En étendant le champ d'application de la cession automatique des droits patrimoniaux des journalistes dont bénéficient les entreprises de presse, la loi du 12 juin 2009 a souhaité mettre un terme à l'insécurité juridique qui prévalait en pratique jusqu'alors, que les parties aient recours à des accords individuels ou collectifs. Désormais, l'existence du contrat de travail du journaliste a une incidence sur la jouissance de ses droits d'auteur. En outre, la loi subordonne le bénéfice de la cession automatique à la conclusion d'un accord collectif, laissant aux parties le soin de s'entendre sur les contreparties offertes aux journalistes. Cette négociation collective devrait fournir l'occasion d'un véritable débat sur le droit d'auteur dans l'entreprise de presse.
Jean Lapousterle
Maître de conférences Université Panthéon-Assas Paris II
(2) T. Revet, La force de travail (étude juridique), Litec, 1992, n° 252.
(3) Article L. 111-1 alinéa 3 du CPI.
(4) La possibilité pour l'employeur de procéder à la première publication sansavoir à exciper d'une cession en bonne et due forme résulte de l'interprétationa contrario des articles L. 121-8 alinéa 2 du CPI, et de l'ancien article L. 7113-2al. 2 du Code du travail. Elle découlait, de toute façon, de la théorie de l'oeuvrecollective dont le journal constitue l'archétype.
(5) À l'occasion de l'arrêt Nortène, rendu au sujet de logiciels non couvertspar la loi du 3 juillet 1985, la Cour de cassation retint ainsi que « l'existenced'un contrat de travail conclu par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporteaucune dérogation à la jouissance de ses droits de propriété intellectuelle,dont la transmission est subordonnée à la condition que le domaine d'exploitationdes droits cédés, soit délimité quant à son étendue et à sa destination,quant au lieu et quant à la durée », Cass. 1re Civ 16 décembre 1992, RIDA,avril 1993, p. 193, note P. Sirinelli.
(6) À l'occasion de l'arrêt Edinter, la Cour de cassation affirma, sans équivoque,qu'« à défaut de convention expresse, conclue dans les conditions de la loi,l'auteur des photographies n'avait pas transmis à son employeur, du seul faitde la première publication rémunérée à titre de pige, le droit de reproduction deses oeuvres pour de nouvelles publications ou une cession à des tiers », Cass.1re Civ 21 octobre 1997, JCP E 1998, p. 1047, observations J.-M. Mousseron.
(7) Voir, soumettant à autorisation la réexploitation des articles ou des photographiesau sein du même organe de presse, Cass. 1re Civ 12 juin 2001, Rillon, CCE2001, comm. 74 note C. Caron; Légipresse 2001, III, p. 155, note C. Alleaume;Propriétés intellectuelles 2001, n° 1, p. 56, obs. A. Lucas. Voir, s'agissant de laréexploitation des articles ou photographies au sein d'un autre organe de presse,Cass. 1re Civ 23 janvier 2001, Société Le Berry Républicain c/Baruch, CCE 2001,comm. 44 note C. Caron; Légipresse 2001, III, p. 50, note S. Jacquier.
(8) P. Gaudrat et G. Massé, Rapport sur la titularité des droits sur les oeuvresréalisées dans les liens d'un engagement de création, février 2000; P. Sirinelliet J-A. Bénazéraf, « La réforme du CPI explorée par le CSPLA au sein de laCommission auteur-salarié », Légicom, 2003/1, p. 95.
(9) R. Hadas-Lebel, Rapport au Ministre de la Culture et de la Communicationrelatif à la mise en oeuvre du droit d'auteur des salariés de droit privé, décembre2002.
(10) Lire, sur le rôle joué par « ce petit groupe d'éditeurs et de journalistes reflétant,pour l'essentiel, la variété des formes de presse et des formes syndicalesconfrontées à ces questions, réunis de façon informelle et sans autre mandatque leur bonne volonté, en présence de certaines sociétés de gestion collective», P. Lantz, C.-H. Dubail, L. Bérard-Quelin, P. Jannet, « Vers une réformedu droit d'auteur dans la presse écrite », Légipresse n° 251, mai 2008, I, p. 55.
(11) Le « Blanc » sur l'organisation des droits d'auteur des journalistes professionnelsen matière de presse écrite, Paris 8 octobre 2007.
(12) Livre vert sur les États généraux de la presse écrite, 8 janvier 2009. Lanotion de famille cohérente de presse a été ajoutée à ce stade.
