L'accès au juge est un droit fondamental qui peut être réglementé mais pas atteint dans sa substance. Chacun doit pouvoir demander à un tribunal d'examiner le bien fondé de sa prétention. La Cour européenne veille à ce qu'un tel droit soit respecté. À ce stade, les intérêts en cause ne peuvent être pris en considération : ils ne peuvent être arbitrés avant la saisine du juge. Dès lors, l'application jurisprudentielle de dispositions pénales afin de réduire l'accès au juge civil en matière de presse n'engendre-t-elle pas des restrictions excessives qui vont, dans certains cas, jusqu'à remettre en cause la substance même du droit à un tribunal ? La présente chronique pose la question de la compatibilité, en matière civile, des règles de procédure prévues par la loi du 29 juillet 1881 avec les exigences de l'article 6 de la Convention Edh.
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
1er février 2012 - Légipresse N°291
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(2) Expression empruntée à B. Beignier, L'honneur et le droit : Lgdj, coll. Bibl. dr. privé,1995, t. 234, p. 152 et s.
(3) V. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias : LexisNexis, coll. pratiquesprofessionnelles, 3e éd., 2012, n° 908 et s.
(4) Les modalités de saisine du juge répressif ont ainsi été limitées pour sauvegarderla liberté d'expression. Il s'agissait « de modérer l'ardeur de la vindicte publique »(Rapport général, § XXXVII, in H. Celliez et Ch. Le Senne, Loi de 1881 sur la presseaccompagnée des travaux de rédaction : Libr. A. Marescq Ainé, Paris, 1882, p. 594).
(5) Formule qui ne vaut pas approbation. En effet, le droit de la presse contientessentiellement des délits « privés ». Les modalités d'engagement des poursuites(plainte préalable, le plus souvent, requise : L. 1881, art. 48) l'évoquent bien. Cen'est donc pas seulement le pouvoir de répression de l'État qui est en cause.C'est aussi la possibilité pour les personnes offensées de demander réparationau juge répressif des conséquences dommageables d'une diffamation ou injurepublique. Or, sous cet aspect, les règles de forme appliquées ne concilient passuffisamment les intérêts en présence. On le vérifiera s'agissant notamment del'élection de domicile et de la signification d'une copie de la citation au Ministèrepublic. Le maintien de telles restrictions ne peut être justifié qu'en rappelantle caractère exceptionnel du droit de se constituer partie civile reconnu à laplaignante. Dès lors que la victime dispose d'une possibilité effective de saisir lejuge civil pour faire valoir son droit à indemnisation, elle ne peut contester lesrestrictions mises à son action devant le juge répressif qui a d'abord et avant toutpour mission de défendre la société. Mais c'est précisément cet accès au juge civilqui pose difficulté. S'il n'est pas mieux garanti, l'ensemble de cette constructionpourrait bien être remis en cause.
(6) En cela, les exigences de ces art. 50 et 53, al. 1 s'avèrent conformes à lajurisprudence développée à Strasbourg sur le fondement de l'art. 6, § 3, a de laConvention : V. Cedh, 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c/ France, § 51.
(7) G. Barbier, Code expliqué de la presse, Marchal et Godde, 2e éd. 1911, t. 2, p. 394,n° 870.
(8) Cass. 2e civ., 31 mars 1978 : B n° 91. - Req., 2 déc. 1946 : D. 1947, jurispr. p. 110.
(9) Cass. req., 30 mai 1911 : DP 1912, 1, p. 295. 8 avr. 1895 : D. 1895, 1, p. 360.
(10) Cass. 1re civ., 27 juin 2006 : B n° 32 Cass. 2e civ., 9 déc. 1999 : B n° 187.
(11) CA Dijon, 31 janv. 1893 : D. 1893, 2, p. 196.
(12) E. Dezeuze, « L'autonomie du procès civil de presse », Lpa, 12 août 1998,n° 96, p. 12.
(13) M.-Th. Feydeau, « Le juge civil et l'application de la loi sur la presse », in Libertéde la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 56.
(14) P. Guerder, « Le procès civil de presse », in Mélanges Buffet : Lpa 2004, p. 255. V. dénonçant, au contraire, l'infériorité dans laquelle se trouve la victime dans leprocès de presse : D. de Bellescize, Révolution de Palais : la création d'une chambrede presse : Lpa 9 avril 1999, n° 71, p. 4.
(15) V. J.-F. Burgelin, « Le point sur l'application de la loi du 29 juillet 1881 devantles juridictions civiles », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997,p. 39. - B. Landry, « L'application des règles de procédure de la loi du 29 juillet1881 devant la juridiction civile », in Liberté de la presse et droits de la personne :Dalloz, 1997, p. 61.
(16) V. E. Dreyer, Qu'est devenue la responsabilité civile en matière de presse ? : D. 2004,p. 590 et Disparition de la responsabilité civile en matière de presse : D. 2006, p. 1337.
