La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, promulguée le 8 juillet 2013, comporte en son article 77 une réforme de l'exception d'enseignement et de recherche, introduite en droit français par la loi Dadvsi du 1er août 2006. Le législateur est revenu sur l'exclusion initiale du champ de l'exception des « oeuvres réalisées pour une édition numérique de l'écrit » (Orene), soit les écrits spécifiquement publiés sur un médium numérique de type cédérom ou livre numérique. L'article L. 122-5 3° e) du Cpi précise en outre, dans sa rédaction désormais en vigueur, que la reproduction et la représentation autorisées par l'exception pourront s'effectuer « au moyen d'un espace numérique de travail ». La redéfinition de l'exception induite par la réforme peut au moins sur ce dernier aspect être critiquée, et il convient de s'interroger sur la marge de manoeuvre laissée par le texte pour d'autres réformes à venir, notamment celles préconisées par le rapport Lescure.
Destinée à répondre à une demande de longue date du milieu scolaire et universitaire, la création d'une exception d'enseignement et de recherche via la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 avait fait naître un espoir : celui de l'avènement, pour les usages pédagogiques, d'un cadre légal clair, garantissant prévisibilité et sécurité juridique des usages. Cet espoir a rapidement été déçu.D'abord, le texte initial, codifié à l'article L. 122-5 3° e) du Code de la propriété ...
Benoît GALOPIN
Docteur en droit Centre d'études et de recherche en droit de l'immatériel
1er octobre 2013 - Légipresse N°309
4882 mots
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(2) Directive (CE) n° 2001/29 du 22 mai 2001, art. 5.3 a).
(3) M. Vivant, « La loi expression de l'intérêt général, Petite musique à proposde la Dadvsi », in Le droit figure du politique, Études offertes au Professeur MichelMiaille, vol. 1, Faculté de droit de Montpellier coll. Mélanges, 2009, p. 867 et s.spéc. p. 876 et s.
(4) V. néanmoins les virulentes critiques de P. Gaudrat, estimant que s'agissantde cette exception « tant le mécanisme que le principe de la rémunération défientla raison » (P. Gaudrat, « Le droit d'auteur au lendemain de la transposition : Titre1er de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, V. Droit commun », Rtd com. 2006,p. 814 et s. spéc. p. 840).
(5) Directive (CE) n° 2001/29 du 22 mai 2001, considérants n° 35 et 36.
(6) Protocole d'accord transitoire sur l'utilisation des livres, de la musique imprimée,des publications périodiques et des oeuvres des arts visuels à des fins d'illustrationdes activités d'enseignement et de recherche du 1er févr. 2012, Bull. officielde l'éducation nationale n° 16 du 19 avr. 2012 (ci-après accord écrit et Image) ;accord sur l'utilisation des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles à desfins d'illustration des activités d'enseignement et de recherche du 4 déc. 2009, Bull.officiel de l'éducation nationale n° 5 du 4 févr. 2010 (ci-après accord Audiovisuel) ;accord sur l'interprétation vivante d'oeuvres musicales, l'utilisation d'enregistrementssonores d'oeuvres musicales et l'utilisation de vidéo-musiques à des finsd'illustration des activités d'enseignement et de recherche du 4 déc. 2009, Bull.officiel de l'éducation nationale n° 5 du 4 févr. 2010 (ci-après accord Musique).
