Entre l'arrêt Padawan rendu par la Cjue le 21 octobre 2010 et la décision du Conseil d'État du 17 juin 2011 relative à la rémunération pour copie privée due sur les supports dont il n'est pas démontré qu'ils servent à la copie privée, l'heure de la peau de chagrin semble avoir sonné pour la « compensation équitable du fait du préjudice de copie privée ». Ces succès engrangés par les opposants au système montrent que l'heure semble opportune pour tenter de retracer ce mouvement jurisprudentiel, d'en analyser les fondements et de réfléchir, à la lumière de cette évolution, au destin de cette rémunération récemment mise au régime draconien par la jurisprudence. Les attaques se sont essentiellement portées sur l'assiette de la rémunération, dont il est ici question, et ont donné l'occasion de discuter de la qualité du débiteur (développements à paraître dans le prochain numéro de Légipresse). La présente chronique est publiée en deux parties, dans les n° 287 et 288.
La rémunération pour copie privée fait, depuis quelque temps déjà, l'objet d'une attaque en règle de la part de ceux qui en sont les redevables (1). Le phénomène n'est pas neuf puisque, dès l'origine de son établissement en France, les taux mais encore l'assiette même de cette rémunération ont été le terrain de divers affrontements entre les protagonistes ayants droit, fabricants et consommateurs notamment au sein de la commission paritaire dite « copie privée ».Instauré ...
Valérie-Laure BENABOU
Professeure à l'université de Paris-Saclay/UVSQ
1er octobre 2011 - Légipresse N°287
8222 mots
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(2) Sur la question, C. Caron, « Les clairs-obscurs de la rémunération pour copieprivée », D., 29 novembre 2001, n° 42, p. 3421.
(3) G. Vercken, « La copie privée numérique et le multimédia : quand le sagemontre la lune, l'idiot regarde le doigt », Légipresse, décembre 2001, n° 187p. 166.
(4) La presse s'est parfois fait l'écho des débats houleux, par exemple M. Lhotel,« La commission Brun-Buisson à l'épreuve du numérique », Expertises, février2003, n° 267, p. 66, commentant l'arrêt du CE, 10e et 9e sous-sect. réunies,4 novembre 2002 ; A. Paquette, « La commission pour la copie privée proche del'implosion », Les Échos, 9 mai 2005, 2 p.
(5) Jusqu'à l'absurde, v. l'article de synthèse sur cette question, S. Carre, « Le vertigede l'irrecevabilité » (à propos de l'arrêt de la Cour de cassation du 19 juin2008), Rida juillet 2009, p. 65-213 ; ou O. Pignatari, « Pas de droit, pas d'action oucomment éviter la délicate appréciation du test des trois étapes » (à proposde l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 2007 statuant sur renvoi aprèscassation), Rldi 2007, n° 27, p. 18.
(6) Affaire Mulholland Drive : Tgi de Paris, 3e chambre, 30 avril 2004 Censuré par :CA de Paris, 4e chambre B, 22 avril 2005 Cassation de : Cass Civ 1re, 28 février2006, n° 05- 15.824 Arrêt de renvoi : CA de Paris, 4 avril 2007 Confirmé parCass. 1re Civ., 19 juin 2008 ; « Les dangers de l'application judiciaire du triple testà la copie privée » (À propos de la vénéneuse décision de la Cour de cassationdans l'affaire Mulholland Drive), V.-L. Benabou, 20 avril 2006, juriscom.net.
(7) Cjue, 21 oct. 2010, aff. C-467/08, v. V-L. Benabou, « La notion de compensationéquitable dans l'arrêt Padawan ou quand la Cjue fait main basse sur lesnotions du droit d'auteur », LP n° 280, p. 95, « Copie privée : la Cour de justiceprend en main la notion de compensation équitable ou rien ne change maistout change » juriscom.net ; N. Binctin La rigueur risquée, Com. Com. Elec.janvier 2011, étude 1 ; note E. Bouchet Le Mappian, Rldi 2010, n° 66, n° 2158 ;C. Caron, « La rémunération pour copie privée en droit communautaire », Com.Com. Elec janvier 2011, n° 1, comm. 2 ; L. Marino « La (discutable) logique de laredevance pour copie privée », Jcp 13 décembre 2010 ; « Copie privée : contoursde la notion de compensation équitable », D. 18 novembre 2010 ; L. Tellier-Loniewski, M. Soulez « Copie privée : les professionnels n'ont pas à payer laredevance », Gazette du Palais, 21 et 22 janvier 2011, p. 33.
