S'agissant des relations entre le juge et la loi, le droit d'auteur et le droit des médias présentent quelques-unes des regrettables caractéristiques du droit français en général. Même si elle est supposée répondre à des principes essentiels, la loi s'avère souvent complexe, instable, surabondante et inadaptée. Elle ne satisfait pas ainsi aux exigences d' « accessibilité » et de « prévisibilité ». Par la diversité des inspirations, l'influence du droit international et européen accroît encore les risques d'incohérence. Chargées d'assurer le respect de telles règles, et parfois amenées à en combler les lacunes ou profitant de la situation, les juridictions nationales font de la loi une application qui ne contribue pas toujours à donner au droit la cohérence et la clarté que l'on devrait pouvoir en attendre. Leurs décisions étant susceptibles d'être remises en cause par le législateur lui-même, comme au regard du droit européen ou par le juge européen, un tel phénomène ne peut que s'aggraver encore. Pareille situation ne peut amener qu'à douter de l'existence du droit des médias
TOUT CITOYEN « PEUT PARLER, ÉCRIRE, IMPRIMER libre - ment, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (DDHC, art. 11); « tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché » (DDHC, art. 5) ; « la loi pénale est d'interprétation stricte » (CP, art. L. 111-4); « le juge qui refusera de juger, sous pré - texte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice » ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
(2) Texte préparé en vue d'une communication présentée dans le cadre du colloque« L'actualité jurisprudentielle en propriété intellectuelle » organisé, le2juillet 2007, par l'Association pour la propriété industrielle et artistique (APIA),à l'initiative des étudiants du Master 2 « Propriété industrielle et artistique »de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), avec notamment le parrainage deLégipresse.
(3) « N'oublions pas le trouble supplémentaire que peut créer un changementjurisprudentiel contraire au voeu du législateur. Celui-ci est alors tenté d'inter -venir par une loi de validation qui va contrecarrer la nouvelle jurisprudence. Laconfusion juridique peut alors atteindre son comble, pour peu que le juge judi -ciaire en vienne à estimer que cette loi ne répond pas à un impérieux motif d'in -térêt général et qu'elle contrevient, par conséquent, aux règles du procèséquitable établies par la CEDH » (Burgelin, J.-F., Procureur général près la Courde cassation, Audience de rentrée du 9 janvier 2004).
(4) La Cour de cassation a considéré que l'installation, par un syndicat decopropriétaires, d'une antenne collective et d'un réseau de retransmission, dans la copropriété, de programmes de télévision constitue un acte de représentationpublique (Cass. civ., 1re, 1er mars 2005, Syndic. Copro. Parly IIc/SACEM et autres et Syndic. Copro. Chesnay-Trianon Parly II c/ANGOA,Légipresse n° 222. III. 103-109, note E. Arfi). Mais, introduit par la loi du1er août 2006, l'article L. 132-20 CPI contredit cette décision.À ce propos, a été « mis en exergue le rôle joué par le juge dans l'adoption dela loi DADVSI ( ) Nombre d'intervenants ont ainsi souligné l'influence de lajurisprudence sur certaines des exceptions adoptées, d'aucuns allant mêmejusqu'à évoquer les « arrêts de provocation » (P. Lantz) ou les « décisions pro -vocatrices destinées à faire bouger le législateur » (Me Zylberstein). Conseillerà la Cour de cassation, Madame M.-F. Marais a « concédé que certaines déci -sions, telle la jurisprudence sur les antennes collectives, étaient destinées àfaire réagir le législateur, mais pas nécessairement dans le sens finalementretenu par la loi » (Granchet, A., « La mise en oeuvre de la loi DADVSI par lesmédias. Compte rendu du Forum Légipresse du 5 octobre 2006 », Légipresse,n° 236. II. 140-144).
(5) « Une partie de la population se trouve marginalisée par un droit devenutrop complexe, tandis que d'autres acteurs s'accommodent de la complexité,voire l'exploitent à leur profit » (Conseil d'État, « Considérations générales:Sécurité juridique et complexité du droit », Rapport public 2006).
(6) Benabou, V.-L. et Varet, V., La codification de la propriété intellectuelle.Etude critique et prospective, La documentation française, 1998, 213 p.
