La rémunération pour copie privée, ou compensation équitable, selon la terminologie en vigueur en droit de l'Union, est sous les feux de l'actualité. Après les propositions de réforme faites respectivement en janvier 2013 dans le rapport Vitorino (1) et en mai 2013 par la mission Lescure (2), deux décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne au début de l'été (3) sont l'occasion de revenir sur un sujet de discorde récurrent entre les différentes parties concernées, sujet dont le Parlement européen devrait se saisir dans les prochains mois (4). La première partie de l'étude, consacrée à la nature juridique et au calcul de la compensation équitable, est publiée dans ce numéro. La deuxième partie, le mois prochain, sera consacrée aux difficultés spécifiques liées à l'environnement numérique, ainsi qu'aux modalités de fixation, de perception et de répartition.
Agnès LUCAS-SCHLOETTER
Hdr, chercheur à l'Institut pour le droit de l'information et de l'économie, ...
1er novembre 2013 - Légipresse N°310
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(2) A. Vitorino, Recommendations resulting from the mediation on private copyingand reprography levies, Bruxelles 31 janv. 2013.
(3) P. Lescure, Mission « Acte II de l'exception culturelle ». Contribution aux politiquesculturelles à l'ère numérique, mai 2013.
(4) Cjue 27 juin 2013, aff. jointes C-457 à 460/11, VG Wort c/ Kyocera et autres(ci-après Cjue VG Wort) ; Cjue 11 juill. 2013, C-521/11, Amazon c/ Austro-Mechana(ci-après Cjue Amazon).
(5) V. le projet de rapport de la députée F. Castex sur les redevances pour copieprivée, Parlement européen, 2013/2114 (Ini), 18 sept. 2013.
(6) Les systèmes nationaux sont régulièrement réformés pour tenir compte del'évolution technologique et ont été pour la plupart modifiés au moment dela transposition de la directive 2001/29 ainsi que, plus récemment, pour tenircompte de la jurisprudence de la Cjue.
(7) Commission européenne, Memo/12/950, 5 déc. 2012, mentionnant la rémunérationpour copie privée comme « one of the six issues where rapid progress isneeded ».
(8) Directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspectsdu droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (ci-aprèsdirective Société de l'information).
(9) Sur les disparités des législations nationales, V. A. Esteve-Pardo & A. Lucas-Schloetter, « Compensation for Private Copying in Europe : Recent Developmentsin France, Germany and Spain », European Intellectual Property Review (Eipr) 2013,463-471.
(11) V. en ce sens, concl. avocat général Trstenjak, 11 mai 2010, C-467/08Padawan, point 80, qui récuse la qualification de la compensation équitable « depur droit à réparation » et considère qu'il « ne faut pas obligatoirement se rattacherau critère du préjudice pour fixer une compensation équitable. La directive ne faitqu'autoriser une orientation en fonction du préjudice mais ne rend pas ce critèreobligatoire », et point 81 : « un préjudice potentiel ne peut être considéré comme leseul critère, ni comme le critère prépondérant, pour déterminer cette compensationéquitable ».
(12) V. en ce sens J. Reinbothe, « Der gerechte Ausgleich im europäischen Urheberrecht», in K. Riesenhuber (ed.), Die Angemessenheit im Urheberrecht, MohrSiebeck 2013, 141-168, 150.
(13) V. en ce sens T. Dreier, « Padawan und die Folgen für die deutsche Kopiervergütung», Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht (Zum) 2011, 281-290, 283.
(14) Pour la France, V. A. Lucas, H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriétélittéraire et artistique, 4e ed. LexisNexis 2012, n° 407, et pour l'Allemagne, H. Schack,Urheber- und Urhebervertragsrecht, 6e ed. Mohr 2013, n° 474 s., spéc. n° 479 : laredevance pour copie privée est « l'équivalent fonctionnel du droit de reproduction ».
