Le cadre juridique européen de la protection des données est en cours de réforme, la directive de 1995 étant appelée à être remplacée par un Règlement européen d'application directe dans l'ensemble des États membres. Alors que le Parlement européen examine actuellement, dans un relatif anonymat, ce projet de règlement, il convient de se pencher de plus près sur le texte, pour constater qu'en instaurant un « droit à l'oubli numérique », il viendrait en l'état actuel du projet, menacer la liberté d'expression.
1. La Commission européenne a rendu publique l'année dernière une proposition de règlement européen censée clarifier, à l'échelle de l'Union, le nouveau cadre juridique uniforme qu'elle entend voir instaurer dans les états membres en matière de protection des données à caractère personnel. Pas moins de quatre-vingt-douze articles, sur cent onze pages dans la plus pure tradition technocratique, attendent le courageux lecteur souhaitant venir à bout de ce volumineux document et si ...
Sébastien PROUST
Avocat au Barreau de Paris Herbert Smith Freehills Paris
1er avril 2013 - Légipresse N°304
3676 mots
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(2) Article 4 (2) de la proposition de Règlement relatif à la protection des personnesphysiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel età la libre circulation de ces données.
(3) Article 4(3) de la proposition de Règlement.
(4) Cjue, arrêt du 6 novembre 2003, Bodil Lindqvist C-101/01, § 25-26.
(5) En France, la jurisprudence a jusqu'ici fermement écarté l'existence d'unquelconque « droit à l'oubli » dans le champ de la liberté d'expression (Cass. 1reCiv., 20 novembre 1990, pourvoi n° 98-12580).
(6) Pour un exemple topique d'une telle justification théorique, voir YannPadova, ancien secrétaire général de la Cnil, « Pas de liberté sans droit à l'oublidans la société numérique », http://www.cnil.fr/la-cnil/actualite/article/article/pas-de-liberte-sans-droit-a-loubli-dans-la-societe-numerique.
(7) Selon la Cedh : « Grâce à leur accessibilité ainsi qu'à leur capacité à conserver et àdiffuser de grandes quantités de données, les sites internet contribuent grandementà améliorer l'accès du public à l'actualité et, de manière générale, à faciliter la communicationde l'information. La constitution d'archives sur internet représentantun aspect essentiel du rôle joué par les sites internet » (Cedh, arrêt du 10 juin 2009Times Newpaper c/ Royaume Uni).
(8) Cedh, arrêt du 21 janvier 1999, Fressoz et Roire C. France.
(9) Cedh, arrêts du 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni C. France, et du 3 octobre2000, Roy et Malaurie C. France.
(10) Ainsi, si la vie privée et familiale fait partie des droits fondamentaux protégéspar ailleurs par la Convention Edh (article 8), il résulte de l'article 17 de cetteConvention que son exercice ne saurait conférer à quiconque le droit d'apporterà la liberté d'expression des limitations plus amples que celles prévues parl'article 10 § 2.
(11) Pas moins de quatre articles (6, 17, 19 et 80) doivent être examinés pourtenter de comprendre la prévalence que la Commission européenne voudraitconférer au droit à l'oubli par rapport à la liberté d'expression.
(12) Article 17 §1(c).
(13) Article 19.
(14) Article 17 § 3(a).
(15) La Cour européenne des droits de l'Homme rappelle à cet égard de façonconstante que toute restriction à la liberté d'expression doit être « prévue par laloi », ce qui implique non seulement qu'elle ait une base légale en droit interne,mais également que la loi présente à cet égard une certaine qualité. Cela exigeen particulier « l'accessibilité de celle-ci à la personne concernée qui, de surcroît, doitpouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminencedu droit ». Selon la jurisprudence constante de la Cour, une norme est « prévisible »lorsqu'elle est « rédigée avec assez de précision pour permettre à toute personne, ens'entourant au besoin de conseils éclairés, de régler sa conduite » (voir par exempleCedh, arrêt du 18 décembre 2012, Amhet Yildirim c/ Turquie, § 57).
(16) Article 17 § 1(a).
(17) Article 17 § 1(c).
(18) Article 19.
(19) Sauf avec l'accord du titulaire ou dans d'autres situations exceptionnelleslistées par l'article 6 § 1.
(20) L'on notera au passage que le droit à la protection des données à caractèrepersonnel ne devrait pas être considéré comme un droit fondamentalautonome. Le renvoi, dans l'article 6 du projet de règlement, aux autres libertéset droits fondamentaux le démontre. Lui faire une place dans la Charte des droitsfondamentaux de l'Union européenne était donc une erreur, et un non-sens.
(21) Projet de rapport du 17 décembre 2012 sur la proposition de règlementdu Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnesphysiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la librecirculation de ces données (règlement général sur la protection des données)(Com(2012)0011 C7-0025/2012 2012/0011(Cod)) Commission des libertésciviles, de la justice et des affaires intérieures; Rapporteur : Jan Philipp Albrecht.
(26) Auquel cas l'anonymisation est nécessaire à la préservation de leur droitcomme l'a admis la Cour européenne des droits de l'Homme (Cedh, arrêt du25 février 1997 Z C. Finlande).