(7) Très étrangement, les dispositions de l'article L. 121-8 CPI, concernantnotamment le droit d'auteur des journalistes, ont été codifiées dans le chapitrerelatif aux « droits moraux ».
(8) « Le taux d'instabilité d'un code, qui équivaut, selon une mesure établie parle Secrétariat général du gouvernement, au nombre total d'interventions surun code rapporté au nombre d'articles de ce code, révèle que plus de 10 %des articles d'un code changent chaque année » (Conseil d'État,« Considérations générales: Sécurité juridique et complexité du droit »,Rapport public 2006).
(9) Granchet, A., « La mise en oeuvre de la loi DADVSI par les médias. Compterendu du Forum Légipresse du 5 octobre 2006 », Légipresse, n° 216. II. 140-144; « La mise en oeuvre de la loi DADVSI par les médias », Actes du ForumLégipresse du 5 octobre 2006, Légicom, n° 39, 2007/3, 163 p.
(10) Sur cette question, voir notamment: Albertini, J.-P., « Vers un Code de lacommunication », Légipresse, juin 1993, n° 102. II.45-56 ; Conseil d'État,Inventaire méthodique et codification du droit de la communication, La documentationfrançaise, 2006, 240 p. ; Derieux, E., « Le projet de loi portant Codede la communication et du cinéma », JCP 1997.I.4007 ; Derieux, E., « Le Codede la communication et du cinéma », Légipresse, janvier-février 1997, n° 138.II. 15-16 ; Derieux, E., « Diversité des sources et codification du droit de lacommunication », Forum Légipresse, Le droit de la presse de l'an 2000,Victoires Éditions, 2000, pp. 85-90; Derieux, E., « Perspectives d'une codificationdu droit de la communication », RLDI, avril 2006, pp. 67-75.
(11) Sur cette question, voir notamment: Derieux, E., « La notion de « publication» en droit de la communication », Droit et actualité, Études offertes àJacques Béguin, Litec, 2005, pp. 275-309, et les références bibliographiques.
(12) Voir notamment Derieux, E., « Principes du droit de la communication »,Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, pp. 19-36 et les référencesbibliographiques; Derieux, E. et Trudel, P., dir., L'intérêt public. Principe dudroit de la communication, Victoires Éditions, 1996, 192 p.
(13) Dans sa décision du 16 décembre 1999, le Conseil constitutionnel évoque« l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de laloi ». Il considère que « l'égalité devant la loi, énoncée par l'article 6 DDHC, etla garantie des droits, requise par son article 16, pourraient ne pas être effec -tives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des nor -mes qui leur sont applicables; qu'une telle connaissance est en outre néces -saire à l'exercice des droits et libertés ».« Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confiela Constitution ( ) à cet égard, le principe de clarté de la loi ( ) et l'objectifde valeur constitutionnelle d'intelligibilité ou d'accessibilité de la loi, quidécoule des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposentd'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivo -ques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire àla Constitution ou contre le risque d'arbitraire » (Décision n° 2005-512 DC du21 avril 2005).
(14) Dans son arrêt Sunday Times c/Royaume-Uni, du 26 avril 1979, la CEDHpose que « les deux conditions suivantes comptent parmi celles qui se déga -gent des mots « prévues par la loi ». Il faut d'abord que la « loi » soit suffisam -ment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffi -sants ( ) sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En secondlieu, on ne peut considérer comme une loi » qu'une norme énoncée avecassez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s'en -tourant, au besoin, de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir ( ) lesconséquences de nature à dériver d'un acte déterminé ». Le même arrêt poursuitcependant que cette condition de prévisibilité n'exige pas une « certitudeabsolue; l'expérience la révèle hors d'atteinte. En outre, la certitude, bien quehautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive; or ledroit doit savoir s'adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup delois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moinsvagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique ».Dans son arrêt Markt Intern Verlag, du 20 novembre 1989, la CEDH pose que« souvent le libellé des lois ne présente pas une précision absolue ( )L'interprétation et l'application de pareils textes dépendent, par la force deschoses, de la pratique » et note que, « en l'occurrence, il existait une jurispru -dence constante ( ) nette, abondante et amplement commentée ( ) denature à permettre » aux milieux concernés de « régler leur conduite en lamatière ».
