La reproduction ou la représentation d'oeuvres graphiques, plastiques ou d'architecture dans un but d'information, nouvelle exception au droit d'auteur instituée par la loi du 1er août 2006, est soumise à des conditions de mise en oeuvre et des limites délicates à interpréter. Ceci d'autant plus que le législateur, en définissant expressément les hypothèses où des actes d'exploitation se trouveraient hors du champ de l'exception, est venu renforcer les incertitudes pesant sur le nouvel article L. 122-5 9° du CPI. La sécurité juridique des organes de presse, objectif affiché du texte, pourra-t-elle être ainsi garantie?
« C'est pourquoi le sage instaure la concorde grâce à un usage judicieux de l'affirmation et de la négation et se laisse porter par le mouvement céleste. C'est ce qui s'appelle opter pour l'ambivalence. » (1) IL EST TROP TÔT POUR DIRE SI, EN ADOPTANT LA LOI DU 1er AOÛT 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, le législateur a instauré la concorde et ainsi fait preuve de sagesse (2). Le texte de la loi, en revanche, permet de soutenir ...
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris Varet Près société d'avocats
(2) Tchouang Tseu , in Jean Levi, Propos intempestifs sur le Tchouang Tseu, éditionsAllia, 2003, p. 120.
(3) Et quoique les premiers commentaires laissent plutôt penser le contraire.V. notamment : A. Lucas et P. Sirinelli, « Droit d'auteur et droits voisins »,Chronique, PIn° 20, juillet 2006, n° 297 et s. ; « Le nouveau droit d'auteur aulendemain de la loi du 1er août 2006», Dossier collectif, introduction de P. Sirinelli,Dalloz, Cah. Dr. Aff., 14 septembre 2006, n° 31, p. 2154 et s. ; «La loi du 1er août2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information», Dossier collectif, introduction de C. Caron, in CCE novembre 2006,n° 11, p. 10 et s. ; T. Desurmont, « Transposition de la Directive 2001/29/CEen France », RIDA n° 210 octobre 2006, p. 111 et s. ;
(4) Chacun a en mémoire, en effet, l'âpreté et la passion qui ont animé les débatsentre parlementaires de l'opposition, de la majorité et représentants du gouvernement,avec les lobbies dans le rôle du souffleur, et les changements d'alliancequi sont parfois intervenus au cours du processus législatif.
(5) Article L.122-5, 9° nouveau du Code de la propriété intellectuelle : « La reproductionou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique,plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou enligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe aveccette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur. Le premieralinéa du présent 9° ne s'applique pas aux oeuvres, notamment photographiquesou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l'information.Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ouleur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'informationimmédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cettedernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords outarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. "
(6) Précisons au passage que celle-ci ne concerne que le droit d'auteur et nonles droits voisins, au contraire des autres exceptions nouvelles introduites parle texte. Cela est cependant cohérent compte tenu des oeuvres concernées.
(7) Le lecteur sait que la loi du 1er août 2006 a pour objet principal (mais non exclusif)la transposition de cette directive 2001/29/CE. Il sait également que, s'agissantdes exceptions au droit d'auteur, ce texte prévoit une exception en faveurdes reproductions dites « transitoires», que les États membres avaient l'obligation de transposer, et une série d'exceptions facultatives, que les États membresétaient libres de transposer, ou non, la philosophie du texte étant plutôt depermettre à chaque État membre de conserver les exceptions existantes danssa législation nationale. Sur cette Directive, voir notamment C. Caron, « La nouvelledirective du 9 avril 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans lasociété de l'information ou les ambitions limitées du législateur européen », CCE.mai 2001, 20 et suivants ; J. Passa, « La directive du 22 mai 2001 sur le droitd'auteur et les droits voisins dans la société de l'information », JCP2001, I, 331.
(8) « Il n'est donc pas envisagé d'étendre le champ des exceptions aux droitsexclusifs des auteurs et titulaires de droits voisins», propos tenus par M. Vistel,Directeur de cabinet du ministre de la Culture et de la Communication, à l'occasionde la présentation des travaux de transposition de la Directive, le20 décembre 2001 (Compte rendu de la réunion du CSPLA du 20 décembre2001, p. 8). V. aussi les comptes rendus des séances du 4 octobre 2001, p. 12,du 4 avril 2002, p. 9, l'intervention de M. J. Reinbothe lors de la séance du10 octobre 2002, p. 14, du 5 décembre 2002, p. 14.
(9) Amendement n° 216, relatif à l'article 1er, en date du 8 décembre 2005.
(10) Exposé sommaire de l'amendement cité note précédente. Doit-on comprendrede la justification avancée par les auteurs de l'amendement que la nécessitéde solliciter une autorisation pour utiliser une oeuvre à des fins d'informationconduit les organes de presse à renoncer à cette utilisation, l'absence dereproduction de l'oeuvre qui en découle nuisant, en définitive, à la qualité de l'information?
