Internet n'a pas engendré un nouveau type de délit civil, mais il en facilite la commission et la diffusion. Il contribue à la multiplication des délits complexes caractérisés par une dissociation du fait générateur et du préjudice. Quelle sera la juridiction compétente pour prévenir, faire cesser et réparer les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle ou aux droits de la personnalité commises grâce au réseau ? La dématérialisation et l'ubiquité accroissent les conflits de juridictions et semblent cohabiter difficilement avec les règles de compétence internationale dont les critères reposent sur la localisation d'un fait. Une meilleure définition des critères de compétence à l'aune des caractéristiques d'internet ne s'impose-t-elle pas ? Car le juge est confronté à un dilemme : se comporter en juge « mondial », sa compétence se justifiant par un rattachement quelconque, si ténu soit-il, ou en juge « provincial », en évitant d'affirmer sa compétence au-delà de son champ traditionnel d'intervention.
Fabien MARCHADIER
Docteur en droit, OMIJ, Faculté de droit et des sciences économiques de ...
(2) M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l'universel,Seuil, 2004, p. 335.
(3) Ibid.
(4) Conseil d'État, Internet et les réseaux numériques, La documentation française,1998, passim; P. Sirinelli, « L'adéquation entre le village virtuel et la créationnormative. Remise en cause du rôle de l'État ? », inK. Boele-Woelki etC. Kessedjian (éditeurs), Internet : Which court decides ? Which law applies ?Quel tribunal décide ? Quel droit s'applique ?Kluwer Law International, 1998,p. 7; M. Vivant, « Cybermonde : droit et droit des réseaux », JCP1996.I. 3969.2.
(5) O. Cachard, La régulation internationale du marché électronique, LGDJ, 2002,p. 3, n° 3.
(6) C. Kessedjian, « Rapport de synthèse », in K. Boele-Woelki et C. Kessedjian(Éd.), Internet : Which court decides ? Which law applies ? Quel tribunal décide ?Quel droit s'applique ?Kluwer Law International, 1998, p. 145.
(7) L'hypothèse d'une justice virtuelle ou d'une cyberjustice répondrait sansdoute de façon plus adéquate à l'internationalité et à l'ubiquité d'internet, maissa réalisation se heurte à des difficultés difficilement surmontables (G. Chabot,« La cyberjustice : réalité ou fiction ? », Dalloz 2003, p. 2322 ; P.-Y. Gautier,« Les aspects internationaux de l'internet », TCFDIP 1997-1998, Pédone, 1999,p. 252 ; G. Kaufman-Kohler, « Internet : mondialisation de la communication,mondialisation de la résolution des litiges? », in K. Boele-Woelki et C. Kessedjian(Éd.), Internet : Which court decides ? Which law applies ? Quel tribunal décide ?Quel droit s'applique ?Kluwer Law International, 1998, p. 118 et s.). L'arbitrage,quant à lui, semble inapproprié à la matière délictuelle.
(8) Art. 42 NCPC; art. 2 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécutiondes décisions en matière civile et commerciale.
(9) Art. 46 al. 3 NCPC; article 5-3 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseildu 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissanceet l'exécution des décisions en matière civile et commerciale tel qu'interprétépar la CJCE en cas de délit complexe (CJCE, 30 novembre 1976, aff.21/76, Mines de potasse d'Alsace, point 19, RCDIP 1977, p. 563 noteP. Bourel, JDI 1977, p. 728 obs. A. Huet, Dalloz 1977, p. 613 note G. A.L. Droz).
(10) C. Kessedjian, loc. cit., p. 150.
(11) CA Orléans, 6 mai 2003, RCDIP2004, p. 139 note H. Gaudemet-Tallon, JDI2004, p. 193 obs. A. Huet.
(12) Civ. 1re, 9 déc. 2003, Société Castellblanch, JCP, 2004.II.10055, note C. Chabert,Clunet2004, p. 872 note A. Huet, Procédures2004, n° 3, p. 11 obs. C. Nourissat,Dalloz2004, p. 276, note C. Manara; CA Orléans, 6 mai 2003, préc.
(13) Civ. 1re, 9 déc. 2003, Société Castellblanch, préc. ; CA Orléans, 6 mai 2003,préc.
(14) M. Delmas-Marty, op. cit., p. 342.
(15) Ibid.; M. Vivant, « Le commerce électronique, défi pour le juge », Dalloz2003, p. 674.
(16) CJCE, 7 mars 1995, aff. C-68/93, Shevill, spéc. point 33, Clunet1995,p. 543 obs. A. Huet, Dalloz1996, p. 61, note G. Parléani, RCDIP, 1996, p. 487,note P. Lagarde ; son domaine tend ainsi à se généraliser (v., par exemple, Civ.1re, 16 juil. 1997, Eliazer, Dalloz affaires1997, p. 1040; B. Dutoit, « Compétencelégislative et compétence judiciaire en cas d'actes illicites commis sur interneten droit international privé suisse », in Responsabilité civile et assurance. Étudesen l'honneur de Baptiste Rusconi, Biset Ter, Lausanne, 2000, p. 144 ;A. Huet, JDI 2004, p. 873. ContraG. Kaufman-Kohler, loc. cit., p. 113).