(7) Ainsi, au sens de ces accords, un « extrait » recouvre, pour un livre, 20 % de lapagination de l'ouvrage sans excéder 5 pages consécutives. Il est possible dereproduire intégralement un article de périodique à condition de ne pas excéder10 % de la pagination du périodique. Pour les oeuvres des arts visuels, unereproduction intégrale est également possible, mais les images devront avoirune définition de 400 par 400 pixels et une résolution de 72 DPI. L'extrait pourune oeuvre musicale est de 30 secondes, et pour une oeuvre audiovisuelle de6 minutes dans la limite de 1/10e de l'oeuvre quelle que soit sa nature, sachantque si plusieurs extraits d'une même oeuvre sont utilisés, leur durée totale nedoit pas dépasser 15 % de l'oeuvre
(8) Ce qui ne laisse pas d'interroger dans le cadre d'une exception. Quel régimesera applicable aux oeuvres dont les auteurs ne sont pas membres des sociétéssignataires et pour lesquelles aucune compensation n'a par conséquent étéprévue : faudra-t-il négocier avec chaque auteur de gré à gré, afin de définir lacompensation due au titre d'actes que pourtant il « ne peut interdire » en vertude l'article L. 122-5 3° e) ?
(9) Accord Musique, précit., art. 2.3.1.
(10) Accord Audiovisuel, précit., art. 2.3.1.
(11) Accord écrit et Image, précit., art. 2.1.
(12) Rappr. C. Bernault, « Exception pédagogique : deux nouveaux accords pourl'audiovisuel et la musique », L'Essentiel droit de la propriété intellectuelle, n° 1,mai 2010, p. 2.
(13) Réussir l'école numérique, Rapport de la mission parlementaire de Jean-MichelFourgous sur la modernisation de l'école par le numérique, 15 février 2010,disponible en ligne , mesure M. 14.
(14) Visant plus spécifiquement les usages numériques, parmi ses « 40 mesuresphares », le rapport propose de « créer un éduc-pass numérique, soit uneexception pédagogique au droit d'auteur pour la ressource éducative numérique »(« Apprendre autrement » à l'ère numérique. Se former, collaborer, innover : unnouveau modèle éducatif pour une égalité des chances, Rapport de la missionparlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur l'innovationdes pratiques pédagogiques par le numérique et la formation des enseignants,24 février 2012, disponible en ligne ).
(15) Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour larefondation de l'école de la République, Jorf n° 0157 du 9 juillet 2013 p. 11379.
(16) A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire etartistique, LexisNexis, 4e éd., 2012, p. 402.
(17) C. Alleaume, « Les exceptions de pédagogie et de recherche », Comm. com.électr. 2006, Étude 27, spéc. p. 15.
(18) Avec réserve toutefois car « la formule est si obscure qu'on ne saurait jurerde rien » (M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Dalloz, 2eéd., 2013, p. 519). Rappr. A. Lucas, « 3. Nouvelles exceptions et triple test », inA. Lucas et P. Sirinelli, « La loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droitd'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information : premières vuessur le texte promulgué à l'issue de la censure du Conseil constitutionnel »,Propr. intell. 2006, n° 20, p. 297 et s. spéc. p. 312.
(19) C. Alleaume, « Les exceptions de pédagogie et de recherche », Comm. com.électr. 2006, Étude 27, spéc. p. 15 « Sont assurément visées les versions numériquesdes écrits/papiers ( ). Mais la loi ayant comme objectif de protéger l'éditionnumérique, on devrait pouvoir inclure dans ce statut particulier toutes les oeuvresnumérisées, qu'on les retrouve en version papier ou pas » ; M. Dupuis, « Le droit decitation des oeuvres et le régime de l'exception pédagogique », Rldi 2008/40,n° 1345 spéc. p. 63.
(20) C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 3e éd., 2013, pp. 351-352.
(21) V. Accord écrit et Image, précit., art. 2.1.
(22) A. Granchet, « L'exception d'enseignement et de recherche », Légipressen° 254, sept. 2008, II, p. 128 et s. spéc. p. 131.
(23) Et peut-être à l'avenir au Conseil supérieur de l'audiovisuel (Csa), si celui-cise voit confier comme l'a préconisé le rapport Lescure une partie des attributionsd'Hadopi, dont la régulation des mesures techniques.
(24) A. Granchet, art. précit. spéc. p. 133.
