La loi HADOPI du 12 juin 2009 a procédé à une véritable révolution en matière de droit d'auteur des journalistes en instituant une cession automatique des droits des journalistes au profit de l'éditeur. Celle-ci permet à l'entreprise de presse de réexploiter les oeuvres des journalistes dans le même titre de presse, quel qu'en soit le support et ce, sans rémunération complémentaire. Ces droits d'exploitation ne sont cependant pas aussi étendus lorsqu'il y a exploitation ou ré-exploitation dans un autre titre de presse de la même société au sein d'une famille cohérente de presse. Le nouveau dispositif mis en place renvoie toutefois sur de nombreux points à la négociation collective.
1. L'exploitation et la ré-exploitation des oeuvres des journalistes par les entreprises de presse suscitent un abondant contentieux depuis une vingtaine d'années. Deux intérêts s'opposent. D'un côté, en leur qualité d'auteurs des écrits ou des photographies publiés dans la presse, les journalistes réclament l'application stricte des règles du Code de la propriété intellectuelle (CPI), à savoir, que toute ré-exploitation (1) de leurs oeuvres soit soumise à leur autorisation ...
Christophe Alleaume
Professeur à l’Université de Caen Basse-Normandie, Directeur de l’Institut ...
(2) La première publication est autorisée par le contrat de travail. Si la règlen'était pas formulée expressément, elle résultait logiquement de la rédactionde l'article L.121-8 (ancien) du CPI : « pour toutes les oeuvres publiées ( )dans un journal ou un recueil périodique, l'auteur conserve, sauf stipulationcontraire, le droit de les faires reproduire et de les exploiter » (a contrario lejournaliste ne peut pas s'opposer à la publication de ses articles dans le titrede presse qui l'emploie). Plus clair, l'article L.761-9 (ancien) du Code du travailconditionnait le droit de l'employeur de faire paraître les articles de presse« dans plus d'un journal périodique » à la conclusion d'une conventionexpresse d'où l'on pouvait déduire que, sans convention expresse, il avaitquand même le droit de les publier une fois. V. Vivant (M.) Bruguière (J.-M.),Droit d'auteur, précis Dalloz, 2009, n° 265. GAUTIER (P.-Y.), Propriété littéraireet artistique, PUF, collection droit fondamental, 2007, 6e éd., n° 252 etsuiv. Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), Traité de la propriété littéraire et artistique,Litec, 2006, 3e éd., n° 162 et suiv.
(3) Vivant (M.) Bruguière (J.-M.), ibid. et n° 266.
(4) Vivant (M.) Bruguière (J.-M.), op. cit., remarquent que la cession implicitedes droits d'auteur des salariés à l'employeur « dans toute la mesure desbesoins de l'entreprise », avait été admise sans aucune difficulté avant la loidu 11 mars 1957.
(5) Drai (L.), « La réforme du droit d'auteur des journalistes par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 », Comm. Comm. électr., sept. 2009, Et. 18, p. 8.
(6) Paris 17 mai 1969: D. 1969, p. 702, note J. F.-P. Colmar 11 février 1987 :Juris-Data n° 1987-048071. Paris 5 octobre 1989: Juris-Data n° 1989-025280.
(7) Cass., civ. 1re, 23 janvier 2001, Le Berry Républicain, note Caron (C.),Comm. Comm. électr., mai 2001, comm. n° 44, 1re décision.
(8) CJCE, 28 oct. 1997 : D. 1998, p. 597, note Edelman (B.).
(9) Sur laquelle : Gautier (P.-Y.), op. cit., n° 252 et suiv. ; Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), op. cit., spéc. n° 163.
(10) Monsieur Caron qualifia la solution de « classique: la nouvelle publicationdoit être autorisée par le journaliste qui peut prétendre à une rémunération (...)En effet, l'article L. 121-8 du Code de la propriété intellectuelle précise bienque pour toutes les oeuvres publiées ainsi dans un journal ou recueil périodique,l'auteur conserve, sauf stipulation contraire, le droit de les faire reproduireet de les exploiter, sous quelque forme que ce soit (...). Quant à l'articleL. 761-9 du Code du travail, il ne fait que confirmer la solution du Code de lapropriété intellectuelle »: ibid.
