. L'environnement professionnel s'affi rme aussi comme un lieu exposé aux comportements invasifs ; mais la préservation d'une sphère personnelle doit plus que jamais composer avec les contraintes qui pèsent sur l'employeur en termes de responsabilités. L'environnement économique, enfi n, aff ecte les droits de la personnalité en les mettant au contact du contrat, qu'il s'agisse d'aménager l'exercice des droits extrapatrimoniaux ou d'organiser la cession des droits d'exploitation de l'image. L'année 2011 a été le témoin de ces évolutions qui ont fait progresser la théorie des droits de la personnalité.
I. LES GARDIENS DES DROITS DE LA PERSONNALITÉ 1. La compétence du juge administratif Le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, est la sentinelle toute désignée pour veiller au respect des droits de la personnalité. La protection de la sphère privée est, qui plus est, de son ressort quotidien. Nul ne s'est d'ailleurs jamais préoccupé de ce quasi-monopole, les autorités administratives n'étant pas vraiment intéressées par la question.Signe d'un expansionnisme de la ...
Grégoire Loiseau
Professeur à l'École de droit de la Sorbonne - Université de Paris 1 ...
1er janvier 2012 - Légipresse N°290
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(2) V. J. Antippas, Les droits de la personnalité : de l'extension au droit administratifd'une théorie fondamentale de droit privé, th. Paris 2, 2010.
(3) Cons. d'État, 27 avril 2011, n° 314577 ; Jcp G 2011, 872, note J. Antippas ; Dr.adm., juill. 2011, p. 28, note H. Belrahli-Bernard ; Rev. Lamy des collectivités territoriales,juill. 2011, p. 31, note O. Guillaumont.
(4) Cass. 1re civ., 10 mai 2005, Bull. civ., I, n° 206 ; RTD civ. 2005, p. 572, obs. J. Hauser
(5) V. A. Türk, La vie privée en péril. Des citoyens sous contrôle, 2011, spéc. p. 191.
(6) V. infra.
(7) Cons. const., 18 janvier 1995, DC n° 94-352 relative à la vidéosurveillance.
(8) Cons. const., 23 juillet 1999, DC n° 99-416 relative à la loi portant créationd'une couverture maladie universelle.
(9) Cass. 1re civ., 9 juillet 2003, Bull. civ., I, n° 172.
(10) TGI Paris, 7 septembre 2011, RG n° 11/12565, consorts Stern c. Éditions du seuilet M. Jauff ret.
(11) Cass. 1re civ., 8 décembre 2011, pourvoi n° 11-40.070, publié au bulletin.
(12) Aux États-Unis, des compagnies de téléphone comme Verizon ont reconnufaire commerce de la vie numérique (cf. C. Gabizon, « Ce téléphone portablequi sait tout de nous », Le Figaro, 13 décembre 2011, p. 14).
(13) V. CJUE, 24 novembre 2011, aff . C-468-10 et C-469-10, qui, après avoir rappeléque « le respect du droit à la vie privée à l'égard du traitement des données à caractèrepersonnel, reconnu par les articles 7 et 8 de la charte, se rapporte à toute informationconcernant une personne physique identifi ée ou identifi able », souligne qu'il incombecependant aux États membres « d'assurer un juste équilibre entre les diff érentsdroits et libertés fondamentaux protégés par l'ordre juridique de l'Union » (§ 42 et 43).
(14) Cons. d'État, 26 octobre 2011, n° 317827. V. sur cette décision F. Chaltiel, « Lepasseport devant le Conseil d'État » (À propos de la décision du CE, 26 octobre2011), Les Petites affi ches, 14 décembre 2011, n° 248, p. 10.
(15) Délibération n° 2011-035 du 17 mars 2011 ; Expertises 2011, p. 259, noteC. Levallois-Barth et H. Leben. V. G. Loiseau, « Les métamorphoses de la protectionde la vie privée à l'heure du numérique », Légipresse juin 2011, p. 345.
(16) Comp. Cass. 3e civ., 11 mai 2011, pourvoi n° 10-16.967, publié au bulletin, quijuge que l'installation par des copropriétaires d'un système de vidéosurveillancesans le consentement de tous les copropriétaires compromet le libre exercice deleurs droits sur les parties communes et constitue un trouble manifestement illicite.
(17) Cass. soc., 2 février 2011, pourvoi n° 10-14.263.
(18) CEDH, 2 septembre 2010, aff . Uzun c. Allemagne, req. n° 35623/05. V. sur cettedécision, H. Matsopoulou, « La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de laConvention européenne des droits de l'homme », D. 2011, p. 724.
(19) Cass. crim., 22 novembre 2011, pourvoi n° 11-84.308, publié au bulletin.
(20) CA Dijon, 14 septembre 2010, Mille Services c. Rémi, inédit, qui juge le licenciementdu salarié infondé lorsque l'employeur s'est servi d'un dispositif de géolocalisationnon déclaré à la CNIL, à l'insu des salariés, pour établir qu'un véhicule deservices était utilisé à des fi ns personnelles.
(21) Cass. soc., 3 novembre 2011, pourvoi n° 10-18.036, publié au bulletin. V. surcette décision : Ch. Radé, « À propos de la géolocalisation des salariés : la CNIL et laCour de cassation à l'unisson », Lexbase Hebdo - édition sociale, n° N8765BSG. - Ph.Flores, « La géolocalisation et le contrôle de la durée du travail : l'état des cartes »,SSL 2011, n° 1518, p. 7.