(24) V. imposant néanmoins cette exigence : Cass. 2e civ., 12 déc. 2002 : B n° 286 ;Gaz. Pal. 21-23 déc. 2003, p. 70, obs. P. Guerder. - 26 oct. 2000 : B n° 147.
(25) P. Guerder, L'évolution récente de la jurisprudence civile en matière de presse, inRapport C. Cass. 1999, Doc. fr., 2000, p. 176.
(26) Intérêt protégé sur le fondement de l'art. 8 de la Convention (V. Cedh, 17 oct.2006, Gourguénidzé c/ Géorgie, § 41).
(27) Car, en matière civile aussi, la Cour de cassation a fini par juger « que l'acte initialavait fixé définitivement la nature et l'étendue de la poursuite quant aux faits et àleur qualification d'injures publiques au sens des art. 29, al. 2, et 33 de la loi du 29 juillet1881 visés par l'assignation, et que la juridiction de jugement ne pouvant prononceraucun changement de qualification par rapport à la loi sur la presse, l'action del'association était prescrite » : V. Cass. 2e civ., 15 avr. 1999 : B n° 73.
(28) « Rien dans la loi n'interdit de poser subsidiairement une seconde qualification »(G. Le Poittevin, Traité de la presse : Libr. Larose, Paris, 1904, t. 3, p. 546, n° 1467,citant en exemple la qualification d'outrage).
(29) V. Cass. 1re civ., 3 avril 2007 : B n° 151 ; Gaz. Pal. 9-10 juill. 2007, p. 42, obs.P. Guerder. - Cass. 2e civ., 12 mai 1999 : B n° 90.
(30) Cass. 2e civ., 10 juin 2004 : B n° 288 ; Gaz. Pal. 6-7 janv. 2006, p. 38, obs. F. Bourg.
(31) V. s'agissant du référé : M.-Th. Feydeau, « Le juge civil et l'application de la loisur la presse », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 57.
(32) CA Paris, 1re ch., 27 juin 2002 : LP 2002, n° 195-I, p. 124.
(33) Notre propos est donc loin d'être hostile aux médias : nous avons la convictionqu'ils auraient beaucoup à gagner dans un retour au droit commun. Pendantplus d'un siècle, devant les juridictions civiles, la liberté d'expression n'a d'ailleurspas été en souffrance. Elle ne l'est pas davantage à l'étranger où la libertéd'expression est garantie indépendamment de ces débats de pure forme qui ladiscrédite. Le fétichisme de la loi de 1881, alimenté par les gens de robe, reposesur une mauvaise évaluation des termes de ce débat.
(34) V., jugeant, précisément en matière de presse, qu'un procureur de la Républiquene présente pas les garanties attendues d'une autorité judiciaire : Cedh, gdech., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c/ Pays-Bas, § 93.
(35) Cass. 1re civ., 27 sept. 2005 : B n° 345 ; Gaz. Pal. 2005, somm. p. 4301.
(41) Cedh, 19 mai 2009, Kulikowski c/ Pologne, § 64.
(42) Cedh, 26 juillet 2007, Walchli c/ France, § 36.
(43) V. Cedh, 8 juillet 2008, Backes c/ Luxembourg, § 64.
(44) V., encore, Cedh, 24 avril 2008, Kemp et a. c/ Luxembourg, § 47.
(45) La légitimité des restrictions imposées dans l'accès au juge s'apprécie parrapport aux « buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice » quidoivent être poursuivis à ce titre (V., Cedh, 29 mars 2011, Rtbf c/ Belgique, § 69). Ellene s'apprécie pas au regard du droit substantiel qu'il s'agit de sauvegarder ou quipeut être atteint. Il ne faut pas confondre le fond et la forme : à ce stade, une tellediscussion n'est pas encore ouverte.
(46) Cass. 1re civ., 24 sept. 2009 : B n° 180 ; LP 2009, III, p. 221, avis D. Sarcelet ; Gaz.Pal. 4 mars 2010, p. 14, obs. F. Fourment ; Jcp 2009, 441, obs. Tavieau-Moro.
(47) V. N. Bonnal, « Les règles processuelles de la loi de 1881 sont-elles toujoursapplicables devant le juge civil ? » : LP 2010, p. 25.
(48) V. Cass. 1re civ., 8 avr. 2010 : B n° 87 ; D. 2010, p. 1673, note Ch. Bigot ; LP 2010,p. 88, obs. P. Guerder ; Jcp 2010, 1258, n° 8, obs. N. Tavieaux-Moro.
(49) Cass. 1re civ., 3 févr. 2011 : B n° 22 ; D. 2011, p. 1467, note Ch. Bigot ; Jcp 2011,376, note E. Dreyer.
(50) V. Cass. 1re civ., 15 mai 2007 : B n° 190.
(51) Cass. 1re civ., 24 sept. 2009 : B n° 179.
(52) V. Cass. 1re civ., 22 sept. 2011 : Jcp 2011, 1448, note E. Dreyer.
(53) V. CA Paris, pôle 1, ch. 3, 15 févr. 2011 : D. 2011, p. 1467, note Ch. Bigot.