(11) Cass., civ. 1re, 6 mars 2001, SNEP, Comm. Comm. électr., mai 2001, noteCARON (C.), comm. n° 44, 2nde décision: la Cour de cassation décide que l'autorisationdonnée par un groupe d'artistes-interprètes pour l'enregistrementd'un phonogramme ne valait pas pour la réalisation d'une vidéomusique. Cefaisant, elle approuve une cour d'appel d'avoir « justement énoncé qu'en vertude l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle, et malgré le renvoifait aux articles L. 762-1 et L. 762-2 du Code du travail, l'existence d'un contratde travail n'emportant pas dérogation à la jouissance des droits de propriétéintellectuelle, l'autorisation de l'artiste interprète était exigée pour chaque utilisationde sa prestation ».
(12) Anc. art. L.761-9, nouvel art. 7113-2.
(13) M. Caron s'interrogeait : « qu'en serait-il si la seconde publication concernait,non plus un autre organe de presse, mais le même journal qui décide depublier une seconde fois l'article? »: ibid.
(14) Cass., civ. 1ère, 12 juin 2001, Rillon : Légipresse, octobre, n° 185, III,p. 155, note Alleaume (C.) : « l'existence d'un contrat de travail n'emporteaucune dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l'auteuret qu'à défaut de convention expresse, conclue dans les conditions de laloi, l'auteur ne transmet pas à son employeur, du seul fait de la première publication,le droit de reproduction de son oeuvre ».
(15) Sur le statut particulier des pigistes, Gavalda (C.) et Piaskowski (N.),Droit de l'audiovisuel, Lamy, 1995, 3e éd., n°1083-1084; Sénamaud (M.), « Lestatut professionnel des journalistes », Droit des médias et de la communication,Lamy, 2001, n° 224-20 et suiv. Le pigiste est un travailleur salarié (car,selon l'art. L.761-2 C. trav., « toute convention par laquelle une entreprise depresse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel(...). est présumée être un contrat de travail »), mais la pige ne créeaucun lien de subordination entre l'entreprise et le journaliste.
(16) Ouest-France : Comm. Comm. électr., avril. 2004, p. 4. Le Figaro :Légipresse, septembre 2000, IV, p. 89.
(17) Gautier (P.-Y.), op. cit., n° 256 spéc. note 2. Favorable, semble-t-il, à lanégociation collective qui tarit le contentieux, CARON (C.), Droit d'auteur etdroits voisins, Litec, 2006, n° 204 in fine.
(18) Druez (C.), Le droit d'auteur des salariés, thèse, Paris, 1984, p. 211. Défavorables: Gautier (P.-Y.), op. cit., n° 256; Vivant (M.) Bruguière (J.-M.),op. cit., n° 266 et n° 268.
(19) JORF, 13 juin 2009, p. 9666. V. CARON (C.), Comm. Comm. électr.,mai 2009, Rep. 5, p. 1; Drai (L.) : op. cit.- Voir LP supplément n°263.
(20) Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), op. cit. n° 163: « Le journaliste ne peut pasinvoquer sa qualité d'auteur pour s'opposer à la publication dans le journalauquel il est lié »; Vivant (M.) Bruguière (J.-M.), ibid. Caron (C.), op. cit.,n° 204.
(21) Art. L.132-37 nouveau CPI.
(22) En ce sens: Caron (C.), Comm. Comm. électr., mai 2009, Rep. 5, p. 1;Drai (L.) : Comm. Comm. électr., sept. 2009, Et. 18, p. 8.
(23) Caron (C.), Comm. Comm. électr., mai 2009, Rep. 5, p. 1; Drai (L.) :Comm. Comm. électr., sept. 2009, Et. 18, p. 8.
(24) Le livre vert constate les difficultés de la presse contemporaines dues àla « contraction des ventes et des recettes publicitaires, l'augmentation ducoût du papier, la concurrence du gratuit, l'absence de modèle économiquesur internet, partout dans le monde occidental »: États généraux de lapresse écrite, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 4
(25) Lantz (P.), Dubail (C.-H.), Bérard-Quélin (L.), Jannet (P.), Vers une réformedu droit d'auteur dans la presse écrite, Légipresse, 2008, n° 251, I, p. 55.
(26) Assemblée nationale, 2e séance du jeudi 7 mai 2009.
(27) Supra n° 10.
(28) Gautier (P.-Y.), op. cit. Supra, note 19.
(29) Art. L.132-39 CPI.
(30) L. 132-35 cité supra : « On entend par titre de presse, au sens de la présentesection, l'organe de presse à l'élaboration duquel le journaliste professionnela contribué, ainsi que l'ensemble des déclinaisons du titre, quels qu'ensoit le support, les modes de diffusion et de consultation. Sont exclus les servicesde communication audiovisuelle au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ».