De nombreuses décisions récentes posent la question de l'appréciation de la contrefaçon dans le cadre de la fourniture de liens sponsorisés et de la détermination de la responsabilité encourue par les fournisseurs de ces liens. Car si le récent arrêt rendu par la cour d'appel de Paris dans le litige opposant Vuitton à Google semble consacrer une ligne dure envers les fournisseurs de liens sponsorisés qui ne pourraient se soustraire à une condamnation, d'autres décisions considèrent que leur activité ne peut constituer ni une contrefaçon de marque ni un acte de concurrence déloyale.
L'ARRÊT RENDU LE 28 JUIN DERNIER par la cour d'appel de Paris dans la désormais célèbre affaire Vuitton c/ Google (1) a notamment condamné le moteur de recherche pour contrefaçon de marque, concurrence déloyale et publicité trompeuse, dans le cadre de la fourniture de services de liens sponsorisés (2). Cet arrêt, sévère mais juste (3), fait suite à de nombreuses autres décisions qui ont statué dans le même sens, et pourrait être interprété comme étant la confirmation et la ...
(2) Cour d'appel de Paris, 4e chambre, section A, 28 juin 2006, Google Francec/ Louis Vuitton Malletier; www.legalis.net.
(3) Pour mémoire, il sera rappelé que les services de liens sponsorisés permettentaux annonceurs de réserver des mots-clés se rapportant à leurs activitéscommerciales afin d'apparaître de manière distincte et visible, en première pagedes résultats lorsqu'un internaute formule sur le moteur de recherche, unerequête contenant les mots clés réservés.
(4) Rappelons que le moteur avait admis que soient réservés les termes « fake»ou « imitation» ou encore « replica» en association avec les termes « LouisVuitton», « Vuitton», « LV» laissant peu de doutes sur l'activité contrefaisantede l'annonceur.
(5) TGI Paris, 3e Chambre, 2e section, du 8 décembre 2005 Kertel c/ Google,Cartephoneet surtout TGI Paris 3e Chambre, 3e Section, 12 juillet 2006 GIFAMc/ Google France; Voir aussi TGI Nice 3e Chambre, 7 février 2006, TWD Industriesc/ Google France et Google Inc. mais uniquement en ce qui concerne la concurrencedéloyale car la contrefaçon est écartée pour des raisons de preuve. Toutesces décisions sont disponibles sur www.legalis.net.
(6) Définis supranote 2.
(7) Dans la plupart des décisions rendues, seule la responsabilité du moteur derecherche est recherchée et non celle de l'annonceur (par ex. TGI Nanterre 13 octobre2003, Viaticum § Luteciel c/ Google France; TGI Nanterre, 17 janvier 2005,Overture c/ Accor; ou encore TGI Nanterre, 2 mars 2006, Hôtels Méridienc/ Google France). Toutes ces décisions sont disponibles sur www.legalis.net.On peut cependant citer un jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 octobre2005, Corb's c/ Evoc(également disponible sur www.legalis.net) dans lequelseul le réservataire des mots clés et non le moteur de recherche avait été mis encause pour « usurpation de noms commerciaux et de noms de domaine».
(8) Un jugement du TGI Nanterre 14 décembre 2004 (TGI Nanterre 14 décembre2004, Google c/ CNRRH, Pierre Alexis T., Tiger, Bruno R), confirmé par lacour d'appel de Versailles dans un arrêt du 23 mars 2006 (CA Versailles 23 mars2006, 12e chambre, section 2,) condamne l'annonceur pour contrefaçon etconcurrence déloyale mais aux côtés de Google, qui est condamné à des dommageset intérêts supérieurs à ceux mis à la charge de l'annonceur indélicat.
(9) Ex : Cour d'appel de Versailles, 23 mars 2006, Google c/ CNRRH; TGI Paris4 février 2005 et CA Paris 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier.9.TGI Paris, 12 juillet 2006, précité.
(11) Le TGI de Paris a en effet décidé dans son jugement du 12 juillet 2006 que« en associant comme résultat une requête à partir du nom commun d'un produitdes marques visant dans leur enregistrement celui-ci, lorsque l'outil suggèrele nom d'une marque, Google ne sait pas a priori si l'annonceur va choisircette marque et dans l'hypothèse d'un choix si le client est autorisé à l'utiliserpar exemple en tant que distributeur de produits authentiques ou licencié. Dansces conditions, la responsabilité de la société Google ne saurait être recherchéesur le fondement de la contrefaçon de marques ou de l'atteinte aux marquesrenommées par le fonctionnement du générateur de mots clés».
(12) Cf. notamment TGI Nanterre 17 janvier 2005, Overture c/ Accor, CAVersailles 10 mars 2005 (même affaire).
(13) TGI Paris, 4 février 2005, Google France c/ Louis Vuitton Malletier, qui a jugéque « Google a dès lors commis des actes de contrefaçon par imitation des marquesde la demanderesse au sens de l'article L 713-3 du Code de la propriétéintellectuelle» ; Cf.également l'arrêt Viaticum(cour d'appel de Versailles, 12echambre, section 1, 10 mars 2005) pour qui la contrefaçon doit être reconnuedès lors que les mots clés proposés sont la reproduction ou l'imitation, sans faireétat des produits et services en cause et sans interroger sur la réalité d'un usageà titre de marque. La cour d'appel de Paris dans l'affaire Vuittona adopté la mêmeposition mais l'on sent une certaine contradiction dans les motifs adoptés puisquela cour constate que Google fait usage des signes litigieux pour des produitset services « qui ne procèdent pas de l'activité de la société Louis Vuitton Malletier»tout en considérant néanmoins qu'il y a contrefaçon au sens des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle.