(13) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection dela création sur internet.
(14) Voir, supra, les développements figurant en introduction.
(15) Voir, dans ce sens, l'Accord-cadre sur les droits d'auteur dans la presse quotidienne régionale, Légipresse n° 150, décembre 1999. Voir également,conçu suivant le même modèle, l'Accord sur les droits d'auteur des journalistessigné entre la direction du Figaro, la SA du Figaro, d'une part, et le SNJd'autre part, Légipresse n° 174, septembre 2000, p. 89.
(16) Voir, outre l'accord-cadre précité sur les droits d'auteur dans la pressequotidienne régionale, l'accord signé entre la SNC Le Parisien libéré, d'unepart, et les organisations syndicales de journalistes représentatives, d'autrepart, Légipresse n° 185, octobre 2001, p. 88 et s.
(17) Accord sur les droits d'auteur des journalistes signé entre la SARLLibération, d'une part, et la CGT, le SUD et le SNJ, d'autre part, Légipressen° 182, juin 2001, p. 46 et s. Pour un exemple de rémunération forfaitaire à lapage pour chaque réexploitation papier ou en ligne au sein du groupe de l'employeur,consulter l'accord sur le droit d'auteur des journalistes signé entre laSociété EMAP France et les syndicats représentant les journalistes de lasociété EMAP France, Légipresse n° 176, novembre 2000, p. 114 et s.
(18) Voir, pour une étude détaillée de ces accords, G. Vercken, « Les accordsentre entreprises de presse et journalistes au regard du Code de la propriétéintellectuelle : quelques réflexions », Légipresse n° 187, décembre 2001, II,p. 149.
(19) En effet, la majeure partie des auteurs estime que la prohibition doit s'appliquerdès lors que la cession porte sur deux oeuvres futures ou davantage.Voir dans ce sens A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire etartistique, 3e édition, Litec, 2006, n° 596.
(20) La validité de cette clause au regard de l'article L. 131-1 du CPI a été admisepar un arrêt rendu par la CA de Lyon le 28 novembre 1991, GP, 1992, 1, p. 275,note Forgeron. Plus récemment, un jugement s'est prononcé dans le mêmesens, en considérant que la cession par un auteur du droit de publier dans unerevue « des articles, dessins et photographies et non pas les oeuvres dont ilserait l'auteur », ne présentait pas le caractère de globalité susceptible de l'exposerà une annulation sur le fondement de l'article L. 131-1 CPI, TGI Paris,6 décembre 2002, Légipresse, juin 2003, III, p. 88, note C. Alleaume.
(21) Comme le souligne M. Sirinelli, « il est impossible, au vu de la jurisprudencerecensée, d'affirmer que la règle de l'article L 131-1 CPI s'appliqueraavec toute sa vigueur quand la clause de cession concerne des oeuvrescréées dans le cadre d'un contrat de travail. Cependant, faute de décision dela Cour de cassation, il est impossible d'affirmer le contraire », P. Sirinelli et JA.Bénazéraf, « La réforme du CPI explorée par le CSPLA au sein de laCommission auteur-salarié », Légicom, 2003/1, p. 100.
(22) En effet, le respect de l'article L. 131-5 du CPI supposait d'opérer une ventilationpermettant d'isoler la fraction du salaire consacrée à la rémunérationdes droits d'auteur. À défaut, comment apprécier le caractère éventuellementlésionnaire de la rémunération convenue?
(23) Voir, privant d'effet une clause de renonciation à toute réclamation relativeaux droits d'auteur contenue dans un accord collectif, Cass. Soc., 12 septembre2007, SA La Montagne c/Campagnoni, CCE, 2008, comm. 1 noteC. Caron. Comme le souligne le professeur Caron, il était donc « impossible,sauf à modifier la loi, de considérer qu'un accord collectif, signé par des syndicatset pas par les auteurs eux-mêmes, puisse valoir cession des droits »,Ibid.
(24) G. Vercken, « Les accords entre entreprises de presse et journalistes auregard du Code de la propriété intellectuelle : quelques réflexions »,Légipresse n° 187, décembre 2001, II, p. 151.
(25) Voir l'article de G. Vercken précité.
(26) Le professeur Sirinelli a, en outre, souligné la fragilité des accords conclusau regard d'autres règles régissant le droit contractuel d'auteur, comme le formalismedes cessions et le principe du droit retenu, prévus par les articlesL. 131-3 et L. 122-7 du CPI, ou encore au regard des « principes qui gouvernentla rémunération constituant la contrepartie de la cession », P. Sirinelli,« Création de salariés : travaux du Conseil supérieur de la propriété littéraireet artistique », Propriétés Intellectuelles, octobre 2002, p. 46.
