La Cour européenne des droits de l'homme s'est toujours efforcée, dans l'intérêt du public, d'assurer la qualité et l'honnêteté de l'information en exigeant des journalistes le respect des règles déontologiques de leur profession. Toutefois, la prise en considération effective de la déontologie journalistique obéissait jusqu'à présent à une politique jurisprudentielle visant à valoriser la liberté d'expression: la Cour n'y faisant référence que dans les hypothèses où des journalistes avaient agi dans le respect des chartes professionnelles. Dans les autres cas, la juridiction européenne procédait à une « neutralisation » des règles déontologiques en répétant de façon incantatoire que le journaliste qui publie des informations doit le faire dans le respect de ses « devoirs et responsabilités ». Mais, depuis peu, la jurisprudence semble prendre une nouvelle orientation en transformant la déontologie journalistique en un véritable instrument européen de contrôle de l'exercice de la liberté d'expression.
LA DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE, QUESTION DÉLICATE s'il en est, renvoie prioritairement au droit du public, dans une société démocratique, à recevoir une information digne de crédit ou encore de qualité. Cette exigence de qualité de l'information a amené la Cour européenne des droits de l'homme à conférer une importance de plus en plus accrue aux principes déontologiques qui gouvernent l'exercice de la profession de journaliste. En effet, il y a longtemps déjà que la juridiction ...
Lyn FRANÇOIS
Maître de conférence à l'Université de Limoges.
Vice-doyen de la faculté de ...
(2) Voir, notamment, CEDH, Hachette Filipacchi associés c/France, 14 juin 2007,Gaz. Pal., 5-6 septembre 2007, p. 2 et s., note L. François; CEDH (GC), Lindon,Otchakovsky-Laurens et July c/France, JCP G, 2008, I, 110, n° chron. F. Sudre;CEDH, Tillak c/Belgique, 27 novembre 2007, Légipresse 249-III, p. 33 et s., noteA. Guedj.
(3) Voir en ce sens J.-P. Marguénaud, « De l'extrême relativité des devoirs etresponsabilités des journalistes d'investigation », D., 2007, p. 2506.
(4) Pour une étude doctrinale, voir L. François, « La protection de la réputationou des droits d'autrui et la liberté d'expression. Étude de la jurisprudence de laCour européenne des droits de l'homme », Légipresse 230-II, p. 41 et s.
(5) J.-F. Flauss, « Chronique de la jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l'homme », AJDA, 26 mai 2008, p. 989; L. François, « Le conflit entrela liberté d'expression et la protection de la réputation ou des droits d'autrui : larecherche d'un juste équilibre par le juge européen », D. 2006, p. 2953.
(6) CEDH, Stoll c/Suisse, 10 décembre 2007, req. n° 69698/01.
(7) F. Sudre, « Droit de la Convention européenne des droits de l'homme », JCPG, 2008, I, 110, n° 11; M. Levinet, in « Chronique de jurisprudence de la Coureuropéenne des droits de l'homme », RDP, 2008, p. 963.
(8) CEDH, Handyside c/Royaume-Uni, 7 décembre 1976, Série A, n° 24, § 49 in fine.
(9) CEDH, Goodwin c/Royaume-Uni, 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 500, § 39.
(10) Voir J.-F. Flauss, préc. note 2.
(11) CEDH, Lopes Goma da Silva c/ Portugal, 28 septembre 2000, req.n° 37698/97.
(12) CEDH, Cumapana et Mazare c/ Roumanie, 17 décembre 2004, req.n° 33348/96.
(13) CEDH, Goodwin c/Royaume-Uni, 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 500, § 45.
(14) CEDH, Roemen et Schmidt c/Luxembourg, 25 février 2003, req. n° 51772/99.Pour un exemple récent, CEDH, Dupuis et a. c/ France, 7 juin 2007, req.n° 1914/02, JCP G 2008, I, 110 n° 11, chron. F. Sudre. Pour une étude doctrinale,voir L. François, « Le délit français de recel de violation de secret de l'instructionou professionnel et la Convention européenne des droits de l'homme »,Gaz. Pal., 29-31 juillet 2007, p. 2 et s.
(15) CEDH, Jersild c/Danemark, 23 septembre 1994, req. n° 15890/89.
(16) CEDH, Bladet Tromsø et Stensaas c/Norvège, 20 mai 1999, § 63.