(11) Civ. 1re, 4 juill. 1995, Antenne 2 c/ SPADEM, JCP 1995, II, 22486, noteJ.-C. Galloux ; D.1996, 4, note B. Edelman ; rejet du pourvoi contre Paris, 1rech. A, 7 juill. 1992, D. 1993, som. Com. 91, obs. C. Colombet, infirmant TGIParis, 3e ch. 15 mai 1991, JCP 1992, II, 21868 note A. Tricoire ; D. 1992, 146,note. C. Debbasch.
(12) Civ. 1re 13 nov. 2003, JCP 2004, II, 10080, note C. Geiger ; JCP E 2004,chron. 1898, § 13, obs. Zollinger ; D. 2004, jur. 200, note N. Bouche ; PI2004n°10, p. 549, obs. A. Lucas ; RIDA 2004, n° 200, obs. A. Kerever ; CCE 2004,comm. n° 2, note C. Caron ; Rev. Lamy dr. aff. 2004, n° 4249, obs. L. Costes ;Prop. Ind. 2004, comm. 8, note P. Kamina ; Legipressen° 209, IIII, 23, noteV. Varet.
(14) Civ. 1re 15 mars 2005, JCP G. 2005, II, 10072, note Lancrenon ; CCEmai 2005, comm. n° 78, obs. C. Caron; PI2005, n° 15, p. 165, obs. P. Sirinelli ;RTDCOM. 2005, p. 306, obs. F. Pollaud-Dulian ; Legipresse n° 221-III, p. 73,comm. J.-M. Bruguière.
(15) Amendement précité, note 8. C'était oublier que la décision Place desTerreauxn'était pas la seule à avoir admis la libre reproduction d'oeuvres d'artsituées dans l'espace public. Voir par ex. Paris, 1re ch., sect. A, 14 sept. 1999,Legipressen° 169, mars 2000, III, p. 33, avec notre note, et les références citées.
(16) Amendement précité, note 8. L'on reconnaîtra l'allusion à l'une des conditionsdu test des trois étapes, ici utilisé par le législateur, conformément à savocation initiale. On voit que la plasticité de ce test permet de l'utiliser pour oucontre les exceptions, selon l'analyse économique que l'on fera de celles-ci.Sur l'introduction de ce test dans la loi française, voir notamment P.-Y. Gautier,L'élargissement des exceptions aux droits exclusifs, contrebalancée par le testdes trois étapes, CCEn° 11 nov. 2006, p. 9 et s. ; C. Geiger, « La transpositiondu test des trois étapes en droit français », D. 2006, Cah. Dr. Aff. 2164.
(17) Les travaux parlementaires sont plus précis : selon Marie-Christine Blandin,sénateur, c'est le SPMI, Syndicat de la Presse Magazine d'Information, qui « atenu la plume» (Sénat, Compte rendu de la séance du 4 mai 2006, p. 3574).
(18) Dont il n'est pas exclu qu'elle fût invitation (ou provocation) à l'interventionlégislative.
(19) On le regrettera, la souplesse d'une interprétation jurisprudentielle compréhensivenous paraissant préférable à la multiplication de revendications corporatistes(dans le même sens, v. P. Sirinelli, PIn° 20, juillet 2006, chron. p. 308)qui n'ont, potentiellement, plus de limites, dès lors que l'une est accueillie parle législateur. Et cela alors même que nous sommes favorables à la mise à l'écartdu droit exclusif dans le cas de figure principal visé par l'exception nouvelle (v.notre note sous Civ. 1re, 13 nov. 2003, réf. Citées, note 10). Plus profondément,c'est la philosophie des exceptions en droit d'auteur français qui se trouvemodifiée par l'adoption d'exceptions catégorielles en faveur de différents acteurs.Celle qui nous concerne est en outre justifiée par des intérêts exclusivementpécuniaires, contrairement aux autres. Il est vrai qu'existait déjà un précédent,né du même courant jurisprudentiel hostile à la citation en matière d'oeuvresd'art, en faveur des ventes judiciaires (article L.122-5, 3°, sous d).
(20) Rejeté tout d'abord par la Commission des lois de l'Assemblée au motifqu'il ne convenait pas d'introduire de nouvelles exceptions (AN, compte rendun° 20, mardi 20 décembre 2005, séance de 16 h 00 de la Commission), il futréintroduit par le Rapporteur de cette même Commission, l'exception étant limitéeà l'hypothèse de la reproduction par la presse, soit d'oeuvres à titre accessoire,soit d'oeuvres situées dans un lieu public (amendement n° 248). Cetteproposition, qui n'avait pu être discutée en décembre, les débats ayant étémonopolisés par la question de la licence légale en matière de peer-to-peer, futreprise telle quelle par le gouvernement (Amendement n° 272, 6 mars 2006),avec les mêmes justifications que celles énoncées au texte ci-dessus. Adoptéepar l'Assemblée Nationale (AN, texte adopté n° 554, 21 mars 2006, dit "petiteloi"), cette version a été modifiée par le Sénat après d'importantes discussions(v. le rapport de M. Thiollière au nom de la commission des Affaires culturellesdu Sénat, et le compte rendu de la séance du 4 mai 2006, pp.3573-3578).