(15) Et non pas de nature contractuelle comme la créance de l'auteur en contrepartiede la (con)cession d'un droit d'exploitation.
(16) V. en ce sens Cjue 30 juin 2011, C-271/10, Vewa c/ Belgische Staat, Cce 2011,comm. 100, note Caron, dressant une analogie entre la rémunération pour copieprivée et la rémunération pour le prêt public qui interviennent toutes les deux« dans une situation comparable, les oeuvres étant utilisées ( ) sans l'autorisation desauteurs, causant ainsi un préjudice à ces derniers » (point 29) et estimant que « larémunération à fixer doit pouvoir ( ) permettre aux auteurs de percevoir un revenuapproprié. Son montant ne saurait donc être purement symbolique » (point 34).
(17) Il n'y a donc pas de droit à la copie privée au profit des consommateurs.
(18) Contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne où la redevance pour copieprivée a été consacrée en même temps que l'exception dans la loi de 1965 (redevanceperçue seulement sur les appareils d'enregistrement au début, puis sur lessupports à partir de 1985).
(19) Desbois, Le droit d'auteur en France, 3e ed. 1978, n° 245 p. 311.
(20) V. en ce sens Cjue 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie c/ Opus Supplies etautres, C-462/09 (ci-après Cjue Stichting), points 21 et 22 qui fonde l'obligationpour les États membres de prévoir une compensation équitable sur la nécessitéde respecter la troisième étape du triple test.
(21) Art. L. 334-1 al. 3 Cpi : 300 000 d'amende comme en matière de contrefaçon(art. L. 335-2 Cpi), mais pas de peine d'emprisonnement.
(22) Comp. Tgi Paris 3e ch., 15 mai 2012, Propr. Intell. 2012, 338, obs. A. Lucas, seréférant à l'article 545 C. civ. et affirmant que la rémunération pour copie privéeest « un droit de propriété ».
(23) V. M. Kretschmer, « Private Copying and Fair Compensation : An empiricalstudy of copyright levies in Europe », Intellectual Property Office, 2011, p. 67 : « ifthere is a copyright exception, there is no infringement, and no licence could havebeen issued. Thus by definition there is no harm in law from a permitted activity ».
(24) V. supra sur les notions de « compensation » et de « préjudice ».
(25) Cjue Padawan, point 44. V. aussi point 45 : « la personne ayant causé unpréjudice au titulaire exclusif du droit de reproduction est celle qui réalise, pour sonusage privé, une telle reproduction d'une oeuvre protégée sans solliciter l'autorisationpréalable dudit titulaire. Il incombe dès lors, en principe, à cette personne de réparer lepréjudice lié à cette reproduction, en finançant la compensation qui sera versée à cetitulaire ».
(26) V. en ce sens V.-L. Benabou, « Que reste-t-il de la rémunération pour copie privée? », Légipresse 2011, n° 287, p. 541, faisant observer que le critère du manqueà gagner fait référence à un marché en réalité inexistant et suppose une unité depratiques tarifaires qui fait défaut, et que « la pratique de la copie privée ne se substituepas nécessairement, dans l'optique de l'utilisateur, à l'acte d'achat d'un support ».
(27) Sur le calcul des dommages-intérêts en matière de contrefaçon, V. A. Lucas,H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, préc., nos 1116 s.
(28) Contra rapport Vitorino, préc., p. 20 : « measuring all the copies actually made byvirtue of the exception without taking into account the consumer's willingness to payfor these copies if there were no exception could lead to compensating to a greaterdegree than EU law actually requires ».
(29) Comp. Cjue 30 juin 2011, C-271/10, Vewa c/ Belgische Staat, préc., à propos dela rémunération équitable des auteurs pour le prêt public de leurs oeuvres dontla Cour considère qu'elle est comparable à la compensation équitable pour copieprivée : « le montant de la rémunération à acquitter par un établissement (de prêtpublic) devrait prendre en compte le nombre d'objets mis à la disposition du public »(point 38), ainsi que « le nombre d'emprunteurs inscrits dans cet établissement »puisque « plus le nombre de personnes ayant accès aux objets protégés est élevé, plusl'atteinte aux droits des auteurs est majeure » (point 39).