(22) La Cour de cassation ne fait à ce sujet que ratifi er les préconisations de la CNILexprimées dans une délibération n° 2006-066 du 16 mars 2006.
(23) V. délibération du 16 mars 2006 qui souligne que « l'utilisation d'un dispositifde géolocalisation ne doit pas conduire à un contrôle permanent de l'employéconcerné » et qui préconise en conséquence que « les employés aient la possibilitéde désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules à l'issue de leur temps detravail lorsque ces véhicules peuvent être utilisés à des fi ns privées ». V. en ce sens TGIBordeaux, 18 octobre 2011, RG n° 10/06131, Syndicat cGT Lyonnaise des eaux.
(24) Cass. 1re civ., 22 octobre 2009, Bull. civ., I, n° 211 ; Légipresse, mars 2010,p. 19, note G. Sauvage ; RTD civ. 2010, p. 79, obs. J. Hauser ; Comm. com. électr.2010, comm. n° 7, obs. A. Lepage. - Cass. 1re civ., 1er juillet 2010, Légipresse 2010,p. 300, note J.-B. Walter ; D. 2010, p. 2044, note P.-J. Delage ; Jcp G 2010, 942, noteG. Loiseau ; RTD civ. 2010, p. 526, obs. J. Hauser ; Légipresse 2011, p. 65, n° 3, obs.G. Loiseau.
(25) Cons. d'État, 27 avril 2011, préc.
(26) V. encore Cass. soc., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-26.782.
(27) Cass. soc., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-25.706.
(28) V. encore Cass. soc., 9 mars 2011, Jcp S 2011, 1230, note J. Mouly.
(29) Cass. soc., 3 mai 2011, Jcp G 2011, 764, note J. Mouly ; Jcp S 2011, 1312, note D.Corrignan-Carsin. V. déjà, en ce sens, Cons. d'État, 15 décembre 2010, Jcp G 2011,353, note J. Mouly. Adde G. Loiseau, « Vie personnelle et licenciement disciplinaire», D. 2011, p. 1568.
(30) Cass. soc., 8 novembre 2011, pourvoi n° 10-23.593.
(31) V. par exemple Cass. soc., 17 novembre 2011, pourvoi n° 10-17.950, àpropos d'un gardien licencié pour avoir fabriqué et stocké de façon illicite del'alcool dans les dépendances du château qu'il devait surveiller. Pour valider lelicenciement disciplinaire, les juges ont dégagé un lien entre ces faits et l'activitéprofessionnelle, considérant qu'il y avait là une utilisation abusive des moyensmis à disposition du salarié dans des conditions susceptibles de mettre en causel'employeur, une telle utilisation se rattachant à la vie de l'entreprise. De façonsous-jacente, est ainsi pris en compte le risque que la responsabilité de l'employeursoit engagée du fait des agissements extra-professionnels du salarié.
(32) Cass. soc., 19 octobre 2011, Jcp G 2011, 1392, note D. Corrignan-Carsin.
(33) Cass. 1re civ., 6 octobre 2011, D. 2011, p. 2771, note E. Dreyer ; Légipressedécembre 2011, p. 682, note B. Ader.
(34) V. déjà Cass. crim., 16 février 2010, Bull. crim., n° 25 ; D. 2010, p. 2732, obs.T. Garé et 2011, p. 780, obs. E. Dreyer ; Jcp G 2010, 565, note J.-L. Lennon ; Dr.pénal 2010, comm. 56, obs. M. Véron ; Comm. com. électr. 2010, comm. 66, obs.A. Lepage.
(35) V. supra
(36) Cass. 1re civ., 4 novembre 2011, Jcp G 2012, note G. Loiseau.
(37) Cass. 1re civ., 10 mars 2004, Bull. civ., I, n° 118, retenant l'irrévocabilité del'accord donné à la diff usion de l'image enregistrée au cours d'un reportage (arrêtrendu au visa de l'article 9 du Code civil).
(38) G. Loiseau, « La crise existentielle du droit patrimonial à l'image », D. 2010, p. 450.
(39) CA Paris, 21 septembre 2011, RG n° 09/21251, Société Éditions Taschen c.Mme Enasu, inédit. V. déjà, qualifi ant le contrat de cession de droit à l'image : CAVersailles, 22 septembre 2005, Comm. com. électr. 2006, n° 1, p. 29, obs. Ch. Caron.- Cass. 1re civ., 11 décembre 2008, Bull. civ., I, n° 282 ; Jcp G 2009, II, 10025, note G.Loiseau ; RDc 2009, p. 477, note Y.-M. Laithier ; RTD civ. 2009, p. 295, obs. J. Hauser,et p. 342, obs. T. Revet ; RTD com. 2009, p. 141, obs. F. Pollaud-Dulian ; Comm. com.électr. 2009, n° 2, p. 27, obs. Ch. Caron ; RJpF 2009, n° 3, p. 18, obs. E. Putman.
(40) Cass. 1re civ., 11 décembre 2008, préc. - V. CPI, articles L. 122-7 et L. 131-3.
(41) Cass. 1re civ., 28 janvier 2010, Bull. civ., I, n° 21 ; Jcp G 2010, I, 516, n° 14, obs.G. Loiseau ; Jcp E 2010, n° 27, p. 28, obs. J.-B. Seube ; Rev. Lamy dr. imm. 2010, n° 59,p. 30, note T. Hassler ; RTD civ. 2010, p. 299, obs. J. Hauser ; RJpF 2010, n° 4, p. 15, obs.E. Putman ; Gaz. Pal., 20 avril 2011, p. 18, obs. P. Greff e.