(17) P. Bourel, « Du rattachement de quelques délits spéciaux en droit internationalprivé », RCADI 1989-II tome 214, p. 366
(18) K. Kerameus, « La compétence en matière délictuelle dans la conventionde Bruxelles », TCFDIP 1992-1993, Pédone, 1994, p. 265.
(19) H. Gaudemet-Tallon, Les conventions de Bruxelles et de Lugano.Compétence internationale, reconnaissance et exécution des jugements enEurope, LGDJ, 2e édition, p. 147, n° 195.
(20) CJCE, 30 nov. 1976, aff. 21/76, Mines de potasse d'Alsace, préc., point 17.
(21) Sur cette notion, v., par exemple, O. Cachard, op. cit., p. 11 et s., n° 18 et s.
(22) O. Cachard, op. cit., p. 398, n° 654; C. de Haas, « L'omnipotence du jugefrançaise de la propriété intellectuelle face à l'internet ou l'histoire d'une incompétencelargement ignorée », LPA, 13 novembre 2001 n° 226, p. 9 et s. ;G. Kaufman-Kohler, loc. cit., p. 116.
(23) Le site sollicite un certain public.
(24) Le site se contente de mettre des informations à la disposition des internautes.
(25) Le site se situe entre l'activité et la passivité (D. A. Laprès, « L'exorbitanteaffaire Yahoo », JDI 2002, p. 991).
(26) CA Orléans, 6 mai 2003, préc.
(27) P.-Y. Gautier, « Les aspects internationaux de l'Internet », TCFDIP 1997-1998, Pédone, 1999, p. 245; D. A. Laprès, loc. cit., p. 981.
(28) O. Cachard, op. cit., p. 399, n° 655.
(29) V., mutatis mutandis, CJCE, 19 février 2002, aff. 256/00, Besix SA, points 54-55, Europe avril 2002 com. n° 160 note L. Idot, RCDIP 2002, p. 588 noteH. Gaudemet-Tallon.
(30) V., par exemple, O. Cachard, op. cit., p. 396, n° 650, pour le droit nordaméricain,et B. Dutoit, loc. cit., p. 163, en ce qui concerne la Suisse.
(31) V., par exemple, CJCE, 15 jan. 2004, aff. C-433/01, Freistaat Bayern, point 29.
(32) Dès lors que, a priori, il se montre favorable à celui qui défend le statu quoet non à celui qui cherche à le modifier (cf. N. Fragistas, « La compétence internationaleen droit privé », RCADI1961 volume III, p. 199).
(33) G. A. L. Droz, « Les droits de la demande dans les relations privées internationales», TCFDIP, années 1993-1994, 1994-1995, Pédone, 1996, p. 97 ;v. néanmoins, M. Raimon, « L'abus du droit d'action dans les litiges internationaux», JCP2000.I.256.
(34) O. Cachard, op. cit., p. 380, n° 615.
(35) CJCE, 5 fév. 2004, aff. C-18/02 DFDS Torline, point 36; CJCE, 17 sept. 2002,aff. C-334/00 Tacconi, point 20.
(36) CJCE, 15 jan. 2004, aff. C-433/01, Freistaat Bayern, point 25; CJCE, 13 juil.2000, aff. C-412/98 Group Josi, point 50, JDI 2002, p. 623 note F. Leclerc.
(37) CJCE, 19 sept. 1995, aff. C-364/93, Marinari, points 14-15; v. également, àpropos de la victime indirecte, CJCE, 11 jan. 1990, aff. C-220/88, Dumez, points 20et s., RCDIP1990, p. 368 note H. Gaudemet-Tallon, JDI1991, p. 498 obs. A. Huet.
(38) En effet, le juge est privé du pouvoir de décliner sa compétence, notammenten vertu de l'exception de forum non conveniens( CJCE, 1er mars 2005,aff. C-281/02 Owusu, points 37 et s.).
(39) CJCE, 29 juin 1994, aff. C-288/92, Custom Made Commercial LTD, point 21,RCDIP 1994, p. 692 note H. Gaudemet-Tallon.
(40) J.-Ph. Hugot, « La compétence universelle des juridictions françaises enmatière délictuelle : vers des enfers numériques », Legipresse2001 II, p. 119.
(41) Civ. 1re, 9 déc. 2003, Société Castellblanch, préc. ; CA Orléans, 6 mai 2003,préc.
(42) La mise en place d'un système de filtrage, dont l'infaillibilité n'est pas totalementgarantie, est alors nécessaire.
(43) O. Cachard, op. cit., p. 389, n° 633; C. de Haas, loc. cit., p. 4.