(19) Il semble que le recours à la déontologie ait pour principal objectif de pallierla faiblesse du raisonnement de la Cour qui conclut à l'absence de violationde l'article 10 de la Convention au motif que « les publications litigieuses étaientde nature à causer un préjudice considérable aux intérêts des autorités suisses.» En réalité, la Cour fonde son raisonnement sur une « simple hypothèsede préjudice aux intérêts étatiques » qui introduit un exercice inédit manifestementcontraire au principe selon lequel toute ingérence dans l'exercice de laliberté d'expression doit être dûment justifiée. Voir à ce sujet l'opinion dissidenteannexée à l'arrêt de M. le juge Zagrebelsky à laquelle se rallientM. Lorenzen, Mme Fura Sandström, Mme Jaeger et M. Popovic.
(20) CEDH, Tyrer c/Royaume Uni, 25 avril 1978, série A, n° 26, p. 15, n° 31;CEDH, Airey c/Irlande, 9 octobre 1979, série A, n° 32, pp. 14 et suiv. § 26; CEDH(GC), Vo c/ France, n° 53924/00, § 82; CEDH (GC), Mamatkoulov et Askanovc/ Turquie, n° 46827/99 et 46951/99. Pour des études doctrinales, voir F. Sudre,Droit européen et international des droits de l'homme, PUF 2006, n° 106, p. 232;J. Andriantsimbazovina, « Les méthodes d'interprétation de la Cour européennedes droits de l'homme, instrument de dialogue? » in F. Lichère, L. Potvin-Solis,A. Raynouard (dir.), Le dialogue entre les juges européens et nationaux : incantationou réalité?, Bruylant-Némésis, coll. « Droit et justice », n° 53, 2003, 167.
(21) Cependant, la Grande chambre semble se contredire lorsqu'elle se réfèreà la forme de la publication pour finalement affirmer qu'il aurait été loisible pourle journal de publier l'intégralité du document classé confidentiel. On a du malà comprendre comment la publication de l'intégralité du rapport aurait pu permettrede respecter l'exigence de confidentialité de l'article 293 du Code pénalsuisse. En réalité, la Cour semble s'être trompée de procès en cherchant dansune affaire de violation d'un secret professionnel à faire le procès en diffamationd'un journaliste qui n'a jamais été poursuivi pour cette prévention. Dès lorss'explique l'affirmation de la Cour selon laquelle « la forme tronquée et réductricedes articles en question, laquelle était de nature à induire en erreur les lecteursau sujet de la personnalité et des aptitudes de l'ambassadeur, a considérablementréduit l'importance de leur contribution au débat public protégé parl'article 10 de la convention. »
(22) CEDH, Oberschlick c/Autriche, JCP G, 1998, I, 107 n° 38, note F. Sudre.
(23) CEDH, Flux c/Moldavie, 29 juillet 2008, req. n° 22824/04.
(24) À cet égard, le juge Bonello affirme dans son opinion dissidente: Differentlyfrom the Court, I would not have belaboured unduly the argument of unprofessionalbehaviour'of the applicants, or that journalism has to be exercised responsiblyin accordance with the ethics of the profession. Personally I do not findthe behaviour of the applicant newspaper particularly negative, but, for the purposesof this opinion I am prepared to go along with the majority and grant thatit was. Where does that lead to? I too would have good governance and goodprofessional behaviour go hand in hand, but, if the latter should fail, I would stillopt to privilege good governance over good media professionalism. The truthis that in this case the Court attached more value to professional behaviour thanto the unveiling of corruption.
(25) L. François, « Le conflit entre la liberté d'expression et la protection de laréputation ou des droits d'autrui : la recherche d'un juste équilibre par le jugeeuropéen », D. 2006, p. 2953; J.-F. Flauss, « Chronique de la jurisprudence dela Cour européenne des droits de l'homme », AJDA, 26 mai 2008, p. 989.
(26) CEDH, Goodwin c/ Royaume uni, 27 mars 1996, § 39, CEDH, Roemen etSchmit c/ Luxembourg, req. n° 51772/99, § 57 ; CEDH, Ernst et autres c/Belgique, req. n° 33400/96; CEDH, Tillak c/Belgique, 27 novembre 2007, req.n° 20477/05, § 28.
(27) Dans le récent arrêt Tillak c/ Belgique du 27 novembre 2007, la Cour s'estcontentée d'affirmer que le motif prépondérant d'intérêt public ne pourraitse concevoir qu'en considération du rôle joué par le journaliste en vue del'obtention de l'information qu'il vise à diffuser. Pour notre part, nous estimonsque le motif prépondérant d'intérêt public justifiant une divulgation des sourcesjournalistiques doit viser des cas exceptionnels tels que les atteintes à la sécuritéintérieure, le trafic de stupéfiants, les prises d'otages, les détournementsd'avions, les attentats terroristes. En aucun cas, un journaliste ne peut êtrecontraint dans une société démocratique de révéler ses sources pour avoirpublié un document confidentiel relevant de la politique étrangère ou des relationsdiplomatiques.