(30) V. infra.
(31) Cjue Padawan, point 40. V. aussi point 42 : « la compensation équitable doitnécessairement être calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs desoeuvres protégées par l'introduction de l'exception de copie privée ».
(32) Cjue Amazon, point 33. V. aussi Cjue Padawan, point 52.
(33) Pour le droit français, V. V.-L. Benabou, préc., p. 538 s ; pour le droit allemand,V. A. Lucas-Schloetter, « Lettre d'Allemagne. Qu'y a-t-il dans la deuxième corbeille? », Propr. Intell. 2008, p. 371 s.
(34) V. le § 54 UrhG dans sa version issue de la loi de réforme du 26 oct. 2007dite de la seconde corbeille, qui vise les appareils ou supports d'enregistrement« utilisés pour la confection de telles copies » (relevant du champ d'applicationde l'exception). Sur l'évolution comparable en Belgique où seuls les appareils« manifestement utilisés à des fins de reproduction » sont désormais assujettis àla redevance, V. A. Strowel, « Peut-on tenir compte des copies faites à partir desources illicites pour déterminer le montant des redevances ? », Auteurs & Media2009/1, 56-64, 63.
(35) V.-L. Benabou, op. cit., loc. cit.
(36) Cjue Padawan, point 53.
(37) CE 17 juin 2011, n° 324816, Canal + distribution et autres, Propr. Intell. 2011, 401,obs. A. Lucas.
(38) Les débiteurs primaires de la redevance (fabricants, importateurs, etc. )la reportent en effet sur les acquéreurs des appareils et supports. La Cjue enfait même une condition de licéité du système (v. Padawan, point 49, Stichting,point 28).
(39) Question différente de celle de la licéité de la source, sur laquelle v. infra.
(40) à condition naturellement de remplir les conditions tenant à l'usage privé etla finalité non commerciale.
(41) Sur laquelle v. infra.
(42) Non seulement les copies d'oeuvres du domaine public, mais égalementles copies à des fins d'archivage de données qui ne constituent pas des oeuvresprotégées par le droit d'auteur.
(43) Cjue Amazon, point 51 : « les systèmes de rémunération pour copie privée sont, àl'heure actuelle, nécessairement imprécis ( ) dans la mesure où il est impossible enpratique de déterminer quelle oeuvre a été reproduite par quel utilisateur et sur quelsupport ».
(44) La présomption est implicite : la « mise à la disposition » des équipementsétant le fait des fabricants et importateurs de matériel, la notion est synonyme icid'acquisition.
(45) Cjue Padawan, point 55 : « ces personnes physiques sont ( ) censées exploiterla plénitude des fonctions associées auxdits équipements, y compris celles dereproduction ».
(46) Cjue Amazon, point 43 : « compte tenu des difficultés pratiques liées à ladétermination de la finalité privée de l'usage d'un support d'enregistrement ( ),l'établissement d'une présomption réfragable d'un tel usage lors de la mise àdisposition de ce support auprès d'une personne physique est, en principe, justifié ».Dans l'arrêt Padawan, la Cour avait seulement admis qu'un support acquis parune personne physique est présumé être utilisé pour reproduire des oeuvresprotégées, non pas que ces reproductions étaient nécessairement couvertes parl'exception de copie privée.
(47) Cjue Amazon, point 44.
(48) V. en ce sens concl. avocat général Mengozzi 7 mars 2013, C- 521/11,point 45 : « le fait que ce soit une personne physique qui achète le support n'impliquepas nécessairement que cette personne utilise le support à des fins privées, et que l'ondoive inévitablement appliquer la présomption prévue par la jurisprudence ( ) il esttout à fait possible qu'une personne physique acquière le support non pas en tant queparticulier mais, par exemple, en qualité d'entrepreneur ou de profession libérale. Or, sila personne physique est en mesure de démontrer qu'elle a acquis le support dans unobjectif manifestement autre que la réalisation de copies privées ( ), j'estime qu'ellene doit pas être assujettie au paiement de celle-ci ».