(15) Dans son Rapport 2006, il considère nécessaire que « les citoyenssoient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, enmesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit appli -cable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires etintelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fré -quentes, ni surtout imprévisibles » (p. 281).
(16) « Le caractère foisonnant du droit communautaire constitue le premierdes facteurs de complexité et d'instabilité du droit ( ) Le développement desconventions internationales ( ) constitue un deuxième facteur de la com -plexité du droit » (Conseil d'État, « Considérations générales: Sécurité juridiqueet complexité du droit », Rapport public 2006).« Les conventions internationales, notamment celles qui ont introduit le droitcommunautaire et les droits européens des droits de l'homme dans notre viejuridique, rendent particulièrement complexe et difficile la mise en lumière dela règle de droit. L'insécurité juridique s'en trouve accrue » (Burgelin, J.-F.,Procureur général près la Cour de cassation, Audience de rentrée du 9 janvier2004).
(17) Voir diverses illustrations dans Derieux, E., Droit de la communication.Droit européen et international. Recueil de textes, Victoires Éditions, 2e éd.,2006, 315 p.
(18) Après l'arrêt CEDH, du Roy et Malaurie c/France, du 3 octobre 2000,considérant que les dispositions de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, quiinterdisait « de publier, avant décision judiciaire, toute information relative àdes constitutions de partie civile », par son caractère absolu, constituait uneatteinte à la liberté d'expression, cet article a été abrogé par la loi du 9 mars2004.À la suite d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du4 septembre 2001 (Légipresse, n° 186. II. 183-185, note B. Ader), qui a considéréque l'interdiction de publication de sondages d'opinion en relation avecune élection, dans la semaine précédant le scrutin, était contraire à l'article 10Conv.EDH, l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, modifié par la loi du 19 février2002, limite désormais cette interdiction à « la veille de chaque tour de scru -tin ainsi que le jour de celui-ci » (Légipresse, n° 190.IV.27-29, note E. Derieux).Suite à l'arrêt CEDH, du 25 juin 2002, J.-M. Colombani c/France, l'article 36 dela loi du 29 juillet 1881 relatif au délit d'offense envers les chefs d'État étrangersa été abrogé par la loi du 9 mars 2004 (Derieux, E., « Loi « Perben 2 »:ses incidences en droit de la communication », Légipresse, n° 210. IV. 23-28).Pour ce qui est du régime des publications étrangères, en conséquence del'arrêt CEDH, Ekin c/France, du 17 juillet 2001 (Légipresse, n° 185.III.169-176,note E. Derieux) et d'un arrêt du Conseil d'État du 7 février 2003, GISTI(Légipresse, n° 216. III. 60-64, note P. Waschman), estimant fondée, en seréférant à l'article 10 Conv.EDH « la demande tendant à l'abrogation du décretdu 6 mai 1939 modifiant l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 » et enjoignant« au Premier ministre d'abroger le décret-loi du 6 mai 1939 », cela fut fait parun décret du 4 octobre 2004 (Légipresse, n° 216. IV. 81-85, note E. Derieux).Cela semble avoir pour effet de rétablir l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881,dans sa version antérieure au décret-loi de 1939 (Derieux, E., « Régime despublications étrangères: incertitudes et malfaçons juridiques », Légipresse,n° 220. II. 47-48).
(19) Voir notamment Derieux, E., « Les principes du droit de la communicationen droit européen et international », Légipresse, n° 172. II. 63-70.
(20) Regourd, S., « Le projet de Convention UNESCO sur la diversité culturelle:vers une victoire à la Pyrrhus », Légipresse, n° 226. II. 115-120.
(21) Sur cette question, voir notamment: Derieux, E., « Diffamations, injureset convictions en procès. L'état de la jurisprudence nationale », Droit et reli -gions, PUAM, 2005, vol. I, pp. 105-126; Duvert, C., « Le contrôle judiciaire dutraitement médiatique des symboles religieux : du numéro d'équilibriste à laboîte de Pandore », Légipresse, n° 242. II. 76-80.
(22) Cass. civ., 1re, 14 novembre 2006, Girbaud, JCP G 2007. II. 10041, notePh. Malaurie ; Légipresse n°239, p.41, note B. de Lamy.