(27) A. & H. J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3e édition,n° 163.
(28) L'article L. 132-36 du CPI, tel qu'introduit par la loi, dispose que « sousréserve des dispositions de l'article L. 121-8, la convention liant un journalisteprofessionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du Codedu travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l'élaborationd'un titre de presse, et l'employeur emporte, sauf stipulation contraire, cessionà titre exclusif à l'employeur des droits d'exploitation des oeuvres du journalisteréalisées dans le cadre de ce titre, qu'elles soient ou non publiées ».Seules les plus grandes plumes de la profession seront vraisemblablementen mesure de se voir reconnaître le bénéfice de la stipulation contraire queréserve cet article. Par ailleurs, l'article précité ménage expressément le droitde recueil des journalistes, tel qu'il résulte de l'article L. 121-8 du CPI.
(29) Article L. 132-41 alinéa 1 du CPI.
(30) À cette définition extensive du titre de presse répond l'élargissement très contesté lors des travaux préparatoires de la loi des obligations pesantsur le journaliste aux termes de son contrat de travail. Ainsi, l'article L. 7111-5-1 du Code du travail, nouvellement introduit, précise que, sauf stipulationcontraire, « la collaboration entre une entreprise de presse et un journalisteprofessionnel porte sur l'ensemble des supports du titre de presse tel quedéfini au premier alinéa de l'article L. 132-35 du Code de la propriété intellectuelle».
(31) Article L. 132-35 alinéa 2 du CPI.
(32) Le « Blanc » sur l'organisation des droits d'auteur des journalistes professionnelsen matière de presse écrite, p. 4.
(33) Article L. 132-35 alinéa 3 du CPI.
(34) Voir, critiquant le recours à ces assimilations et dénonçant l'élargissementexcessif du périmètre de la cession qui en résulte, L. Drai, « La réforme dudroit d'auteur des journalistes par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 », CCE,septembre 2009, étude n° 18.
(35) Article L. 132-37 du CPI.
(36) Article L. 132-39 alinéa 1er du CPI. En cas de recours à cette faculté, cemême article impose d'identifier le journaliste à l'origine de l'oeuvre et, si l'accordle prévoit, le titre de presse à partir duquel la contribution est extraite.
(37) Article L. 132-40 du CPI. Bien entendu, ces réutilisations s'effectuentalors en contrepartie du versement d'une nouvelle rémunération complémentaire.Par ailleurs, s'il est précisé que l'accord exprès et préalable du journalistepeut s'exprimer par le biais d'un accord collectif, aucune indication n'estfournie quant aux modalités pratiques de mise en oeuvre de ce montage pourtantpeu commun. Il appartiendra aux destinataires de la loi de donner, sous lecontrôle des juges, effet utile à cette disposition.
(38) F. Pollaud-Dulian, « Propriétés intellectuelles et travail salarié », RTD com,avril-juin 2000, p. 296.
(39) Voir, sur ce point, F. Pollaud-Dulian, op.cit., p. 293.
(40) L'article L. 113-9 alinéa 1 du CPI dispose que « sauf dispositions statutairesou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leurdocumentation crées par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leursfonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeurqui est seul habilité à les exercer ».
(41) L'article L. 131-3-1 du CPI dispose, en effet, que « dans la mesure strictementnécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, ledroit d'exploitation d'une oeuvre créée par un agent de l'État dans l'exercicede ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédéde plein droit à l'État ».
(42) Pour mémoire, l'ancienne version de l'article L. 111-1 alinéa 3 du CPI prévoyaitque « L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage oude service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogationà la jouissance du droit reconnu par l'alinéa premier ».
(43) Voir supra n° 6 et s.
(44) Les présidents de la commission création salariée du Conseil supérieurde la propriété littéraire et artistique relevaient ainsi « en définitive, il a paruplus sage à la commission, plutôt que de mettre une rustine juridique, facilement,en un endroit et de laisser subsister les problèmes ailleurs, d'essayerd'envisager des solutions plus générales, applicables à toutes les situations »,P. Sirinelli et J-A. Bénazéraf, « La réforme du CPI explorée par le CSPLA au seinde la Commission auteur-salarié », Légicom 2003/1, p. 96. Ils avaient ainsirésisté à la tentation de proposer une réforme limitée au seul secteur de lapresse et souligné les mérites d'une réponse globale aux problèmes rencontrés.
