L'arrêt Île de la tentation rendu par la Cour de cassation le 3 juin dernier a certes clarifié la nature des relations unissant les participants de l'émission de téléréalité à son producteur. Mais, au-delà de son effet immédiat en droit social, cette jurisprudence a un impact indéniable sur le droit administratif des médias, en ce qu'elle impose une clarification des rapports entre la notion d'oeuvre audiovisuelle et les programmes de téléréalité ainsi qu'une révision de la régulation de ces programmes par le CSA.
LES DIVERSES SAISONS DE L'ÎLE DE LA TENTATION, programme dit de téléréalité, sont à l'origine, depuis quelques années, d'un contentieux important devant les juridictions prud'homales (1). Au regard des incertitudes jurisprudentielles qu'il génère, il était devenu urgent de disposer d'une solution de la Haute assemblée judiciaire. C'est dans ce contexte que la chambre sociale de la Cour de cassation a, le 3 juin 2009, rendu un arrêt qui reconnaît pour la première fois à ...
Laurence CALANDRI
Maître de conférences en droit public, Université de Toulouse, Membre de ...
(2) Voir not. CPH Paris, 30 novembre 2005, D. 2006, IR, 1128; CPH Paris, 3 mars2006, Juris-Data n° 2006-296097; CPH Saint-Étienne, 22 décembre 2008,R. Reboul c. Société Glem, JCP S n° 5, 27 janv. 2009, act. 41, P.-Y. Verkindt;Sem. soc. Lamy 12 janv. 2009, p. 8, J. Berthélémy; LP n° 259 mars 2009, III,35, D. Poracchia, A. Bugada; JCP G 13 mai 2009, n° 20, I, 144, n° 6, L. Calandri.
(3) Cass. soc., 3 juin 2009, arrêt n° 1159; JCP S 2009, act. 305, P.-Y. Verkindt;JCP éd. G. 2009, n° 25, p. 4 et p. 35.
(4) D. Roux, J.-P. Teysier, Les enjeux de la téléréalité, Economica, 2003, p. 57.
(5) CPH Paris, 30 novembre 2005, D. 2006, IR, 1128.
(6) Juris-Data n° 2008-355147, n° 2008-355148, n° 2008-355149; v. not. LP2008, III, 75, D. Chenu; Sem. soc. Lamy 2008, n° 1382, J. Barthélémy;P. Morvant, « Le contrat de téléréalité. À propos des arrêts Île de la tentation »,Sem. Soc. Lamy 2008, n° 1357; JCP G 2008, I, 141, n° 4 et n° 11, L. Calandri;JCP S 2008, act. 142; GP 12 juin 2008, n° 164, p. 4.
(7) V. not. A. Mazeaud, « La jurisprudence sociale créatrice de droit: regard surla chambre sociale de la Cour de cassation », Études offertes à J. Pélissier,Dalloz, 2008, p. 383.
(8) Cf. not. Cass. ass. plén., 4 mars 1983, D. 1983 Jur. 381 concl. Cabannes;v. aussi Cass. Soc. 19 décembre 2000, Dr. Soc. 2001, p. 227, noteA. Jeammaud; Cass. soc., 15 janvier 2001, Dr. Soc. 2001, p. 227; Cass. soc.17 décembre 2002, Dr. Soc. 2003, p. 334, obs J. Mouly.
(9) Cf. not. Lamy droit des médias et de la communication, 2009, n° 103et 106.
(10) Code de la communication, Dalloz, 4e éd., 2009, p. 369 et s.
(11) On évalue à 600 personnes, le nombre de participants en France à uneémission de téléréalité, toutes chaînes et programmes confondus.
(12) Cf. not. E. Mauboussin, « Obligations des télévisons relatives aux oeuvresaudiovisuelles et cinématographiques », J-Cl. Communication, Fasc. 4121,n° 21-47; D. Dupuy-Buisson, « Les imprécisions de l'oeuvre audiovisuelle »,JCP G 2004, I, 144.
(13) V. not. CSA, Quinze ans d'application de l'oeuvre audiovisuelle, 1990-2005, décembre 2006, Document 1, ainsi que la liste annuelle des oeuvresaudiovisuelles accessible sur le site internet de l'organisme, www.csa.fr.