(21) Dans la mesure où cette problématique avait été partiellement intégrée,un temps, au projet de loi (version Assemblée Nationale, 1re lecture), l'on nepeut exclure que des plaideurs soutiennent, à l'avenir, que l'exception jurisprudentielletraditionnelle relative aux oeuvres situées dans les lieux publics n'aplus lieu d'être, le législateur ayant renoncé à la consacrer dans la loi. Comp,A. Lucas, chron. «Droit d'auteur et droits voisins », PIn° 20, juillet 2006, p. 314,qui pense c'est au contraire l'adoption du texte dans sa version fusionnant l'exceptionen faveur des reproductions accessoires à fin d'information et cellerelative aux oeuvres situées dans un lieu public (version Assemblée Nationale,précitée) qui aurait pu conduire à la condamnation de l'exception jurisprudentielledans les cas non prévus par le nouveau texte, alors même telle n'auraitpas été l'intention du législateur. Il semble que c'est en raison du risque decontradiction en germe dans la version du texte adoptée par l'AssembléeNationale (notamment entre la notion d'accessoire et l'exigence de la mentiondu nom de l'auteur posée par l'article 5.3° sous c) de la Directive pour l'exceptionà titre d'information d'actualité) que le Sénat a finalement laissé de côté laquestion des oeuvres reproduites à titre accessoire et/ou situées dans un lieupublic.
(22) En ce sens, A. Lucas, commentaire de la loi, PIn° 20, juillet 2006, p. 314 ;M. Vivant, Les exceptions nouvelles au lendemain de la loi du 1er août 2006, in«Le droit d'auteur au lendemain de la loi du 1er août 2006 », dossier Dalloz, Ch.Dr. Aff., 2006, 2162.
(23) En ce sens, M. Thiollière, rapport au nom de la commission des Affairesculturelles du Sénat, Doc. N° 308, p. 120 et A. Lucas, commentaire de la loi,précité, note précédente. Sur les bénéficiaires de l'exception, voir infra, C.
(24) Cf. infra, E.
(25) Décisions citées notes 10, 11 et 12.
(26) En ce sens, M. Vivant, op. cit., p. 2163.
(27) Sénat, Compte rendu de la séance du 4 mai 2006, précité, pp.3574 et s.
(28) Sous réserve néanmoins que l'on admette qu'il s'agisse d'oeuvres d'artgraphiques ou plastiques, ce qui peut se discuter. Il reste que l'exclusion légalepermet, par contraste, d'affirmer que les photographies et les illustrations entrentbien dans l'une ou l'autre de ces catégories.
(29) En ce sens, M. Vivant, op. cit., p. 2162 ; Comp. A. Lucas, op. cit., p. 314,qui estime que cette dérogation introduit entre les oeuvres une discriminationdifficile à justifier.
(30) Cf. supra, note 16.
(31) Les spécialistes du droit de la presse savent de longue date que cette notionde presse n'est pas limitée à l'écrit, mais concerne également l'audiovisuel.
(32) Il est vrai que les titulaires de droits pourront toujours invoquer l'atteinte àl'exploitation normale de l'oeuvre ou l'existence d'un préjudice injustifié, pourréduire la portée de l'exception en application de l'avant-dernier alinéa de l'articleL.122-5 CPI.
(33) Selon les mots qui touchent justes de M. Vivant, op. cit., pp.2162-2163.
(34) En ce sens, P.-Y. Gautier, «L'élargissement des exceptions aux droits exclusifs,contrebalancée par le test "des trois étapes" » CCEnov. 2006, p. 10.
(35) Contra, P.-Y. Gautier, ibid.
(36) En ce sens, P.-Y. Gautier, ibid.
(37) En ce sens, M. Vivant, op. cit., 2163.
(38) Sénat, Compte tenu rendu de la réunion du 4 mai 2006, p. 3576, amendementdéfendu par Mme Annie David.
(39) En ce sens, P.-Y. Gautier, op. cit. p. 11. Comp. A. Lucas, ibid. qui sembleadmettre que le texte évoque un droit à rémunération, tout en contestant cettesolution.
(40) Dans le même sens, A. Lucas, ibid.
(41) Position exprimée lors du colloque consacré par Légipresseà la loi du 1er août2006, La mise en oeuvre de la loi DADVSI dans les médias, le 5 octobre 2006.
(42) P. Sirinelli, PIn° 20 juillet 2006, Chron. 301.