La notion de « compensation équitable », au sens de l'article 5 par. 2 de la directive 2001/29/CE doit être interprétée d'une manière uniforme dans tous les États membres ayant introduit une exception de copie privée. L'application sans distinction de la redevance pour copie privée à l'égard de tous les types d'équipements, d'appareils et de supports de reproduction numérique, y compris dans l'hypothèse où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques (autrement dit les entreprises et professionnels), à des fi ns manifestement étrangères à celle de copie privée, n'est pas conforme à la directive 2001/29/CE. En revanche, dès lors que les équipements en cause ont la capacité à réaliser des copies et ont été mis à la disposition des personnes physiques à des fi ns privées, il n'est nullement nécessaire d'établir que celles-ci ont eff ectivement réalisé des copies privées de nature à causer un préjudice à l'auteur de l'oeuvre protégée.
La copie privée est actuellement sous les feux du droit communautaire.La première salve d'éclaircissements demandés par les juridictions nationales à la Cour de justice de l'Union européenne vient d'être rendue, en attendant deux autres questions actuellement pendantes (1). La Cour était saisie ici par l'Audiencia Provincial de Barcelona de plusieurs questions préjudicielles (2) ayant trait à la légalité du système espagnol decopie privée au regard des exigences de la directive du ...
Cour de Justice des Communautés européennes, 3e ch., 21 octobre 2010, Padawan SL c/ SGAE
(2) La seconde a été présentée par le Juzgado mercantil de Santa Cruz, le1er octobre 2009 dans une aff aire C-387/09 Egeda/ Magnatrading SL ; le Juzgadomercantil de Vera Cruz demande notamment : « Faut-il tenir compte du champd'application de l'exception pour copie privée prévue à l'article 5, paragraphe 2, sousb), de la directive ainsi que des critères fi gurant au trente-cinquième considérantde la directive afi n de déterminer les dispositifs qui sont assujettis au paiement dela compensation équitable et le montant de celle-ci ? Dans l'affi rmative, serait-ilconforme à la notion de communautaire de compensation équitable pour copieprivée (a) d'instituer une obligation de paiement de la compensation visant lesdispositifs destinés à des fi ns personnelles et professionnelles autres que la copieprivée et/ou (b) d'établir un montant forfaitaire qui ne tient pas compte de l'usagedes dispositifs aux fi ns de copie privée ni du préjudice qui pourrait résulter d'un telusage, assujettissant également au paiement de la compensation les situationsdans lesquelles il n'y a pas de préjudice ou un préjudice minime ? Un système qui,en établissant une limitation pour copie privée, impose une obligation généraliséede paiement de la compensation équitable pour des catégories déterminées d'équipementsou de supports (par exemple des disques informatiques enregistrablesCD-R et dVd-R de données), indépendamment du fait qu'ils sont achetés par desparticuliers pour un usage privé ou par des particuliers pour un usage professionnel,afi n de produire et de conserver leurs propres informations ou de remplir des obligationslégales, ou par des personnes morales qui ne bénéfi cieraient en aucun cas del'exception pour copie privée serait-il conforme à l'article 5, paragraphe 2, sous b), dela directive 2001/29 ? ».La troisième a été présentée par la Cour suprême néerlandaise (Hoge Raad) le25 novembre 2009, dans une aff aire C-462/09 Stichting de Thuiskopie / Mijndertvan der Lee e.a. qui vise essentiellement à savoir si la directive off re les critèresadéquats pour déterminer qui est le débiteur de cette compensation équitableet, particulièrement, si le triple test fi gurant à l'article 5 paragraphe 5 « contraintà une interprétation du droit national assez large pour permettre que, dans un aumoins des pays concernés par (un) contrat négocié à distance (cette) compensationsoit due par un commerçant. »
(3) Demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite parl'Audiencia Provincial de Barcelona (Espagne), par décision du 15 septembre2008, parvenue à la Cour le 31 octobre 2008 ; conclusions de l'avocat généralTrstenjak présentées le 11 mai 2010.