(14) V. not. pour l'émission de jeu « Tapis vert », qui, en dépit d'éléments de scénarisationajoutés par le producteur, ne faisait que présenter les résultats d'un jeude La Française des jeux, cf. CE, Sect., 10 juillet 1995, Société TF1, AJDA 1995,p. 637, concl. H. Toutée; voir aussi pour l'émission de variété « Graine de stars »,cf. CE, 7 juin 1999, Société M6, req. n° 193438, Rec. TP. 1005.
(15) Cf. not. L. Rapp, in D. Roux, J.P. Teyssier, Les enjeux de la télé réalité, op.cit., p. 41 et s.
(16) Décision du CSA du 15 novembre 2001, communiqué n° 467.
(17) Conseil d'État, 30 juillet 2003, Sociétés des auteurs et compositeurs dramatiqueset autres, req. n° 241520, Rec., p. 369, AJDA 2003, p. 1876, note J.-M. Pontier, Gaz. Pal., 6 mars 2004, n° 66, p. 48, note L. Franceschini, JCP éd. G2003, chron. I, 178, n° 8, note S. Regourd.
(18) Légipresse n° 205 octobre 2003, III, p. 141.
(19) CSA, « Définition de l'oeuvre audiovisuelle: bilan de la concertation publique», La Lettre du CSA 2002, n° 154; v. aussi D. Kessler, directeur général duCNC, « L'oeuvre audiovisuelle », Rapport à Mme la ministre de la Culture et de laCommunication, mars 2002.
(20) V. not. C.-M. Simoni, « Téléréalité et classification juridique des émissions detélévision », « Mutations des industries de culture, de l'information et de la communication», sept. 2006, Observatoire mondial des mutations des industries culturelles,www.observatoire-omic.org.
(21) Sur la période du 10 octobre 2005 au 13 mars 2006, cf. CSA, Quinze ansd'application de l'oeuvre audiovisuelle, 1990-2005, op. cit., spéc. Documents 2 et3, « Synthèse et analyse des auditions sur la définition de l'oeuvre audiovisuelle ».
(22) V. par exemple la qualification d'« oeuvre audiovisuelle » attribuée ensuite parle CSA aux émissions qui suivent un individu dans sa vie personnelle pour le relooker- Nouveau look pour une nouvelle vie (M6)-, lui donner des conseils sur sa viefamiliale - Super Nanny (M6)-, ou organiser sa maison C'est du propre! (M6),CSA, Quinze ans d'application de l'oeuvre audiovisuelle, 1990-2005, Document 1,op. cit., p. 5.
(23) Déc. n° 87-361, 31 décembre 1987, JO 13 janvier 1988.
(24) CE, 16 novembre 1990, SA « La Cinq », Ajda 1991, p. 214, Rec. p. 329.
(25) Cf. D. Chenu, LP n° 251 mai 2008, III, p. 75, spéc. p. 79.
(26) Sur l'importance du pouvoir de « donner des ordres et des directives,d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné», selon la définition de la subordination notamment énoncée par l'arrêtSociété générale, cf. Cass. soc., 13 novembre 1996, Dr. soc. 1996, p. 1067,note J.-P. Dupeyroux; JCP 1997 éd. E, II, 911, note J. Barthélémy.
(27) Cela avait été mis en évidence tant par des spécialistes de droit du travail(cf. not. D. Cohen, L. Gamet, « Loft story: le jeu travail », Dr. Soc. 2001, p. 791)que par des experts en science de l'information et de la communication (cf. not.F. Jost, L'empire du Loft, Paris, La dispute éd., 2002; du même auteur,Téléréalité, Le Cavalier Bleu éd., coll. Mytho, 2009) ou des philosophes (cf. not.D. Le Guay, L'empire de la téléréalité ou comment accroître le « temps de cerveauhumain disponible », Presses de la Renaissance, 2005, spéc. p. 21 et s.).
(28) V. not. CE, 26 juillet 1991, Sté La Cinq, Rec. p. 298; CE, 15 novembre2002, SA Globe trotter, Rec. p. 401, AJDA 2003, p. 190, J.-M. Pontier.