(14) Cf.J. Passa « Les conditions générales d'une atteinte au droit sur une marque», Propriété Industrielle, février 2005 p. 8 et suivantes ainsi que la jurisprudencecitée.
(15) Cf.en ce sens E. Tardieu Guigues « L'utilisation des marques par les moteursde recherche comme mots de référence est-elle toujours une contrefaçon » PropriétéIndustrielle,octobre 2005, p. 19 qui indique que « Google n'effectue aucun actede contrefaçon puisqu'il ne distribue ni produits ni services sous la marque». Lejugement du TGI de Paris du 12 juillet 2006 énonce par ailleurs très clairement que« la responsabilité de Google lors de l'affichage des liens commerciaux ne peutêtre recherchée sur le fondement de la contrefaçon de marque ou de l'atteinte auxmarques renommées, la société Google ne faisant aucun usage des signes pourproposer un produit ou un service, seul l'annonceur effectuant cet acte».
(16) Voir par exemple : CA Versailles 23 mars 2006, Google c/ CNRRH :« Considérant qu'il importe peu que (Google) n'exploite pas personnellement desservices identiques ou similaires à ceux couverts par la marque Eurochallenges» ;Voir aussi TGI Nanterre 13 octobre 2003 Viaticum c/ Google qui énonce « l'interventionde la société Google France comme intermédiaire dans l'offre commercialede ses annonceurs est incontestablement un acte positif de contrefaçon».
(17) C'est ce qui était soutenu par le demandeur dans l'affaire Kertel(TGI Paris8 décembre 2005, précité) et dans l'affaire TWD Industries c/ Google(TGI Nice,7 février 2006 précité). Cela était également soutenu à titre subsidiaire dansl'affaire Viaticum & Luteciel c/ Google(TGI Nanterre, 13 octobre 2003 et CAVersailles 10 mars 2005 précités).
(18) Le TGI de Paris dans son jugement du 8 décembre 2005 a retenu des faitsde concurrence déloyale à l'encontre de l'annonceur mais pas de Google dèslors que ce dernier « n'est pas en situation de concurrence sur le même marchéavec la société Cartephone».
(19) Cour d'appel de Paris, 28 juin 2006, précité.
(20) Voir note 3, supra.
(21) TGI Paris 8 décembre 2005, précité.
(22) Même s'ils relèvent du régime dérogatoire instauré par la loi sur l'économienumérique du 21 juin 2004, l'analogie avec les hébergeurs est intéressante :ces derniers ne peuvent pas en effet raisonnablement vérifier et contrôler lalicéité de toutes les informations et données qu'ils stockent.
(23) CA Versailles, 23 mars 2006, Google c/ CNRRH, précité.
(24) Tout opérateur qui utilise un signe pour désigner des produits ou servicesdoit en effet s'assurer de sa disponibilité. Lorsque ce signe est déposé à titrede marque, c'est toujours au déposant qu'incombe cette obligation de vérification,non à l'office des marques.
(25) Cf. par exemple TGI Nanterre 17 janvier 2005 Overture c/ Accor, CAVersailles, 10 mars 2005 Viaticum & Luteciel c/ Googleet dernièrement TGIParis, 12 juillet 2006 GIFAM et autres c/ Google Francequi énonce que « dèslors que la société Google suggère comme mots-clés des signes, objets dedroits privatifs, puis en fait un usage commercial il lui appartient vis-à-vis du titulairede ceux-ci de vérifier que ses annonceurs sont bien habilités à les utiliser».25.TGI Paris, 8 décembre 2005, Kertel, précité.
(27) TGI Paris, 12 juillet 2006, GIFAM et autres c/ Google France, précité quiordonne à Google de « mettre en place un dispositif de contrôle a priori dansles quatre mois de la signification du présent jugement et ce, sous astreinte de1 500 par jour de retard passé ce délai».
(28) L'obligation de mise en place de ce "filtre" de mots-clés est néanmoinsassortie d'une astreinte.
(29) C'est le cas dans l'affaire Viaticum & Luteciel où le moteur contestait lavalidité des marques "Bourse des vols" et "Bourse des voyages" pour défautde distinctivité. Une doctrine autorisée (J. Larrieu « Liens sponsorisés quelsrisques pour les moteurs de recherche », Expertises, février 2004, p. 55)considère d'ailleurs que ces marques « correspondent à des expressions dulangage courant». Cependant, la validité de ces marques a été reconnue parla cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 10 mars 2005.
(30) Disponible à l'adresse www.foruminternet.org.
(31) Cf.§ 1, supra.
(32) Rapport du Forum des droits sur l'internet, p. 6.
(33) Cette procédure de notification étant décrite en détail à l'article 6 de cetteloi (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 « Pour la confiance dans l'économie numérique», JO22 juin 2004).
(34) D'ailleurs, le TGI de Nice dans son jugement du 7 février 2006, se prononcepour une mise en oeuvre de la responsabilité du fournisseur de liens commerciauxen cas d'atteinte manifeste aux intérêts ou aux droits des tiers.
(35) CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton,précité. Voir aussi TGI Nanterre, 8 mars 2004, Viaticum c/ Google France,www.legalis.net.
(36) CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton,précité.
(37) CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton,précité