(5) La Cour qui a estimé que « la notion de compensation équitable, au sensde l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive du 22 mai 2001, est une notionautonome du droit de l'Union, qui doit être interprétée d'une manière uniformedans tous les États membres ayant introduit une exception de copie privée, indépendammentde la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer, dans les limites imposéespar le droit de l'Union, notamment par la même directive, la forme, les modalités definancement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable. »
(6) La Cour estime que « la finalité de la directive 2001/29, fondée notammentsur l'article 95 CE et visant à harmoniser certains aspects du droit d'auteur et desdroits voisins dans la société de l'information ainsi qu'à empêcher les distorsions deconcurrence dans le marché intérieur résultant de la diversité des législations desÉtats membres ( ), implique le développement de notions autonomes du droit del'Union. La volonté du législateur de l'Union de parvenir à une interprétation la plusuniforme possible de la directive 2001/29 se reflète notamment dans le trentedeuxièmeconsidérant de celle-ci, lequel invite les États membres à appliquer lesexceptions et limitations au droit de reproduction de manière cohérente, dans le butd'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. » (attendu 35)
(7) Sur cet aspect de la décision, voir notre commentaire de la décision sur lesite juriscom et dans la revue Propriétés Intellectuelles, à paraître et plus généralementsur les notions de droit communautaire, V.-L. Benabou, « JurisprudenceInfopaq : que reste-t-il au juge national pour dire le droit d'auteur ? » Rdti 2009n° 37, p. 71 ; chr. de droit d'auteur, Prop. Intell., avril n° 31 ; L. Marino, « Florilègede notions communautaires en droit d'auteur, à partir du droit de reproductionet de l'exception de reproduction provisoire » Jcp G n° 39, 21 septembre 2009.
(8) S'agissant du fait générateur de la compensation, l'avocat général se rangeaità l'opinion que seules les copies privées « licites » doivent faire l'objet dumécanisme. Elle rappelait que « le droit à une compensation n'existe qu'à l'égardd'une copie privée pour autant que celle-ci est autorisée par les législations desÉtats membres en matière de droit d'auteur » (considérant 78). Allant au-delà dela question posée, elle considérait même que les copies illégales réalisées parle biais du P2P poursuivent les plus souvent un but commercial et ajoutait « entout état de cause, elles poursuivent des buts autres qu'un usage privé, au sens del'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, et ne sont pas visées parcette limitation et exception au droit de reproduction. »
(9) Attendu 44 : Or, la réalisation d'une copie par une personne physique agissantà titre privé doit être considérée comme un acte de nature à engendrer unpréjudice pour l'auteur de l'oeuvre concernée.
(10) Attendu 45 : Il s'ensuit que la personne ayant causé le préjudice au titulaireexclusif du droit de reproduction est celle qui réalise, pour son usage privé, unetelle reproduction d'une oeuvre protégée sans solliciter l'autorisation préalabledudit titulaire. Il incombe dès lors, en principe, à cette personne de réparerle préjudice lié à cette reproduction, en finançant la compensation qui seraversée à ce titulaire.
(11) Attendu 55 : En effet, ces personnes physiques sont légitimement présuméesbénéficier intégralement de cette mise à disposition, c'est-à-dire qu'ellessont censées exploiter la plénitude des fonctions associées auxdits équipements,y compris celle de reproduction.
(12) CE, 10e et 9e ss-sect. réunies, 11 juill. 2008, n° 298779, Synd. de l'Industrie dematériels audiovisuels électroniques ; chronique, Prop. intell. octobre 2008, n° 29,p. 428 ; JurisData n° 2008-073909 ; Ajda 2008, p. 1414 ; Comm. com. électr. 2008,comm. 112, Ch. Caron ; N. Binctin, « Pour une application stricte de la rémunérationpour copie privée », Comm. com. électr n° 11, novembre 2008, étude 21.
(13) L'avocat général avait estimé dans ses conclusions que : « L'application,sans distinction, d'une redevance à des entreprises et à des professionnels qui fontclairement l'acquisition d'appareils et de supports de reproduction numérique à desfins autres que celle de la copie privée n'est pas conforme à la notion de compensationéquitable, au sens de l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29. »(attendu 104 des conclusions).