(29) Cf. not. L. Franceschini, in D. Roux, J-P Teysier, Les enjeux de la téléréalité,op. cit., pp. 47-49.
(30) S. Regourd, note sous CE, 30 juillet 2003, Sociétés des auteurs et compositeursdramatiques et autres, op. cit., n° 8.
(31) Cf. not. E. Derieux, Dictionnaire de droit des médias, Guide Légipresse,Victoires éd., 2004, p. 235.
(32) JO 3 février 1995, p. 1875.
(33) V. not. D. De Bellescize, L. Franceschini, Droit de la communication, PUF,Thémis droit, 2005, p. 212 et s.
(34) TA de Paris du 11 mars 2004, Sacd et autres, LP, n° 203, juill-août 2004,p. 124, note J.-M. Pontier; confirmé par CAA Paris, le 18 mai 2006, Sté ALPc. SACD et autres, req. n° 04PA01782. Décisions annulant la décision du13 décembre 2001 du CNC classant l'émission Popstars dans le genre « documentairede création », lequel fait partie des « oeuvres audiovisuelles » aidéespar le COSIP.
(35) Code de la propriété intellectuelle, Dalloz, 8e éd., 2008, p. 27 et s.
(36) Cf. not. J.-C. Galloux, « OEuvres audiovisuelles », J-Cl. Pla, Fasc. 1140,spéc. n° 15 et s.; Sirinelli, « Les oeuvres audiovisuelles », Lamy droit des médiaset de la communication, Étude 130, spéc. 130-7; D. Bougerol, La notion d'oeuvreaudiovisuelle, thèse dact., Poitiers, 2006, spéc. p. 28 et s.; J. Hugon, Lerégime juridique de l'oeuvre audiovisuelle, Litec, 1993.
(37) V. not. Paris, 16 janvier 1994, JCP 1995 II 22375; Paris, 17 janvier 1995,RIDA juill. 1995, p. 332; Civ. 1ère, 26 janvier 1994, D.1994, IR, 55, RIDA, oct.1994, p. 433.
(38) Les participants de L'île de la tentation ne bénéficient pas de la présomptionde salariat reconnue au profit des artistes du spectacle (ex-art. L. 762-1C. trav., devenu art. L. 7. 121-3 C. trav), ni de la convention collective des artistes-interprètes engagés dans les émissions de télévision, ni enfin du statut d'artistesde complément, faute pour ces derniers d'interpréter un rôle. Toutefois,tirant les conséquence de l'arrêt du 3 juin 209, Endemol France a décidé, pourcontinuer à diffuser L'île de la tentation sur une chaîne de la TNT, de conclureavec les candidat(e) s un contrat d'intermittent du spectacle.
(39) V. not. J.-C. Galloux, « OEuvres audiovisuelles », op. cit., n° 31; v; aussiX.D., LPA 27 septembre 2004, n° 193, p. 13.
(40) Cf. par ex. le jeu télévisé Divertissimo considéré comme une « oeuvreLP267-02-1-chron 8/12/09 17:04 Page 156audiovisuelle » au sens de l'article L. 112-2, 6° du Code de la propriété intellectuellecar constitué d'un assemblage original d'éléments, connus en euxmêmes,révélant l'activité créatrice de ses auteurs, CA Paris, 27 mars 1998,D. 1999, 417, note Edelman.
(41) V. not. D. Le Guay, L'empire de la télé réalité, op. cit., p. 42 et s., p. 187,et pp. 213-214.
(42) Relèvent de cette catégorie, qui combine enfermement et filmage encontinu, les programmes télévisés tels que Loft story, Les colocataires, Laferme célébrités ou Secret story.
(43) Il en est ainsi, par exemple, de L'amour est dans le pré, Super Nanny,Pékin express, Koh Lanta ou encore Génération mannequin.
