Le droit à la liberté d'expression doit céder devant le respect de la dignité de la personne humaine, ce qui est le cas lorsque des actes de scène cèdent la place à une manifestation qui ne présente plus le caractère d'un spectacle.
L'humoriste Dieudonné donna en 2008 au Zénith un spectacle intitulé J'ai fait l'con. Bien qu'il y ait eu plusieurs représentations, c'est le 28 décembre que survint un incident intensément polémique : une subversion des symboles de l'identité et de la mémoire juive avec le concours du négationniste (1) Robert Faurisson (I). Pour le juriste, la diffi culté réside dans le décalage considérable entre un trouble manifeste à l'ordre public (2) et la réalité de l'incident. Tandis ...
Cour d'appel, Paris, Pôle 2, ch. 7, 17 mars 2011, Dieudonné c/ LiCRA et a. (décision non défi nitive)
David LEFRANC
Cabinet Laropoin, avocat spécialiste IP/IT, docteur en droit, enseignant
(2) Sur le négationnisme, on lira avec grand profi t la synthèse de Gisèle Sapiro,« Le négationnisme en France » : Rev. synthèse : 5e série, 2004, pp. 217-228(l'article est consultable en ligne).
(3) Le ministère de la Culture dénonce immédiatement l'événement. V. « Albanelconsternée par la provocation de Dieudonné » : www.nouvelobs.com,31 déc. 2008 Le trouble à l'ordre public s'est trouvé aggravé par la présencedu leader d'un parti d'extrême-droite, « Le Pen a trouvé Dieudonné un peuchoquant» : www.lejdd.fr, 30 déc. 2008 « Le Pen juge le show de Dieudonnéintéressant » : www.leParisien.fr, 30 déc. 2008 Herszkowicz Albert, « Dieudonné,Faurisson, Le Pen : décryptage du trio infernal » : www.rue89.com
(4) Notre description des faits est une description des vidéogrammes montrantle spectacle et mis en ligne sur internet (principalement sur YouTube et Dailymotion).
(5) À plusieurs reprises, Faurisson use de ce terme « spécial » (« traitementspécial » pour rappeler les violences contre lui ; lois « spéciales » pour dénigrerles lois mémorielles) comme pour mieux suggérer un rapprochement avec les« Sections Spéciales » nazies.
(6) Le 29 déc. 2008, Me Serge Klarsfeld qualifi e les propos de Dieudonné de « dérapages contrôlés » (« Klarsfeld ne voit pas de propos négationnistes auZénith » : www.nouvelobs.com, 31 déc. 2008).
(8) « Affaire Dieudonné : Serge Klarsfeld met en cause les médias » : www.ozap.com, 29 déc. 2008.
(9) Dans ce « sketch », Faurisson portant la kippa interprète un certain « MaîtreSimon Krokfeld », « Président de l'Association des beaux-frères et belles-soeurs dedéportés ». Dieudonné fait office d'« intervieweur ». Le personnage « Krokfeld »justifie la nécessité de recourir à la violence physique contre les antisémites, endéclarant : « 6 millions de Juifs assassinés c'est tout de même number one, n'est-cepas ? »
(10) « ( ) une mise en scène ne saurait constituer en elle-même le support d'uneinjure, ce moyen de publicité n'étant pas prévu par l'article 23 susvisé (loi du29 juillet 1881) », T. corr. Paris, 17e ch., 27 oct. 2009, MP c/ M'Bala M'Bala,aff. n° 0836408265 : inédit.
(11) « Ce sont donc bien les personnes d'origine ou de confession juive au fondementdesquels le prévenu entend glisser une quenelle, en faisant acclamer unindividu uniquement connu du public pour ses thèses négationnistes, en le présentantcomme le héros de valeurs positives et en lui faisant remettre cet hommage,sous la forme d'un emblème dénaturé de cette communauté, par un personnageridiculisant les victimes juives des crimes mêmes que nie la personne ainsi honorée »,T. corr. Paris, 27 oct. 2009 : op. cit.
(12) Chandelier à sept branches traditionnel dans la religion juive.
(13) Pour beaucoup, le salut évoquait le salut hitlérien.
(14) Des « propos décousus, provocateurs et se voulant humoristiques » ne sont pasdiffamatoires, Cass. crim., 3 avr. 2007, pourvoi n° 05-85885.
(15) Selon nos informations sur ces décisions inédites : Tgi Paris, 6 nov. 2003 CAParis, 30 juin 2004 CA Paris, 15 mars 2005.
(16) Cass. ass. plén., 16 févr. 2007, pourvoi n° 06-81785.
(17) Au visa de la liberté de l'art, Dieudonné a d'ailleurs remporté avec succèsson procès contre la ville de Genève qui, en considération de l'incident dedécembre 2008, avait refusé de lui louer une salle : Trib. féd. (Suisse), 8 déc.2010, aff. 1C_312/2010 : résumé in Newsletter de la Fondation pour le droit del'art : News21, févr. 2011, p. 3.
(18) Dans une interview, Dieudonné déclare : « Je connais la nourriture qu'il vousfaut. Il vous faut de la viande crue et sanguinolente. Et Robert Faurisson était formidable.Il vous a permis de vous repaître pendant au moins une bonne semaine. »
(19) Huit ans avant l'incident du Zénith paraît : Norman G. Finkelstein, L'industriede l'Holocauste. Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs, La Fabriqueéditions, 2000 Cinq ans avant paraît : Pascal Boniface, Est-il permis de critiquerIsraël ? Robert Laffont, 2003.
(20) Exemples parmi tant d'autres : le mot fameux de Pierre Desproges « On medit que des juifs se sont glissés dans la salle » ; Roberto Benignini est parvenu àintroduire le sourire dans un film sur le drame concentrationnaire.
(21) CA Paris, 11e ch., 23 juin 1982 : Juris-Data n° 1982-022836.
(22) « Considérant que le principe de la liberté d'expression commande que puissents'exprimer sans contrainte, particulièrement en période électorale, toutes les opinionsdans la mesure où l'exposé de celles-ci est opéré sans attaques malveillantesdirigées contre la personne », CA Paris, 18 juin 1999 : Juris-Data n° 1999-024214.
(23) David Lefranc, « L'affaire Apocalypse : Un revirement dans la jurisprudencede la Cedh en matière de liberté d'expression artistique ? » : Auteurs & Media,2007/4, pp. 327-336.
(24) Cedh, 25 juin 2002, Colombani et a. c/ France, req. n° 51279/99.
(25) Tgi Paris, 16 nov. 2006 : Légipresse avr. 2007, n° 240, p. 7, note Agnès Tricoire,« Quand la fiction exclut le délit ».
(26) Il faut relire Bernard Edelman commentant le procès Faurisson de 1981 : LaPersonne en danger, Puf, 1999, p. 163.
(27) V. récemment : Basile Ader, « La liberté de parole de l'avocat », note ss. Tgi Paris,17e ch. civ., 20 oct. 2010, Bettencourt Meyers et Metzner c/ Kiejman : Légipressejanv. 2011, n° 279, p. 36.
(28) Cette phrase est prononcée lors du « sketch » évoqué dans notre note n° 8.
(29) La formule est extraite de la thèse remarquable de Laurent Brochard, LeRire en droit privé, Thèse Poitiers, dir. Henri-Jacques Lucas, 2006, n° 342, p. 330 Au moment d'écrire ces lignes, nous apprenons l'existence de l'ouvrage trèscomplet de Bernard Mouffe, Le droit à l'humour, Larcier, 2011.