(45) P. Lantz, « Presse écrite et droits d'auteur: quelles réformes? »,Légipresse n° 256, novembre 2008, p. 143. En outre, il convient d'envisagerla situation des auteurs de contributions écrites qui ne seraient pas des journalistesprofessionnels (pages débats, chroniques de personnalités étrangèresau secteur professionnel de la presse). La nouvelle loi ne leur est pas applicable,ce qui impose le recours à une cession en bonne et due forme.
(46) Voir, sur cette proposition, P. Lantz, op.cit., p. 144.
(47) Voir, sur l'exigence d'une ratification individuelle, supra n° 7.
(48) Pour un exposé des motifs militant, du point de vue des représentants deséditeurs, contre la possibilité d'apports des droits d'auteur des journalistes àdes sociétés de gestion collective, voir R. Hadas-Lebel, Rapport au ministrede la Culture et de la Communication relatif à la mise en oeuvre du droit d'auteurdes salariés de droit privé, décembre 2002.48.. Voir, s'intéressant à la représentation syndicale des créateurs et auxrecoupements de compétences entre les deux types de représentation collective,F. Pollaud-Dulian, « Propriétés intellectuelles et travail salarié », RTD com,avril-juin 2000, p. 280.
(50) Au titre des modalités de la rémunération, les parties devront s'entendresur la délicate question de la rémunération des salariés ayant quitté l'entreprisede presse, mais dont les contributions seraient encore exploitées. Lagestion collective pourrait, à cet égard, s'avérer d'une grande utilité. Par ailleurs,il convient de rappeler que l'article L. 132-6 alinéa 3 du CPI permet derecourir à une rémunération forfaitaire des journalistes.
(51) En cas de recours à cette faculté, nullement obligatoire pour les parties,les parties doivent également s'entendre sur le montant de la nouvelle rémunérationcomplémentaire due, en contrepartie, aux auteurs journalistes. Sur ladéfinition de la famille cohérente de presse, voir C. Alleaume, « Droit d'auteurdes journalistes : la révolution en marche », Légipresse n° 265, octobre 2009,p. 126.
(52) Sur les modalités de rémunération adoptées avant l'entrée en vigueur dela loi nouvelle, voir supra n° 5.
(53) Pour un exemple d'articulation entre un accord collectif et une chartedéontologique, consulter l'accord sur le droit d'auteur des journalistes signéentre la Société EMAP France et les syndicats représentant les journalistes dela société EMAP France, Légipresse n° 176, novembre 2000, p. 114.
(54) Voir, soulignant le fait qu'il est impossible de contraindre un journalistesalarié « à laisser paraître sous son nom une oeuvre à laquelle il n'adhère pastotalement, un article qui ne soit pas parfaitement le reflet de sa personnalité», J.-M. Leloup, Le journal, les journalistes et le droit d'auteur, Librairiestechniques, 1962, n° 178. Cet auteur reprend l'apostrophe suivante, attribuéeà une personnalité anonyme de la presse: « Si vous devez couper une lignede mon texte, que ce soit d'abord la signature », ibid., n° 178.
(55) Voir, à titre d'illustration, l'article 3 de l'accord sur les droits d'auteur desjournalistes signé entre la direction du Figaro, la SA du Figaro, d'une part, etle SNJ d'autre part, Légipresse n° 174, septembre 2000, p. 89, ou encore l'articlepremier de l'accord sur les droits d'auteur des journalistes signé entre laSARL Libération, d'une part, et la CGT, le SUD et le SNJ, d'autre part,Légipresse n° 182, juin 2001, p. 46.
(56) Article L. 132-44 alinéa 1 du CPI.
(57) En effet, la loi du 12 juin 2009 prévoit, au titre de ses dispositions transitoires,que « durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, lesaccords relatifs à l'exploitation sur différents supports des oeuvres des journalistessignés avant l'entrée en vigueur de la présente loi continuent de s'appliquerjusqu'à leur date d'échéance, sauf cas de dénonciation par l'une des parties».
(58) Article L. 132-44 alinéa 3 du CPI.
(59) Les décisions sont rendues à la majorité des membres présents, le présidentayant voix prépondérante en cas de partage des voix.
(60) Le président de la commission dispose de la possibilité de demander uneseconde délibération.
(61) L'article L. 132-44 alinéa 5 du CPI renvoie ainsi aux « accords existantspertinents au regard de la forme de presse considérée ».