(44) Concernant notamment le temps de travail: par exemple, la durée du tournagene devrait pas dépasser la durée de travail maximale légalement autoriséequotidienne soit dix heures de travail effectif par jour (art. L. 3121-43 duCode du travail) et hebdomadaire, établie selon un double plafond soit unedurée de 48 heures par semaine, heures supplémentaires comprises, et unedurée moyenne hebdomadaire de 44 heures calculées sur 12 semainesconsécutives (art. L.3121-36 du C. trav.). D'autres exigences relatives autemps de travail auront un impact sur les programmes de « télé réalité » V. not.le respect de la réglementation relative au travail de nuit, au temps de repos,et au repos hebdomadaire cf. art. L. 3132-2 et s. C. trav. reconnaissant undroit au repos de 35 heures consécutives par semaine, aux jours fériés et chômésetc.; sur le temps de repos, cf. not. A. Mazeaud, Droit du travail,Montchrestien, Domat droit privé, 6e éd., 2008, p. 601 et s.
(45) C'est la raison pour laquelle, pour la première fois cette année, il n'y a paseu de commercialisation sur internet de la chaîne de télévision 22 heures sur24 du programme Secret Story -3 diffusé sur TF1.
(46) Cf. CC, déc. n° 86-217 DC du 18 septembre 1986: « ( ) Les téléspectateurs( ) sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclaméepar l'article 11 de la Déclaration de 1789 ( ) ».
(47) Sur ce pouvoir, v. not. D. Truchet, « Communication audiovisuelle », J.-Cl.Administratif, Fasc. 273-10, n° 78; E. Saulnier-Cassia, « La protection de lajeunesse: limite à la liberté d'expression? », RDP 2006 p. 401, spéc. p. 413 ets. ; K. Favro, « La doctrine du CSA en faveur de la protection de l'enfance etde l'adolescence », Legicom n° 37 2007/1 p. 43; P. Marcangelo-Leos, « Lesnouvelles formes de censure », Legicom n° 37 2007/1 p. 91.
(48) Par exemple, « Secret story 3 » programme diffusé sur TF1 durantl'été 2009 a totalisé plus de 40 % de parts de marché sur les ménagères demoins de cinquante ans, près de 60 % sur les 15-24 ans et 52 % sur les 15-34 ans
(49) V. not. la recommandation n° 92-02 du 24 mars 1992 relative à l'utilisationd'images d'archives dans les émissions d'information, les magazines etles autres émissions du programme, JO 4 avril 1992, p. 5069; la recommandationn° 92-03 du 24 avril 1992 relative aux émission dite de télé-vérité oula reconstitution de faits vécus, JO 29 avril 1992 p. 5996.
(50) Cf. not. la recommandation aux éditeurs de services de télévisionsconcernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes du7 juin 2005, JO 8 juillet 2005, LP n°218 janv.-fév. 2005, IV, p. 19; la recommandationn° 2005-8 du 20 décembre 2005 concernant la retransmission decertains types de combats, JO n° 8 du 8 janvier 2006 Texte n° 26; la recommandationn° 2006-5 du 7 juin 2006 relative à des messages publicitaires enfaveur des services SMS susceptibles d'exploiter l'inexpérience ou la crédulitédes mineurs, JO n° 11 du 1er juillet 2006 Texte n° 91; la recommandationn° 2006-4 du 7 juin 2006 relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusiond'oeuvres d'animation et de fiction à destination des mineurs, JO n°151du 1er juillet 2006 Texte n° 90, www.csa.fr.
(51) La « mise en garde » du CSA a été suivie dans tous ses termes par TF1.
(52) Le processus de remplacement de la diffusion hertzienne analogique parla télévision numérique terrestre (TNT) se terminera le 30 novembre 2011. Ilest piloté par le GIP France Télé numérique (sur cet organisme v. not. JCP éd.G 2008, 141, n° 1, L. Calandri).
(53) De multiples émissions de téléréalité sont diffusées sur la TNT (NRJ 12,Virgin 17 etc.) dans leur adaptation française (X-Factor, Next, etc.), ou dansleur version américaine (Super nanny, Les maçons du coeur, etc.).
(54) Il s'agit de Virgin 17. À cette fin, un groupe de travail a été mis en placepar société Endemol France, productrice de l'émission, afin d'élaborer une« charte éthique » à l'usage des participants et des professionnels concernés.