(44) D. A. Laprès, loc. cit., p. 989.
(45) A. Huet, JDI 2004, p. 878; G. Kaufman-Kohler, loc. cit., p. 116.
(46) P. Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain.Cours général de droit international privé », RCADI1986 tome 196, p. 127.
(47) Commission, 13 mai 1976, requête n° 6200/73 B. A. c/ Royaume-Uni.
(48) Par exemple, les articles 14 et 15 du Code civil participent du principe desouveraineté (É. Pataut, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (étudede droit international privé), LGDJ, 1999, spéc. p. 88 et s., n° 130 et s.), de mêmeque la transient ruleanglo-saxone relève du pouvoir physique (A. Mirandes, «Lacompétence inter-étatique et internationale des tribunaux en droit des États-Unis », Economica, 2002, p. 40 et s., n° 48 et s.).
(49) P. Lagarde, loc. cit., p. 130.
(50) CJCE, 7 mars 1995, aff. C-68/93, Shevill, préc., point 31.
(51) O. Cachard, op. cit., p. 385, n° 624.
(52) V., par exemple, P. Buisson, La notion de for exorbitant (étude droit internationalprivé), Thèse Paris II, 1996.
(53) Cf. par exemple, en ce qui concerne les actes de concurrence déloyale,O. Cachard, op. cit., p. 385 et s., n° 625 et s.
(54) A. Huet, JDI 2004, p. 874; G. Kaufman-Kohler, loc. cit., p. 111.
(55) Ibid., p. 112.
(56) CJCE, 20 mars 1997, aff. C-295/95 Farrel c/ Long, point 19.
(57) B. Dutoit, loc. cit., p. 160.
(58) P.-Y. Gautier, « Du droit applicable dans le village planétaire, au titre del'usage immatériel des oeuvres », Dalloz1996, p. 132.
(59) M. Vivant, « Le commerce électronique, défi pour le juge », Dalloz2003,p. 674.
(60) L'observation vaut également à l'égard du domicile du défendeur (v., parexemple, C. Kessedjian, loc. cit., p. 151).
(61) Conseil d'État, op. cit., p. 152.
(62) B. Dutoit, loc. cit., p. 162.
(63) O. Cachard, op. cit., spéc., p. 65 et s., n° 106 et s.
(64) Ibid., p. 67, n° 111.
(65) Comp. avec le critère de la cible évoqué par Mme Delmas-Marty ( op. cit.,p. 343).
(66) Les extensions « .com » et « .net » désignent respectivement une activitécommerciale et une entreprise dont l'existence est liée à internet.
(67) Les extensions « .org » et « .int » sont réservées respectivement auxassociations à but non lucratif et aux organisations internationales.
(68) Le recours à une langue susceptible d'être universellement comprise, tell'anglais, est également révélateur (v. J.-S. Berger, JDI 2004, p. 497).
(69) O. Cachard, op. cit., p. 402, n° 662.
(70) Ibid., p. 403, n° 663.
(71) Ibid., p. 71, n° 117.
(72) Conseil d'État, op. cit., p. 19.
(73) En ce domaine, le Conseil d'État suggérait, tout en reconnaissant le risqued'inefficacité internationale de la décision, de recourir au forum actoris,car, in fine, « c'est bien au domicile de la personne lésée que l'intégralité dudommage est subie» ( op. cit., p. 174).
(74) P. Courbe, « L'ordre public de proximité », in Le droit international privé :esprit et méthodes, mélanges en l'honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005,p. 236.
(75) V., par exemple, CJCE, 9 déc. 2003, aff. C-116/02, Gasser, points 41et s., RCDIP 2004, p. 444 note H. Muir Watt, Dalloz 2004, p. 1046 noteC. Bruneau, Procédures2004 n° 3, p. 13 obs. C. Nourissat.
(76) Conseil d'État, op. cit., p. 151.
(77) CJCE, 15 jan. 1987, aff. 266/85, Shenavai, point 19, JDI1987, p. 465 noteJ.-M. Bischoff et A. Huet, RCDIP 1987, p. 798 note G. A. L. Droz.
(78) CJCE, 5 oct. 1999, aff. 420/97, Leathertex, point 39, Europe décembre1999 com. n° 431, p. 20, RCDIP 2000, p. 84 note H. Gaudemet-Tallon, JDI2000, p. 540 note F. Leclerc, JCP 2000.II.10354, note C. Bruneau.
(79) H. Gaudemet-Tallon, Les conventions de Bruxelles et de Lugano.Compétence internationale, reconnaissance et exécution des jugements enEurope, LGDJ, 2e édition, p. 120, n° 165.
(80) Il n'existe pas une méthode unique afin d'établir un rapport de principal à accessoire(J.-P. Beraudo, « Du bon usage des règles de compétence spéciales desconventions de Bruxelles et de Lugano pour plaider chez soi », JCP 2001.I.299.7).