Le cheminement de la jurisprudence de la Cour de cassation relatif à l'utilisation de la notion d'« intérêt général » ainsi que son rattachement étroit aux raisonnements de la Cour européenne des droits de l'homme (1) doit conduire à rechercher si l'émergence de la notion d'intérêt général dans le cadre de la théorie de la bonne foi est de nature à opérer une rénovation profonde ou constitue au contraire une simple adaptation de la fameuse théorie des quatre éléments dégagée dans les années 1930 par le président Mimin (2).
Une observation préliminaire s'impose. Cette notion d'intérêt général, pour laquelle les juges du fond n'ont pas joué de rôle particulièrement précurseur, a été sollicitée aussi bien par la chambre criminelle (3) que par la 1re chambre civile (4) de sorte que contrairement à d'autres sujets qui font apparaître des divergences, comme la procédure, ce sujet semble marquer une volonté commune de l'ensemble des chambres, ayant pour objet de faire évoluer la théorie de la bonne foi. ...
Christophe Bigot
Avocat au Barreau de Paris
1er janvier 2012 - Légipresse N°290
3020 mots
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(1) * Texte d'une intervention à l'occasion du colloque organisée par la Cour decassation le 27 mai 2011 ayant pour thème : « La liberté d'expression, uneliberté en mouvement ».
(2) Décrit ci dessus par Monsieur le Conseiller Jean-Yves Monfort, dans son intervention: « L'apparition en jurisprudence du critère du débat d'intérêt généraldans le droit de la diffamation ».
(3) Sur cette théorie : Henri Leclerc, « La bonne foi du journaliste », Légipresse1988-II p 25 ; C. Bigot, « La bonne foi du journaliste : état des lieux », Légicomn° 29/2002/3 p 73.
(4) Voir en particulier : Cass. Crim. 11 mars 2008, Bull. crim n° 208, Légipresse2008-III-130 note B. Ader, D 2008 p 2256 note J. Lapousterle ; Cass. Crim. 12 mai2009 Bull. n° 88, Légipresse 2009-III-note B. Ader, D 2009 p 2316 note Agostini ;Cass. Crim. 29 mars 2011, pourvoi n° 10-85887 ; Cass. Crim. 27 avril 2011, pourvoin° 10-83771.
(5) Cass. Civ 1, 3 février 2011, trois espèces, Légipresse 2011-III- p 226 note HenriLeclerc ; Cce mai 2011, n°46 p 31.
(6) Précités.
(7) La chambre criminelle de la Cour de cassation reprend d'ailleurs ce nouveauvocabulaire : voir Cass. crim. 11-10-2011, pourvoi n° 10-81078).
(8) CA Paris, 1re ch. À, 14 décembre 1993, RG 92-10704, D 1995 som p 272 et nos obs.
(9) Cass. Civ. II, 15 janvier 1997, Bull. II n° 6 p 3 ; D 1998 som. p 83 obs C. Bigot.
(12) L. Marino, note sous Cass. Civ. 1re, 27 février 2007, Légipresse 2007, III, 107 ;Obs sous Cass. Civ. 1re 24 octobre 2006, D 2007 Pan. p. 2776.
(13) Cedh 6 avril 2010, Req 25576/04.
(14) Cass. Civ. I, 24 octobre 2006, pourvoi n° 04-16706, Bull. I n° 437, Légipresse2007.III.89 note A. Lepage, Gaz. Pal. 5-6 octobre 2007 p 51 note P. Guerder.
(15) Il existe une bibliographie fournie sur ce sujet en droit public. Voir notamment: Conseil d'État, rapport public 1999, L'intérêt général, Ed. DocumentationFrançaise 1999, p 245 ; M.-P. Deswarte, « L'intérêt général dans la jurisprudencedu Conseil Constitutionnel », Rfd Const. N° 13, 1993, p 23 ; G. Merland, L'intérêtgénéral dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, Thèse Montpellier, Lgdj2004 ; « L'intérêt général, instrument efficace des droits fondamentaux ? » Cah.Cons. Constit., octobre 2003 n° 16, disponible en ligne sur le site du Conseil ;D. Truchet, Les fonctions de la notion d'intérêt général dans la jurisprudencedu Conseil d'État, Lgdj 1977. Et pour une réflexion analogique avec d'autresbranches du droit privé : M. Mekki, L'intérêt général et le contrat Contributionà une étude de la hierarchie des intérêts en droit privé, Lgdj 2004. Adde, pour uneperspective comparative : B. Fauvarque-Cosson, L'intérêt général au Japon et enFrance, Co-ed. Slc -Dalloz 2008.
(16) Au 1er janvier 2004, le Conseil constitutionnel s'était référé 124 fois à lanotion. Chiffre donné par G. Merland, article précité.
(17) Ibid.
(18) Voir, F. Terré, « La proportionnalité comme principe ? » Jcp 2009 n°25 p 52.
(19) Cedh, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni.
(20) G. Merland, article précité et les refs.
(21) Ainsi, cette théorie s'est vue appliquée dans un premier temps exclusivementdans des affaires retentissantes, telles celles des « disparues de l'Yonne »,Executive Life, et Clearstream . Voir décision citées plus haut, notes 4 et 5.
(22) Voir par exemple pour des propos relatifs à l'histoire récente cambodgienneet au régime de Pol Pot : Cass. Crim. 27 avril 2011, pourvoi n° 10-83771.
(23) Cass. Crim. 29 mars 2011, pourvoi n° 10-85887, Légipresse n° 285, p. 396.Adde : Crim. 11 octobre 2011, précité.