(8) À ce titre, on peut citer l'alinéa 3 de l'article L. 331-4 du Code de la propriétéintellectuelle, ajouté par l'article 9 de la loi du 1er août 2006 dite Dadvsi, selonlequel le montant de la redevance doit tenir compte du degré d'utilisation desmesures techniques et de leur incidence sur les usages relevant de l'exceptionpour copie privée.
(9) On excusera l'auteur pour cet anachronisme puisque désormais le termed'Union remplace celui de communauté, mais l'adjectivation est plus douloureuseet source de confusion car « unioniste » dans le champ de la propriétéintellectuelle a toujours fait référence à autre chose que le droit européen.
(10) CE, 10e et 9e ss-sect. réunies, 11 juill. 2008, n° 298779, Synd. de l'Industrie dematériels audiovisuels électroniques ; Prop. intell. octobre 2008, n° 29, p. 428 ; Ajda2008, p. 1414 ; Comm. com. électr. 2008, comm. 112, Ch. Caron ; N. Binctin, Pourune application stricte de la rémunération pour copie privée, Comm. com. électrn° 11, novembre 2008, étude 21.
(11) Solution confirmée dans l'arrêt ThuisKopie, attendu 24 : Cela étant, ilconvient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la conception et le niveaude la compensation équitable sont liés au préjudice résultant pour l'auteur dela reproduction de son oeuvre protégée effectuée sans son autorisation pourun usage privé. Dans cette perspective, la compensation équitable doit êtreregardée comme la contrepartie du préjudice subi par l'auteur (arrêt Padawan,précité, point 40).
(12) CE, 17 juin 2011, Canal + distribution et autres, n°s 324816, 325439, 325463,325468, 325469.
(13) CE, 10e et 9e ss-sect. réunies, 11 juill. 2008, n° 298779, Synd. de l'Industrie dematériels audiovisuels électroniques ; op. cit ; v. également, A. Strowel, « Peut-ontenir compte des copies faites à partir de sources illicites pour déterminer lemontant des redevances ? » Commentaires sur quelques décisions récentes enFrance et aux Pays-Bas et état du droit en Belgique, Auteurs et Médias, mai 2009,p. 56.
(14) Entre autres, Thierry Desurmont, « Le régime de la copie privée », Com. Com.Elec. novembre 2006, étude 28 ; S. Dussollier, « L'utilisation légitime de l'oeuvre :un nouveau sésame pour le bénéfice des exceptions en droit d'auteur ? » Com.Com. Elec. novembre 2005, n° 38 page 17 ; C. Caron, « La source de la copieprivée doit-elle être licite ? », Com. Com. Elec. Septembre 2006, page 27 ; Th.Maillard, « Retour aux sources (illicites) de la copie privée. À propos du jugementdu Tribunal de grande instance de Bayonne du 15 novembre 2005 », Rldi2006 n°12 ; C. Chabert, « Mais que comptabilise-t-on derrière la rémunérationpour copie privée ? » du 22 juillet 2008, sur juriscom.net.
