Considéré par la Cour européenne des droits de l'homme comme « la pierre angulaire de la liberté de la presse », le principe du secret des sources des journalistes est désormais inscrit dans la loi de 1881. Attendue de longue date, la loi du 4 janvier 2010 offre de nouvelles garanties aux journalistes, particulièrement en matière de perquisitions et de saisies. Pourtant, cette consécration peut sembler contrebalancée par certaines imprécisions et lacunes, touchant notamment aux limites posées au principe, ainsi qu'aux témoignages des journalistes.
LA LOI N° 2010-1 DU 4 JANVIER 2010 (1) RELATIVE À LA protection du secret des sources des journalistes est une loi attendue de longue date tant par les journalistes et les éditeurs de presse que par les praticiens du droit. Le texte devait s'inscrire dans le prolongement de la volonté du président de la République, selon qui « un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources, chacun doit le comprendre, chacun doit l'accepter » (2).Cette volonté de légiférer fut en réalité ...
Alexis GUEDJ
Avocat au Barreau de Paris, docteur en Droit, chargé d'enseignements ...
(2) V. LP n° 268, IV, Textes et documents, et Fricero (N.), « Sources journalistiques: un secret bien gardé ! », Gaz. Pal. 20 janvier 2010, p.15; Chavagnon(A.), « La protection du secret des sources des journalistes : la décevante loin°2010-1 du 4 janvier 2010», Dalloz 2010, p.275.
(3) Le Monde, « Le projet de loi sur la protection des sources des journalistesprovoque un débat », Laurence Girard, 5 avril 2008.
(4) V. pour une analyse de la jurisprudence européenne, A. Guedj, Traité dedroit de la presse et des médias, Ed. Litec, novembre 2009, Ouvrage collectif,sous la direction des professeurs Emmanuel Dreyer et Bernard Beignier;« Libertés et responsabilités des journalistes et Convention européenne desdroits de l'homme », pp. 137-207, spéc. pp. 158-166; « Le secret des sourcesdes journalistes » AJ Pénal, n° 4/2009, pp. 163-165, numéro spécial « Lesecret professionnel : quelles évolutions? »; Lyn François, « Protection dessources journalistiques : regards critiques sur la nouvelle approche de la jurisprudenceeuropéenne », CCE n° 2, février 2009, étude 3; A. Guedj, « Le projetde loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes », Dalloz,n° 19; mai 2008, Études et commentaires; « Le juge européen: gardien de ladéontologie des journalistes », LP, III, mars 2008; « Recel de secrets:condamnation de la France par la Cour EDH », LP, III, septembre 2007;« Saisies, écoutes téléphoniques et protection du secret des sources desjournalistes », Dalloz, J, mai 2007 ; « Déontologie des médias et responsabilitésociale des journalistes »; LP, III, juillet 2006; « La protection du secret dessources journalistiques : une lecture du droit positif français à l'aune de la loiPerben II », LP, II ; mai 2004; Liberté et responsabilité du journaliste dans l'ordrejuridique européen et international. Ed. Bruylant, février 2003, 459 pages,spéc. pp. 141-186; La protection du secret des sources journalistiques, Ed.Bruylant, 1998, 256 pages.
(5) Cour EDH, 15 décembre 2009, Financial Times LTD and others c. Royaume-Uni. L'arrêt est à lire dans le prolongement des arrêts Goodwin (1996) etVoskuil (2007) portant sur les injonctions judiciaires faites aux journalistes derévéler leurs sources d'information. En l'espèce il était reproché aux quatrejournaux mis en cause « d'avoir délibérément divulgué un mélange explosifd'informations confidentielles et fausses, portant ainsi gravement atteinte àl'intégrité du marché des actions » et il était mis en avant « qu'un besoin impérieuxcommandait la communication des documents dans l'intérêt de la justiceet de la prévention du crime ». La Cour européenne concluant à une violationde l'article 10 de la Convention EDH réaffirmera toute l'importance du principede la protection du secret des sources des journalistes en soulignant notammentque « la participation des journalistes à l'identification des sources anonymesà un effet inhibiteur »; §§ 64-73. Cet effet « inhibiteur » allant notammentcontre la volonté du Comité du ministres du Conseil de l'Europe de protégeret promouvoir le journalisme d'investigation ; v. Comité des ministres,26 septembre 2007, Déclaration « sur la protection et la promotion du journalismed'investigation ».
(6) Recommandation n° R (2000) 7 du 8 mars 2000.
(7) Pas plus d'ailleurs que l'article 19 du Pacte international relatif aux droitscivils et politiques. V. sur ce développement, A. Guedj, Liberté et responsabilitédu journaliste dans l'ordre juridique européen et international. Ed. Bruylant,février 2003, 459 pages
(8) « L'imprimerie et la librairie sont libres ».