(25) En ce sens, A. Lebois, « Les exceptions à des fins de recherche et d'enseignement,la consécration ? », Rldi suppl. 2007/25, n° 840, spéc. p. 20.
(26) Même si elle a été globalement contestée par les ayants droit du secteur del'écrit (v. Chantier Hadopi, Synthèse des contributions reçues, disponible en ligne, p. 12, qui mentionne que parmi les opposants à l'élargissementde l'exception figuraient notamment le Syndicat national de l'édition,le Syndicat de la presse quotidienne nationale, l'International association ofscientific, technical and medical publishers et la Fédération nationale de lapresse d'information spécialisée, les deux dernières contributions insistant surl'existence d'offres exclusivement numériques à destination de l'enseignement).
(27) Y. Durand, Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles etde l'éducation sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour larefondation de l'école de la République, n° 767, enregistré à la Présidence del'Assemblée nationale le 28 févr. 2013, t. 1, p. 548.
(28) P. Lescure, Rapport de la mission « Acte II de l'exception culturelle » contributionaux politiques culturelles à l'ère numérique, mai 2013, t. 1, Fiche C-10,p. 439.
(29) Projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation del'école de la République, Étude d'impact, 21 janvier 2013.
(30) Accord écrit et Image, précit., art. 2.4.2 ; Accord Musique, précit., art. 2.3.2 ;Accord Audiovisuel, précit., art. 2.3.2.
(31) Projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation del'école de la République, Étude d'impact, précit., p. 40 ; Y. Durand, Rapport précit.,p. 549 ; F. Cartron, Rapport fait au nom de la commission de la culture, del'éducation et de la communication sur le projet de loi, adopté par l'Assembléenationale, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école dela République, n° 568, enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2013, p. 224.
(32) CA Paris, 13 juin 1991, D. 1992 somm. p. 12 obs. C. Colombet.
(33) Projet de loi adopté par l'Assemblée nationale d'orientation et de programmationpour la refondation de l'école de la République, Texte de la commissionde la culture, de l'éducation et de la communication, n° 569, enregistré à laPrésidence du Sénat le 14 mai 2013.
(34) P. Lescure, Rapport de la mission « Acte II de l'exception culturelle » contributionaux politiques culturelles à l'ère numérique, mai 2013, t. 1, Fiche C-10,p. 440.
(35) Sur cette exception, v. not. P. Laurent, « Les nouvelles exceptions au droitd'auteur en faveur de l'enseignement : l'ère de l'e-learning », A&M 2008/3, p. 180et s. spéc. p. 190 et s.
(36) R. Xalabarder, « On-line teaching and copyright : any hopes for an EUharmonized playground ? », in P. Torremans (dir.), Copyright law, A handbook ofcontemporary research, Edward Elgar Publishing Ltd, 2007, p. 373 et s.
(37) Nous avons vu en effet la lecture restrictive qu'il convenait de retenir des« oeuvres réalisées pour une édition numérique de l'écrit ».
(38) Il suffit d'ailleurs de lire les accords passés en vertu de l'exception, riches deprécisions à propos des usages autorisés sur intranet, extranet et internet (v. parex. Accord écrit et Image, art. 2.4.4). Il est vrai qu'il existe, s'agissant de ces accords,une éternelle réserve : les périmètres respectifs de l'exception et du droit exclusifn'étant pas clairement tracés (v. supra), il est difficile d'affirmer avec certitude qu'ils'agit dans l'esprit des rédacteurs de ces accords de dispositions prises en applicationde l'exception et non du droit exclusif.
(39) P. Lescure, rapport précit., proposition n° 71, p. 440.
(40) En effet, les licences libres sont un moyen pour l'auteur d'une oeuvre del'esprit de concéder par voie contractuelle tout ou partie de ses droits patrimoniauxsur l'oeuvre afin d'en faciliter la diffusion, la réutilisation et la modification.« Il y a donc là une utilisation inhabituelle du droit d'auteur. Mais c'est bien sur le droitd'auteur que ces licences prennent appui. C'est d'un autre usage qu'il s'agit » (M.Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Dalloz, 2e éd., 2013, p. 675).