(15) Sur cette intense question voir notamment, A. Latreille, « Variations autourde la définition de l'acte de copie privée », Com. Com. Elec. novembre 2010, quisemble considérer qu'en dépit des interrogations de la doctrine, la conditionest devenue de droit positif par sa reprise dans la jurisprudence, citant en cesens l'affaire Aurélien D., Tgi Rodez, 13 oct. 2004 (relaxe sur le fondement del'exception pour copie privée) ; D. 2004, jurispr. p. 3132, note J. Larrieu ; Comm.com. électr. 2004, comm. 152 ; Propr. intell. 2005, n° 14, p. 56, note P. Sirinelli. CAMontpellier, 10 mars 2005 ; Comm. com. électr. 2005, comm. 77 ; Jcp G 2005, II,10078; Propr. intell. 2005, n° 15, p. 168, obs P. Sirinelli ; D. 2005, jurispr. p. 1294,note G. Kessler ; Rldi 2005, n° 5, p. 6, note M. Vivant et P. Sirinelli ; Légipresse 2005,n° 222, III, p. 120, note I. Wekstein ; Cass. crim., 30 mai 2006 ; Jcp G 2006, II, 10124et la note C. Caron ; Rldi juill. 2006, p. 76, note A. Singh et Th. Debiesse et p. 80,note A. Bensamoun ; Jcp E 2007, 1114, n° 9, obs. M.-E. Laporte-Legeais ; D. 2007,p. 2676, note E. Dreyer et p. 2997, obs. P. Sirinelli ; Rida 2006, n° 210, p. 237, obs.P. Sirinelli ; contra V. Nisato, « Licéité de la source et copie privée : le doutepersiste », Légipresse, décembre 2007, pp. III 250-253, à propos de l'arrêt de CAAix-en-Provence 5e ch., 5 septembre 2007.
(16) La polysémie du terme autorise le doute : Dans le Vocabulaire juridiquede Cornu, Puf, 7e éd, p. 15 on trouve ces trois définitions : 1. Fait (générique)de devenir propriétaire (d'une manière ou d'une autre) ; plus spécialement,opération par laquelle on le devient. 2. Parfois l'objet acquis. 3. Par ext. Fait dedevenir titulaire d'un droit autre que la propriété (usage, usufruit, créance) oubénéficiaire d'un nouvel état (acquisition de la nationalité). Comp. Obtention,octroi, attribution.
(17) Il était demandé au Conseil d'État d'annuler la décision n° 10 de la commissioncopie privée, du 27 février 2008, par laquelle la rémunération avait étéétendue à certaines mémoires et certains disques durs intégrés à un appareilmobile combinant une fonction téléphone et une fonction baladeur définis àl'article 1er de cette décision.
(18) On y retrouve le considérant de principe au terme duquel il résulte« que la rémunération pour copie privée constitue une exception au principedu consentement de l'auteur à la copie de son oeuvre ; qu'elle est une modalitéparticulière d'exploitation des droits d'auteur, fondée sur la rémunération directe etforfaitaire, par les personnes qui mettent en circulation, en France, certains supportsd'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres fixées surdes phonogrammes ou des vidéogrammes, des sociétés représentant les titulairesdes droits d'auteur ou de droits voisins. » S'ensuit l'affirmation selon laquelle, il enrésulte que « la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser,pour les auteurs, artistes interprètes et producteurs, la perte de revenus engendréepar l'usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d'oeuvres fixéessur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées. »Le Conseil d'État récuse par là même d'un trait de plume l'analyse qui avait étéavancée en doctrine de la copie privée comme une limite au droit d'auteur etnon comme une simple dérogation au principe du consentement préalable.La formule employée par les juges détermine, au contraire, que l'emprisedu statut s'étend aux actes de reproduction à usage privé et non aux seulesreproductions à destination du public mais que le régime applicable est alorsle droit à rémunération et non le droit exclusif. Les juges estiment également,à notre avis de manière réductrice, que la seule finalité est la compensation dela perte des revenus alors que l'attribution des 25 % de cette rémunération àdes fins de promotion culturelle semble démentir partiellement ce postulat decorrespondance totale entre préjudice subi par l'ayant droit et compensation.
(19) Or, c'est au terme d'un glissement regrettable qu'est opéré cet amalgamepuisque l'illicéité de la source de la copie, à la supposer comprise, a peu à voir,en pratique, avec l'utilisation des supports d'enregistrement. Si le peer-to-peeroccasionne de nombreuses copies illicites, il n'est pas avéré que les reproductionsopérées sur certains supports traduisent nécessairement l'accroissementde la circulation de copies illicites.
(20) Sans doute conscient du bouleversement important opéré par sa décision,le Conseil d'État a décidé, comme il en a la possibilité, de limiter les effets dansle temps de sa décision et « de ne prononcer l'annulation de la décision n° 11 du17 décembre 2008 qu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date denotification de la décision au ministre de la Culture et de la Communication, sousréserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contredes actes pris sur son fondement. »
(21) Question adressée le 1er octobre 2009 dans une affaire C-387/09 Egeda/Magnatrading SL.