(9) V. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, Litec, 2e édition,sept. 2008, 555 pages.
(10) Notamment, Cour EDH, Sunday Times et Observer and Guardian,26 novembre 1991, n° 216 et 217.
(11) Cour EDH, Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, Cour plénière, §. 42.
(12) Où s'inscrit la question du droit au secret des sources des journalistes.
(13) Sur ce point, notre analyse in Liberté et responsabilité du journaliste dansl'ordre juridique européen et international. Préc. spéc. pp. 38 à 100.
(14) Nous ne sommes pas persuadés que le législateur se soit rendu comptedes implications de l'inscription dans la loi sur la presse d'une liberté si importanteen en rendant créancier les journalistes. Sur ce point, voir la tribune deBasile Ader, « Quand le journaliste s'invite dans les lois sur la presse et le droitd'auteur », cahier I, p. 19.
(15) « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale,régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieursentreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agencesde presse et qui en tire le principal de ses ressources ».
(16) Sauf à considérer que le texte de loi précise ensuite, de manière toujoursaussi imprécise qu'« au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte,pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, del'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention decette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sontindispensables à la manifestation de la vérité ».
(17) ne laissant pas aux journalistes le pouvoir régler leur conduite, au titred'un droit à la sécurité juridique dont la prééminence s'impose dans un état dedroit. V. CEDH, Marcks c/Belgique, 13 juin 1979. Dans cet arrêt de principe, laCour relève que le principe de sécurité juridique est inhérent au droit de laConvention européenne et constitue « l'un des éléments fondamentaux » del'Etat de droit.
(18) V. les arrêts Goodwin (préc.), Voskuil (préc.) et Financial Times (préc.).Également, Comité des ministres, Recommandation R (2000) 7 du 8 mars2000 (préc.), Principe 3 b.
(19) Comité des ministres, Recommandation R (2000) 7 du 8 mars 2000(préc.). On notera que la teneur de ce principe a trouvé un écho favorable ausein de la chambre d'appel du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie(TPIY) le 11 décembre 2002 dans l'affaire Randal. Le tribunal jugeant qu'uneinjonction de comparaître et de témoigner ne peut être délivrée à un journalisteque si la partie requérante démontre que le témoignage à un intérêt direct,est d'une particulière importance et prouve que ce témoignage ne peut êtreraisonnablement obtenu d'une autre source. V. E. Derieux, JCP 2003, II,10043; également, X. Tracol, LP n° 198, II, pp. 7-11.
(20) V. article 4 de la loi du 4 janvier 2010.
(21) V. A. Guedj, « La protection du secret des sources journalistiques : unelecture du droit positif français à l'aune de la loi Perben II », préc. pp. 54-56.
(22) L'article 205 du Code de procédure civile indique que chacun peut êtreentendu comme témoin « à l'exception des personnes frappées d'une incapacitéde témoigner en justice » dont ne font pas partie les journalistes. On rappelleraque le juge civil à qui fut posée cette problématique a tranché en faveurd'une application du principe du droit à la protection du secret des sources desjournalistes à l'appui de l'article 10 de la Convention européenne des droits del'homme. V. not. TGI Paris, 1re ch., 1re section, 25 juin 1997, LP n° 146-III, noteC. Bigot; TGI Paris, 1re ch., 1re section, 22 octobre 1997, LP n° 150-III, 58,note E. Derieux. « Secrets des sources d'information, propos en marge desaffaires L'AGEFI et Le Figaro », note E. Derieux, LP n° 168, II, p. 12 et s.
(23) A. Guedj, « La protection du secret des sources journalistiques : une lecturedu droit positif français à l'aune de la loi Perben II », préc. pp. 54.
(24) À ce titre, les atteintes au droit au secret des sources des journalistestrouvent de nombreuses illustrations relayées par des ONG de défense de laliberté de la presse, comme par certains syndicats de journalistes. Par ex.« Nouvelle atteinte à la protection des sources dans l'Hérault » relatant l'auditiondes journalistes de France 3 Sud et de Midi Libre dans les locaux de lapolice à la demande du Parquet en vue d'identification de leurs sources d'information;Communiqué du SNJ du 23 novembre 2009; « Protection des sources,la loi scandaleusement bafouée », où des journalistes ont été auditionnésde longues heures dans le cadre de l'affaire Treiber, après l'adoption de la loidu 4 janvier 2010; SNJ, Communiqué du 8 janvier 2010.
(25) A. Guedj, La protection du secret des sources journalistiques, Ed.Bruylant, préc. pp. 92-102, et 236-250.