(49) Contra concl. Mengozzi 7 mars 2013, préc. point 66 : « la personne physiqueelle-même ou le sujet tenu de l'obligation de paiement de la compensation équitabledoivent donc pouvoir prouver, en vue d'une éventuelle exemption a priori dupaiement de la compensation équitable ou de son éventuel remboursement, quela personne physique a acquis le support dans un but manifestement autre que laréalisation de copies privées ».
(50) Cjue Padawan, point 53.
(51) Bgh 30 nov. 2011, Grur 2012, 705. Pour un commentaire de la décision, V. A.Lucas-Schloetter, « Lettre d'Allemagne », Propr. Intell. 2012, p. 489.
(52) CE 17 juin 2011, Canal + distribution, préc. : « la circonstance alléguée endéfense que la commission aurait pondéré le taux de la rémunération pour certainsmatériels à raison du degré professionnel d'usage, à la supposer établie, ne suffirait pasà assurer la conformité de la décision à l'exigence d'exonération des usages autres quela copie privée ».
(53) Le critère, a priori plus satisfaisant, est celui des fins professionnelles et nonla distinction entre personne physique et personne morale. Il soulève en réalitéd'autres difficultés puisque la finalité professionnelle de la reproduction n'exclutpas nécessairement l'application de l'exception. V. infra.
(54) V. l'art. L. 311-8 II Cpi, dans sa rédaction issue de la loi du 20 déc. 2011 relativeà la rémunération pour copie privée.
(55) Encore que le terme d'exonération soit ici mal choisi puisque la redevanceétant assise sur des équipements, seuls ces derniers, et non les « usages autres quela copie privée » en tant que tels peuvent être ou non exonérés.
(56) Cjue Amazon, points 31 à 37.
(57) V. en ce sens concl. Mengozzi 7 mars 2013, préc., point 59.
(58) Sur la jurisprudence allemande en ce sens antérieurement à l'entrée envigueur de la loi de 1965, V. G. Schricker et P. Katzenberger, « Die urheberrechtlicheLeerkassettenvergütung. Eine Erwiderung », Grur 1985, 87-111.
(59) V. infra.
(60) Cjue Amazon, point 31.
(61) Art. L. 311-8 III Cpi.
(62) Arrêté du 20 déc. 2011 relatif au remboursement de la rémunération pourcopie privée, JO 23.12.2011, p. 22035, Art. 1er 6°.
(63) Le principe d'une telle information du consommateur est certes consacréà l'art. L. 311-4-1 Cpi, introduit par la loi du 20 décembre 2011, mais le décretd'application n'a toujours pas été adopté.
(64) Et par la plupart des commentateurs de l'arrêt Padawan.
(65) L'exclusion des équipements acquis à des fins professionnelles est par ailleursproblématique dans les pays comme l'Allemagne et l'Autriche où la redevanceest perçue à la fois pour les copies privées stricto sensu, mais aussi pour les reproductions« à d'autres fins personnelles », notamment professionnelles, égalementcouvertes par l'exception.
(66) Sauf à considérer que la circonstance que la copie est réalisée sur le lieu detravail est incompatible avec la qualification de copie privée.
(67) Art. 5 2) b) directive Société de l'information.
(68) Copie confectionnée par exemple pour la préparation du cours de l'enseignantou la rédaction du jugement du magistrat. V. en ce sens A. Lucas, « Les ditset les non-dits de la copie privée », Propr. Intell. 2012, 232-239, 237.
(69) Comp., moins restrictif, rapport Vitorino préc., p. 17, préconisant une « ex anteexemption of manufacturers and importers for all goods which will be bought andused by professional users ».