(41) V. L'édition en perspective, Rapport d'activité 2012-2013 du Syndicat nationalde l'édition, p. 101 : « En tentant d'accréditer l'idée que les ressources libres gratuitespermettraient à elles seules de résoudre le problème de l'acquisition de ressourcesnumériques, le discours de paupérisation actuel contribue à accentuer les risquesd'inégalités entre ceux qui peuvent acquérir des ressources à haute valeur ajoutée etles autres (pour mémoire, 2,2 milliards d'euros sont dépensés chaque année en coursparticuliers en France) ».
(42) P. Lescure, rapport précit., proposition n° 72, p. 440.
(43) P. Lescure, rapport précit. p. 440.
(44) « Pour une mise en oeuvre efficace de l'exception pédagogique », Position duSyndicat national de l'édition (Sne) et du Centre français d'exploitation du droit decopie (Cfc), Légipresse n° 257, déc. 2008, IV, p. 49 et s.
(45) S. Alma-Delettre, « La nature juridique des droits de propriété intellectuelle »,in J.-M. Bruguière, N. Mallet-Poujol et A. Robin (dir.), Propriété intellectuelle et droitcommun, Puam, 2007 p. 25 et s. spéc. p. 36.
(46) Sur la question v. notre ouvrage Les exceptions à usage public en droit d'auteur,LexisNexis coll. Irpi, t. 41, 2012, pp. 16-17.
(47) A. Granchet, « Non à l'exception à finalité pédagogique ! », Comm. com.électr. 2005, Alerte 255 : « des tarifs préférentiels, la gestion collective obligatoire,le recours aux mesures techniques de protection et, surtout, la sensibilisation dumonde éducatif aux enjeux du droit d'auteur permettraient de parvenir à une solutionéquilibrée et satisfaisante pour tous » (nous soulignons). V. aussi l'historique del'exception retracé par P. Masseron, « L'exception de pédagogie et de recherche,Mise en oeuvre (régime transitoire/après 2009) », in La mise en oeuvre de la loi Dadvsipar les médias, Actes du forum Légipresse du 5 oct. 2006, Légicom n° 39, 2007/3,p. 57 et s.
(48) Accord écrit et Image, art. 2.1.
(49) M. Vivant, « Les exceptions nouvelles au lendemain de la loi du 1er août2006 », in Le nouveau droit d'auteur au lendemain de la loi du 1er août 2006, dossier,D. 2006, p. 2159 et s. spéc. pp. 2159-2160.
(50) En droit belge : P. Laurent, « Les nouvelles exceptions au droit d'auteur enfaveur de l'enseignement : l'ère de l'e-learning », A&M 2008/3, p. 180 et s. spéc.p. 183.
(51) M. Dupuis, « Le droit de citation des oeuvres et le régime de l'exceptionpédagogique », Rldi 2008/40, n° 1345, spéc. p. 63.
(52) En eff et, soit l'oeuvre est utilisée à ces fi ns exclusives, et l'exception doitjouer, même si l'enseignement est amusant ou fait appel à des techniquesludo-éducatives. Soit elle est utilisée dans le cadre d'une activité ludique détachéede l'enseignement proprement dit (au titre par exemple des fêtes d'écoleou spectacles de fi n d'année, fanzines étudiants, ciné-clubs ) et la fi nalitéexclusive précitée suffi t à en écarter le bénéfi ce (M. Vivant, « Les exceptionsnouvelles au lendemain de la loi du 1er août 2006 », précit. spéc. p. 2163).
(53) Projet de loi adopté par l'Assemblée nationale d'orientation et de programmationpour la refondation de l'école de la République, Texte de la commissionde la culture, de l'éducation et de la communication, n° 569, enregistré à laPrésidence du Sénat le 14 mai 2013.