(23) Cass. ass. plén., 16 février 2007, Consistoire central union des commu -nautés juives de France c/Dieudonné M'Bala M'Bala, JCP G 2007. II. 10047,note E. Derieux, « Propos racistes ou libres et nécessaire critique des religionset des politiques? ».
(24) TGI Paris, 17e ch., 22 mars 2007, Sté des Habous et des lieux saints del'Islam et autres c/Ph. Val et Sté Éditions Rotative, JCP G 2007. II. 1079, noteE. Derieux, « L'affaire des « caricatures de Mahomet »: liberté de caricatureet respect des croyances »; Légipresse, n° 242. III. 123-128, note H. Leclerc.
(25) TGI Vannes, ch. corr., 29 avril 2004, FNDF et autres c/C. Le Caignec etautres, Légipresse, n° 215. III. 180-187, note A. Robin; TGI Rodez, ch. corr.,13 octobre 2004, FNDF c/A. Delicourt, Légipresse, n° 221. I. 08; cour d'appelde Montpellier, 3e ch. corr., 10 mars 2005, Buena Vista Home Entertainmentc/D.A., Légipresse, n° 222. III. 120-124, note I. Wekstein.
(26) Cass. civ. 1re, 27 février 2007, ADAGP c/Sté Éditions F. Hazan et StéCanal Publicité promotion c/ADAGP, Légipresse, n° 242. III. 117-122, noteS. Choisy.
(27) Cass., ass. plén., 12 juillet 2000, Petites Affiches, 14 août 2000, noteE. Derieux.Sur cette question, voir notamment: Derieux, E., « Responsabilité civile desmédias. Exclusion de l'application de l'article 1382 du Code civil aux faitsconstitutifs d'infraction à la loi du 29 juillet 1881 », Comm. comm. électr.février 2006, pp. 14-20; Guerder, P., « L'harmonisation des règles de procéduredans les procès de presse », Le droit de la presse de l'an 2000, VictoiresÉditions, pp. 55-69; Louvet, M.-N., « La loi de 1881 et la possible incompétencede la juridiction civile », Légipresse, n° 151. II. 57-58; Mallet-Poujol, N.,« Abus de droit et liberté de la presse. Entre droit spécifique et droit commun,l'autonomie brouillée de la loi de 1881 », Légipresse, n° 143. II. 81-88; Martin- Valente, S., « La place de l'article 1382 du Code civil en matière dep resse depuis les arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000. Appro c h ecritique », Légipresse, n° 202. II. 71-77 et n° 203. II. 89-94; Rojinsky, C.,« L'autonomie inachevée du droit de la pre s s e », Légipresse, n° 193. II. 85-91
(28) Légipresse, n° 239. IV. 7-13.
(29) Cass. civ. 1re, 28 février 2006, Légipresse, n° 231. III. 71, note V.-L.Benabou.
(30) Granchet, A., « La mise en oeuvre de la loi DADVSI par les médias. Compterendu du Forum Légipresse du 5 octobre 2006 », Légipresse, n° 236. II. 140-144.
(31) Cass. civ. 1re, 20 mars 2007, Sté Le Parisien Libéré c/P. Hontang.
(32) Lehideux et Isorni c/France, 23 septembre 1998; Fressoz et Roirec/France, 21 janvier 1999; du Roy et Malaurie c/France, 3 octobre 2000; J.-M. Colombani c/France, 25 juin 2002 ; Radio France c/France, 30 mars 2004;Sté Plon c/France, 18 mai 2004; Brasilier c/France, 11 avril 2006 (voirnotamment in Derieux, E., Droit européen et international, VE).
(33) Toutes les saisines de la CEDH n'ont cependant pas abouti à une remiseen cause des dispositions légales ou de l'application faite par les juges et doncà une condamnation de la France: Garaudy c/France, 24 juin 2003;Tourancheau et July c/France, 24 novembre 2005; Hachette Filipacchic/France, 14 juin 2007
(34) CEDH, 31 janvier 2006, Giniewski c/France, Légipresse, n° 230-III, p. 43,note E. Derieux.
(35) Voir notamment et très paradoxalement: Derieux, E., « Introduction »,Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, pp. 1-17.