(26) La seule exception au principe étant posée par l'article 4 de la loi belgequi dispose que les bénéficiaires du droit à la protection du secret des sources« ne peuvent être tenues de livrer les sources d'information ( ) qu'à larequête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractionconstituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurspersonne ( ) et si les conditions suivantes sont remplies : 1) les informationsdemandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commissionde ces infractions; 2) les informations demandées ne peuvent être obtenuesd'aucune autre manière ». V. F. Jongen, « La Belgique, modèle de protectionpour le secret des sources? »; LP n° 222, II, pp. 71 -73.
(27) Articles 60-1; 77-1-1 et 99-3 du Code de procédure pénale. V. A. Guedj,« La protection du secret des sources journalistiques: une lecture du droitpositif français à l'aune de la loi Perben II », préc. pp. 56-57.
(28) Nous rappellerons ici toute l'imprécision que constituaient ces nouvellesdispositions en envisageant que les personnes visées à l'article 56-2 du Codede procédure pénale pourraient se dispenser de répondre favorablement à laréquisition alors que cet article dispose « les perquisitions menées dans leslocaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle ( ) nedoivent pas porter atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ».La question se posait alors de savoir qui étaient les personnes visées par lelégislateur. V. « La protection du secret des sources journalistiques : une lecturedu droit positif français à l'aune de la loi Perben II », préc. p. 56
(29) Article 5 de la loi du 4 janvier 2010.
(30) C'est sur ce même schéma qu'ont été envisagées les restrictions quipourront être posées aux écoutes téléphoniques qui continuent de pouvoirêtre pratiquées selon le droit commun (cf. articles 100 et s. du Code de procédurepénale) à l'encontre des journalistes.
(31) Tillack c. Belgique, préc., § 56.
(32) Roemen et Schmit, § 57 et Ernst c. Belgique, § 103.
(33) A. Guedj, « Le juge européen: gardien de la déontologie des journalistes?», commentaire sous l'arrêt Tillack c. Belgique, LP n° 249, préc. pp. 33-37.
(34) Tillack c. Belgique, préc., § 15.
(35) Ibid., § 63 et 64.
(36) Roemen et Schmit c. Luxembourg, §§ 47 et 52 et Ernst c. Belgique,§ 100.
(37) Cf. Recommandation R (2000) 7 adoptée par le Comité des ministres duConseil de l'Europe, où les voeux des États contractants portent sur l'adoptiond'un système où « les décisions ou mesures de saisie concernant le domicileou le lieu de travail, les effets personnels ou la correspondance des journalistesou de leurs employeurs, ou des données personnelles ayant un lien avecleurs activités professionnelles, ne devraient pas être appliquées si ellesvisent à contourner le droit des journalistes ( ) à ne pas divulguer des informationsidentifiant leurs sources » (Principe n° 6 de la Recommandation du8 mars 2000; Légipresse n° 170, IV, obs. E. Derieux.)
(38) Cf. A. Guedj., « Saisies, écoutes téléphoniques et protection du secretdes sources des journalistes », Dalloz, J, mai 2007.
(39) 7e devoir de la Déclaration de Munich adoptée en 1971 et adoptée en1972 par la Fédération internationale des journalistes.
(40) qui sont pourtant rendus au regard de faits d'espèce permettant l'applicationdesdits principes, ce que le législateur a choisi d'ignorer.
(41) Crim. 11 juin 2002, BC n° 132, JCP 2003, II, 10061, note E. Dreyer; Crim.11 février 2003, BC n° 29, D. 2004, Somm. 317, obs. de Lamy.
(42) Par exemple, A. Guedj, Traité de droit de la presse et des médias, Ed.Litec, précité, « Libertés et responsabilités des journalistes et Conventioneuropéenne des droits de l'homme »; « Recel de secrets: condamnation de laFrance par la Cour EDH », LP, III, septembre 2007; « Saisies, écoutes téléphoniqueset protection du secret des sources des journalistes », Dalloz, J,mai 2007 ;
(43) A. Guedj, « Recel de secrets: condamnation de la France par la CourEDH », LP, III, préc. « Saisies, écoutes téléphoniques et protection du secretdes sources des journalistes », Dalloz, J, mai 2007 préc. Contra, v. LynFrançois, « Protection des sources journalistiques: regards critiques sur lanouvelle approche de la jurisprudence européenne », CCE, février 2009, préc.
(44) V. F. Jongen, « La Belgique, modèle de protection pour le secret des sources?»; LP n° 222, II, préc ; p. 73.
(45) V. sur ce point, les travaux menés en faveur de la création d'un conseil depresse en France, par l'Association de préfiguration d'un conseil de presse(APCP) dont le président est M. Yves Agnès; http://apcp.unblog.fr/